Il est clair que dans un Etat où les pouvoirs publics n’organisent pas suffisamment la sécurité des personnes et de leurs biens, les populations sont exposées aux abus de toutes sortes. Selon l’organisation humanitaire, Human Rights Watch, qui a rendu public le 14 avril, son rapport sur le Mali, « le gouvernement devrait agir pour rétablir la sécurité et le système judiciaire », a souligné Corinne Dufka, directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement malien a besoin de rétablir sa présence dans le Nord afin que tout le monde bénéficie de la sécurité élémentaire indispensable pour vivre normalement», indique le rapport. « Le gouvernement malien devrait prendre des mesures pour stopper les crimes violents et les abus de plus en plus fréquents, commis par les groupes armés et les forces de sécurité de l’État, qui menacent la sécurité de la population dans le nord et le centre du Mali », a déclaré Human Rights Watch. Deux ans après l’intervention militaire menée par la France dans le pays en crise, il règne toujours une anarchie et une insécurité généralisées. « Dans le Nord, une brève reprise des combats à la mi-2014 a provoqué le retrait des soldats et des fonctionnaires maliens, notamment des fonctionnaires de justice. Ainsi, de vastes portions de territoires se sont retrouvées sans autorité étatique et ont été le théâtre d’abus commis en toute impunité par les séparatistes touaregs, les groupes armés islamistes, les milices progouvernementales et les bandits », poursuit le rapport.
« La criminalité endémique, les attaques perpétrées par les groupes armés et les abus commis par les forces de sécurité constituent un risque pour les citoyens ordinaires au centre et dans le nord du Mali. Les groupes armés doivent cesser les violences et le gouvernement malien devrait prendre des mesures urgentes pour inverser cette tendance, qui menace les progrès en matière de sécurité et d’État de droit des deux dernières années» a déclaré Corinne Dufka, directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch.
Pendant deux semaines en février et en mars, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 150 victimes et témoins dans la ville de Gao, dans le nord du Mali, et dans la capitale, Bamako, notamment avec des chauffeurs, des commerçants, des bergers et des bandits ; des détenus ; des représentants du gouvernement local, de la sécurité et du ministère de la Justice, des travailleurs humanitaires ; des associations de victimes ; des diplomates et des représentants des Nations Unies ; ainsi que des leaders religieux, de la jeunesse et des communautés. Les conclusions de Human Rights Watch s’appuient sur les recherches menées dans le pays depuis 2012. Human Rights Watch a constaté une recrudescence des crimes violents commis depuis la mi-2014 par des bandes criminelles et des groupes armés dans le Nord, avec peu, voire pas de réaction de la part du gouvernement. Des bergers ont affirmé que des hommes armés circulant à moto s’étaient emparés de leurs troupeaux de bétail, et des petits commerçants ont décrit avoir été victimes d’embuscades et de vols alors qu’ils se rendaient aux marchés des villages locaux. Des chauffeurs de camion ont indiqué avoir été stoppés par des hommes armés, certains bien organisés, qui volaient les véhicules, les conducteurs et les passagers et qui, à plusieurs reprises, ont tué des chauffeurs et mis le feu à leurs véhicules. Force de libération du Macina
Selon Human Rights Watch, depuis janvier 2015, un nouveau groupe armé islamiste a lancé une vague d’attaques contre des civils dans le centre du Mali. Ce groupe armé islamiste, parfois appelé la Force de libération du Macina, a commis de graves abus au cours d’opérations militaires contre les forces de sécurité maliennes. Les assaillants ont exécuté sommairement au moins cinq hommes soupçonnés d’avoir travaillé comme guides ou d’avoir fourni des informations à l’armée. Des témoins ont raconté que des combattants de ce groupe ont traîné le chef d’un village près de Dioura hors de sa maison avant de l’exécuter, et qu’ils ont abattu un autre homme un jour de marché dans un village près de Nampala. Le groupe a également incendié plusieurs bâtiments du gouvernement local et a détruit une tour de communication. Lors des réunions publiques et dans des tracts distribués dans les villes et les villages, le groupe a menacé de mort la population locale si elle collaborait avec les forces françaises, le gouvernement ou la mission de maintien de la paix de l’ONU, poursuit le rapport de HRW. L’armée malienne et les autres forces de sécurité ont répondu aux attaques par des opérations militaires qui ont entraîné des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des vols et des allégations d’arrestation arbitraire, selon les témoignages de nombreux témoins et victimes recueillis par Human Rights Watch. Un enseignant coranique âgé d’environ 70 ans a montré à Human Rights Watch sa robe tachée de sang et a raconté que les soldats l’avaient battu en détention : « Dès le moment où j’ai été arrêté dans mon champ, j’ai été brutalisé… dans le camion et dans le camp. Ils [les soldats] m’ont donné des coups de pieds et de poings et ont forcé 18 d’entre nous à boire de l’urine. À cause des coups, j’ai eu du sang dans les urines pendant plusieurs jours. » Dans le Nord, des groupes armés ont délibérément pris pour cible les Casques bleus des Nations Unies mandatés pour protéger les civils. Les attaques visant la mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) se sont intensifiées depuis la mi-2014. Depuis la création de la MINUSMA en juillet 2013, elle a fait l’objet d’au moins 79 attaques hostiles, dans lesquelles 35 Casques bleus ont trouvé la mort et plus de 130 ont été blessés. Des groupes armés islamistes ont revendiqué la responsabilité de bon nombre de ces attaques. Des bandits et, dans quelques cas, des groupes armés ont attaqué au moins 13 véhicules des organisations humanitaires depuis novembre 2014, compromettant sérieusement la capacité de ces organisations à venir en aide aux populations dans le besoin. La plupart des attaques de banditisme semblaient être motivées par le vol. De nombreuses personnes ont décrit l’utilisation d’enfants soldats, certains à peine âgés de 12 ans, par les groupes rebelles et, dans une moindre mesure, par les milices progouvernementales. En vertu du droit international, il est interdit aux groupes armés au Mali de recruter des enfants de moins de 18 ans ou de les impliquer dans des combats. Le gouvernement devrait travailler avec la MINUSMA pour garantir une meilleure sécurité aux civils résidant hors des grandes villes, notamment les jours de marché, par exemple en augmentant le nombre de patrouilles, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement devrait également mener des enquêtes et traduire en justice les membres des forces de sécurité, des forces progouvernementales et des groupes armés non étatiques impliqués dans les récents abus graves, et devrait accélérer le déploiement de la police, des gendarmes et du personnel du ministère de la Justice dans les villes et les villages du Nord. Les groupes armés devraient cesser leurs violences et leurs menaces à l’encontre des civils et des travailleurs humanitaires. « Le Mali est inondé par les armes et les bandits, et le rythme des attaques s’intensifie. Le gouvernement malien a besoin de rétablir sa présence dans le Nord afin que tout le monde bénéficie de la sécurité élémentaire indispensable pour vivre normalement», a expliqué Corinne Dufka, directrice de recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch.
B. Daou
source : Le Républicain