La ville de Tamanrasset vibrera aujourd’hui au son des voix de ses milliers d’habitants, lors d’un rassemblement prévu pour exprimer leur colère contre la «marginalisation» de l’Aménokal du Hoggar.
L’objectif de cette manifestation, qui se veut une démonstration de mobilisation, est la réhabilitation de la place de cette autorité ancestrale qui, disent les notables de la région, garantit la stabilité et la quiétude des populations de l’Ahaggar, Touareg ou non. Depuis près d’une semaine, la demeure de l’Aménokal de Tamanrasset, Ahmed Idabir, ne désemplit pas.
Dès 16h avant-hier, des hommes en tenue traditionnelle et la tête enveloppée d’un chèche se retrouvent, un à un ou par groupes, dans cette humble maison, dont la porte ne se ferme que la nuit, nous dit-on, de ce chef des Touareg du Hoggar.
Tous viennent exprimer leur soutien à cette «autorité morale» de la communauté pour marquer leur «disponibilité» à faire du rassemblement, prévu aujourd’hui, au centre-ville de Tamanrasset, «un événement majeur», voire «un tournant décisif pour le bien-être» de cette cité ancestrale et de ses habitants.
Très à l’aise, comme s’ils étaient chez eux, ils se dirigent droit vers la grande pièce se trouvant à l’entrée de la maison, et s’installent sans aucun protocole sur les canapés qui longent les murs. L’Aménokal est déjà là depuis un long moment et a eu de longues discussions avec au moins une dizaine de notables de la ville, mais aussi de localités lointaines.
Contrairement à ce que certains pensent, beaucoup de jeunes font partie des hôtes. Parmi eux, les deux petits-fils du défunt Aménokal Moussa Akhamokh. L’un d’eux est médecin et l’autre avocat, mais aussi d’autres personnalités très appréciées de la communauté, comme cet ancien consul d’Algérie à Agades au Niger, un ex-wali, ou encore des chefs de daïra et autres cadres de l’administration locale. Tous sont révoltés d’entendre certaines voix contester l’existence de «l’institution» incarnée par l’Aménokal.
«L’Aménokal fait partie de l’organisation sociale de la communauté du Hoggar. Il est le représentant de tous les habitants de Tamanrasset, qu’ils soient touareg ou non. Ahmed Idabir a été honoré de ce titre par les notables, le 6 mars 2006. C’est son prédécesseur, Moussa Akhamokh, qui l’a choisi comme successeur, parce qu’il a vu en lui toutes les qualités d’un Aménokal.
Ceux qui ne reconnaissent pas ce titre, pourquoi ne l’ont-ils pas déclaré lorsque Bey Akhamokh et son successeur Moussa Akhamokh avaient ce titre jusqu’à leur mort ? Il faut savoir qu’il n’y a aucune contradiction avec les institutions de la République. C’est juste une spécificité des habitants du Sahara. Elle n’a pas été instaurée par la France coloniale, comme on le dit, puisqu’elle existe depuis 1600. La France l’a reconnue en tant qu’entité légitime, parce qu’elle mesurait son importance.
Elle n’a pas pu la soumettre, et vous savez que l’Aménokal de l’époque a refusé l’offre d’avoir un Etat pour les Touareg, et a préféré rester indivisible de l’Algérie», déclare le Dr Akhamokh, avant qu’un autre intervenant, un ancien wali de Biskra, ne lui emboîte le pas : «Cette région a une organisation sociale à elle et une autorité morale qui est l’Aménokal. Toutes les tribus du Hoggar lui ont prêté allégeance le 2 mars 2006, et aucun notable n’a contesté.
En Kabylie, nous avons bien tadjmaat, au M’zab, il y a al azaba, etc., pourquoi vouloir stigmatiser l’Aménokal, qui est le garant de la stabilité, de l’unité et de la sécurité de la région, mais aussi de sa communauté ? Cette organisation n’est nullement en contradiction avec les institutions de l’Etat. Bien au contraire, elle en est complémentaire.»
«Tamanrasset a ses spécificités et son organisation sociale»
Abdelkrim, un ancien cadre, tente d’être plus explicite : «L’Aménokal est le refuge vers lequel se tourne la population en cas de problème. Ici à Tamanrasset, les gens n’expriment pas leur colère en brûlant des pneus ou en coupant la route. Ils viennent voir l’Aménokal pour lui exposer les problèmes, et c’est à lui de solliciter les institutions de l’Etat pour trouver des solutions et anticiper sur les crises ou les conflits sociaux qui peuvent surgir.» Le débat va dans tous les sens.
Chacun veut exprimer sa colère. Le ras-le-bol est perceptible et la raison est la même pour tous : «La marginalisation» de l’Aménokal de la gestion de la cité. «La seule institution qui est à l’écoute de la population se trouve totalement marginalisée.
Tamanrasset n’est ni Tlemcen ni Ouargla, et encore moins Alger. Elle a ses spécificités, et parmi celles-ci l’Aménokal. Il faut savoir qu’Ahmed Idabir a été intronisé par l’ensemble des notables du Hoggar. Il a été promu par son prédécesseur, son oncle maternel, le défunt Moussa Akhamokh. Il incarne toute la communauté.
Il n’est pas dans le besoin, parce qu’il a une bonne retraite de député, mais si son autorité, en tant qu’Aménokal, continue à être exclue, marginalisée, voire méprisée, c’est l’organisation sociale qui garantit la cohésion et la stabilité qui en pâtira.» Brahim est un notable de la ville de Tamanrasset, qui s’inquiète du devenir de sa communauté, la «marginalisation» de l’Aménokal est qualifiée de très dangereuse. «La maison de notre Aménokal est celle de nous tous.
Avant d’entrer, nous laissons toutes nos divergences à l’entrée. Ici, vous avez toutes les casquettes politiques, le RND, le FLN, Jil Jadid, Talaie El Hourriyet, le Parti de la République, Ahd 54, etc., mais lorsque nous venons ici, c’est pour préserver l’unité et la stabilité de la région et du pays. Il y a une complémentarité entre les prérogatives des institutions de l’Etat et celles de l’Aménokal. Elles ne sont pas contradictoires.
Et si nous sommes aujourd’hui ici, c’est pour dire aux plus hautes autorités que la marginalisation de notre institution, ne peut pas durer. Il faut y mettre un terme», souligne Brahim, sous le regard attentif de l’Aménokal, imperturbable depuis des heures et attentif aux déclarations des uns et des autres, sans dire un mot.
«Une réponse à ceux qui doutent de la légitimité de l’Aménokal»
Les raisons du rassemblement d’aujourd’hui s’éclaircissent. «C’est d’abord une réponse à ceux qui doutent de la légitimité de l’Aménokal. En même temps, ce sera une occasion pour tous les gens qui vont venir exposer leurs nombreux problèmes, liés au cadre de vie à Tamanrasset.
Nous ne disons pas que rien n’a été fait. Loin de là. Mais juste qu’il reste beaucoup à faire, dans le domaine du transport, des routes, de la santé, de l’éducation, du tourisme tué à petit feu, etc. Comparons un peu Tamanrasset, pas avec des wilayas du pays, mais avec de petites villes comme El Affroun, Khemis El Khechna ou Khemis Miliana.
Celles-ci sont mieux nanties à tout point de vue. Transport, santé, éducation, électricité, eau, etc. Nous voulons que toutes ces disparités régionales disparaissent et que le cadre de vie soit le même ou plus proche partout sur le territoire national», déclare le Dr Akhamokh, avant que Touhami, ancien consul, n’intervienne.
«Si nos enfants n’ont pas rejoint al Qaîda c’est grâce à l’Aménokal»
«Toutes ces bombes, qui minent nos frontières avec le Mali, le Niger et la Libye, auraient pu être dégoupillées si on avait donné l’occasion aux notables de Tamanrasset d’utiliser cette proximité qu’ils ont avec les populations frontalières, dans la sensibilisation sur les dangers.
Les Touareg du Hoggar sont très respectés et leur parole est écoutée. Si on les avait sollicités, je suis sûr que jamais les terroristes d’Al Qaîda ou tout autre groupe intégriste n’auraient pu s’installer aux portes de nos frontières et, surtout, jamais la France n’aurait mis les pieds militairement dans cette région.
Si Tamanrasset est restée à l’abri du terrorisme, c’est grâce à l’armée, certes, mais c’est surtout grâce au travail de l’Aménokal. Nos enfants n’ont pas rejoint les groupes ni d’Al Qaîda ni de Daech. Ils respectent beaucoup leurs aînés et aspirent à avoir la même qualité de vie que les autres Algériens, qui vivent ailleurs», affirme l’ancien diplomate, avant qu’il soit interrompu par un autre notable.
«Pourquoi m’oblige-t-on à payer la vignette automobile alors que je n’ai ni route ni transport pour faire des centaines de kilomètres de pistes juste pour arriver au chef-lieu de wilaya. Pour rejoindre Alger, je dois prendre un billet à presque 30 000 DA, ou faire trois jours de route, dont plus de la moitié est dans un état lamentable. Pour moi, cette vignette automobile est un vol caractérisé», lance-t-il d’une voix coléreuse.
Une démonstration pour se faire entendre
Un autre notable recadre le débat : «Pour vous résumer la situation, ce sont tous les chefs de tribu et les notables de Tamanrasset, y compris les non Touareg, qui ont décidé de venir pour réaffirmer leur allégeance à Idabir en tant qu’Aménokal. Nous avons des problèmes auxquels nous voulons des solutions.
Nous les exposerons à notre Aménokal, seule autorité morale qui a les prérogatives de parler au nom des habitants de Tamanrasset. Notre intention n’est pas, comme le disent certains, une rébellion contre l’autorité politique, ou pour réclamer un quelconque statut. Bien au contraire. Nous sommes plus que jamais attachés à l’unité du pays, à sa stabilité et sa sécurité. Nous ne permettrons jamais qu’il y ait des perturbateurs parmi nous.
Nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour que le rassemblement se tienne dans de bonnes conditions, et surtout dans le calme. Notre objectif principal est que l’Aménokal reste une institution reconnue, respectée et consultée, pour le bien-être de la communauté. Après, nous aurons à lui exposer nos préoccupations pour qu’il les fasse entendre à qui de droit.»
Cela fait déjà trois heures et la discussion ne prend pas fin, alors que les notables continuent à arriver. L’Aménokal se refuse à tout commentaire. Pour lui, la seule voix qui doit être entendue est celle de la population. «Vous avez écouté, tout comme moi, les préoccupations de tous. Ils seront très nombreux à prendre part au rassemblement pour exprimer leur préoccupation.
Il n’y a pas mieux qu’eux pour s’en faire une idée», nous déclare-t-il, avant qu’il ne salue, dans la soirée, les derniers invités. En effet, les débats se sont poursuivis tard autour de la nécessité de «réhabiliter» l’organisation sociale de la communauté du Hoggar.
El Watan