Le Burkina Faso a annoncé mardi avoir lancé le recrutement de 50 000 volontaires pour la défense de la patrie (VDP) dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Un dispositif censé répondre à l’urgence sécuritaire dans un pays contrôlé à 40 % par des groupes jihadistes, mais qui présente de nombreuses failles, explique le grand reporter et spécialiste de l’Afrique, Vincent Hugeux.
L’annonce est spectaculaire et doit répondre aux immenses attentes de la population depuis le coup d’État du capitaine Ibrahim Traoré, fin septembre. Les nouvelles autorités burkinabès ont annoncé mardi 25 octobre avoir lancé le recrutement de 50 000 volontaires pour la défense de la patrie (VDP), dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Dans le détail, 35 000 supplétifs de l’armée seront répartis dans chaque commune tandis qu’une force de 15 000 hommes pourra être déployée sur l’ensemble du territoire national. Ces enrôlements massifs s’ajoutent à une campagne de recrutement exceptionnelle de 3 000 militaires pour renforcer les rangs de l’armée régulière.
Crée en 2020 sous l’impulsion du président Roch Marc Christian Kaboré, les VDP s’inscrivent dans la longue tradition des groupes d’auto-défense au Burkina Faso dont le nombre a explosé depuis 2015 en lien avec la montée de l’insécurité.
Formés en seulement deux semaines, les VDP appuient les forces armées à travers des missions opérationnelles et de renseignements. Malgré certains succès, ce dispositif est contesté et n’a pas permis d’enrayer la spirale de la violence jihadiste au Burkina Faso.
Selon le grand reporter Vincent Hugeux, auteur de « Tyrans d’Afrique, les mystères du despotisme postcolonial »(édition Perrin), ces recrutements de civils offrent une faible plus-value au niveau opérationnel mais permettent de resserrer les rangs entre la population et les forces armées. Entretien.
France 24 : Les VDP existent depuis 2020 au Burkina Faso, sans que l’on ne connaisse exactement leur nombre. Quel est le bilan de ces supplétifs civils de l’armée ?
Vincent Hugeux : Le recours à une mobilisation de type milicien est un grand classique des armées régulières en difficulté. L’objectif est à la fois de renforcer les effectifs et d’entretenir l’engagement patriotique au-delà des forces armées.
Cependant, nous l’avons vu au Burkina Faso comme au Mali par exemple, ce type d’initiative pâtit de plusieurs failles. D’abord, le faible niveau d’expertise opérationnelle des recrutés dont la formation est bien souvent défaillante faute de cadre et d’infrastructures.
Autre zone d’ombre : quelles sont les motivations réelles de ceux qui s’enrôlent ? À l’échelon d’un village, il y a des gens qui veulent sincèrement défendre leur communauté, leur famille et leur foyer menacés par des commandos jihadistes. Mais il y a aussi ceux qui s’engagent par désœuvrement ou parce qu’ils sont attirés par la promesse d’une solde.
Tout cela rend évidemment l’efficacité de l’engagement assez aléatoire. C’est la raison pour laquelle je reste très circonspect sur la valeur ajoutée opérationnelle de ce type de recrutement.
De nombreux experts et ONG de défense des droits humains pointent également du doigt le rôle de ces supplétifs dans l’aggravation de conflits intercommunautaires…
C’est une autre faille : le degré de contrôle que l’on exerce sur ces milices et leur respect des normes de la guerre. Il y a un risque que ces miliciens utilisent leur nouveau statut, valorisé par les autorités, pour régler des comptes.
On a vu des milices commettre des exactions au Burkina Faso : dès lors qu’elles sont adossées à une identité communautaire, elles peuvent être des acteurs de règlements de compte à l’échelon locale.
Il peut s’agir de conflits liés à des disputes foncières, la détention du bétail, le contrôle des terres ou des contentieux historiques entre pasteurs nomades, semi-nomades et paysans… Ces phénomènes ont pu être amplifiés par les nouveaux acteurs de la guerre, y compris les jihadistes eux-mêmes.
Le chiffre de 50 000 volontaires recrutés pour lutter contre les groupes jihadistes vous semble t-il crédible ?
On annonce un chiffre qui provoque une quasi sidération par son côté spectaculaire. Mais au bout du compte, sur ces 50 000 volontaires, combien seront mobilisés, formés, armés, motivés, capables d’intégrer une tactique locale de lutte antijihadiste ? Si on arrive à quelques milliers, cela pourra déjà être considéré comme un succès.
Faut-il donc voir dans cette annonce une manière de répondre rapidement aux attentes de la population en matière de sécurité un mois après le coup d’État ?
C’était également la promesse sécuritaire qui avait fait la popularité du coup de Paul-Henri Damiba [le 24 janvier 2022] avec en filigrane un engagement à lutter contre la corruption, argument également très mobilisateur au sein de la population.
L’équipe du capitaine Traoré a justifié son « coup d’État dans le coup d’État » par l’échec de Damiba. Dans ce contexte, il est évidemment nécessaire de produire des annonces surtout au moment où les revers à l’échelon local sont légion. Il y a des attaques quotidiennes et on ne peut pas dire pour le moment que la performance des putschistes soit spectaculairement meilleure que celle de l’époque « Kaboré-Barkhane » [l’ancien président du Burkina Faso de 2015 à 2022 et l’opération française de lutte contre le terrorisme au Sahel].
Cette annonce sert essentiellement à forger et conforter l’idée d’une alliance indéfectible entre le peuple et ceux qui se présentent comme les meilleurs défenseurs de sa sécurité et de son bien-être.