– “Au cours de l’opération anti-terroriste “Dambé” près d’une centaine de personnes auraient été exécutées sommairement et de façon extra-judiciaire”
L’Association malienne des droits de l’homme (Amdh) et la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) ont animé une conférence, le mercredi 21 novembre, à la Maison de la presse, pour représenter leur rapport conjoint sur les cas de violation des droits humains. La conférence était principalement animée par le président de l’Amdh, Me Moctar Mariko, en présence du directeur Afrique de la Fidh, Florent Geel.
Pour le conférencier, ce rapport alarmant sur la situation dans le centre du Mali est caractérisé par l’enracinement des groupes armés terroristes, l’intensification des violences intercommunautaires, et par les exactions commises dans le cadre d’opérations anti-terroristes. Alors que, dit-il, plusieurs chefs djihadistes viennent d’appeler à la poursuite et l’extension du conflit en attisant cyniquement les différences communautaires. “Nos organisations appellent le gouvernement malien à juger enfin les auteurs des crimes et exactions graves commis dans la région, y compris par des militaires”, a-t-il ajouté.
Evoquant le centre du Mali, il dira que plus de 40 % des attaques djihadistes menées sont désormais concentrées dans le centre du pays. Ces deux dernières années, 1 200 civils y ont été tués, une cinquantaine de villages brûlés, au moins 30 000 personnes ont fui la région. “L’escalade des violences au Centre du Mali est en passe de devenir hors contrôle et ne se résoudra pas à coup d’opérations militaires spectaculaires. Sans retour d’un État fort et juste, qui entreprendra de rétablir le lien entre toutes les communautés, la terreur djihadiste et les affrontements entre communautés continueront de prospérer”, déclaré le président de l’Amdh.
Série de meurtres enregistrée
Selon lui, issu d’une enquête de terrain menée entre le mois mai et juillet 2018, le rapport est basé sur plus de 120 interviews et témoignages de rescapés, témoins, anciens djihadistes et responsables locaux. Ainsi, il est à déplorer qu’ils ont recensé une série de meurtres et de tueries, en les réinscrivant dans la dynamique régionale des violences.
De sa lecture, assimilant depuis 2012 le centre du Mali comme une ” zone à gagner ” par la terreur, les terroristes n’ont depuis cessé de le déstabiliser, avec une acuité accrue, depuis 2015. Sous l’impulsion d’Amadou Koufa, un prédicateur local devenu un des chefs de la nébuleuse Al Qaida au Sahel, la Katiba Macina a ciblé militaires, représentants de l’État, chefs traditionnels et religieux, et toute personne opposée à leur vision rigoriste de la religion.
A ses dires, plusieurs dizaines de villages du Centre du Mali vivent désormais sous leur joug, caractérisé par l’imposition de règles de vie totalitaires, des exactions graves et répétées (enlèvements, actes de torture, assassinats, violences sexuelles), et la fermeture des écoles publiques (750 écoles fermées selon l’UNICEF en mai 20181).
Selon le conférencier, dans le centre du pays, l’effondrement des services de l’État à partir de 2012 (année de l’offensive djihadiste au Nord) a conduit à un vide sécuritaire et judiciaire. “Il a été comblé par la multiplication des milices d’autodéfense, essentiellement constituées sur des bases communautaires et ethniques, et désormais équipées d’armes légères. Qu’elles soient Peuls, Bambaras, ou Dogons, elles ont contribué à l’infernal cycles d’attaques et de représailles. La passivité de l’État face aux exactions commises par plusieurs milices, notamment Donsos, questionne sur les soutiens politiques dont certaines bénéficient”, a martelé l’avocat.
Un renfort de 4 000 militaires supplémentaires pour sécuriser
le centre du pays
A l’entendre, les Forces armées maliennes (FAMA) ont été lourdement impactées par la déferlante djihadiste de 2012 dans le Nord Mali, puis les attaques incessantes de ceux-ci. Il ajoutera que, début 2018, les autorités maliennes ont lancé un “Plan de sécurisation intégrée” des régions du Centre, prévoyant un renfort de 4 000 militaires et des moyens supplémentaires. Selon lui, il s’est traduit par le lancement de l’opération anti-terroriste “Dambé” en février 2018, au cours de laquelle près d’une centaine de personnes auraient été exécutées sommairement et de façon extra-judiciaire.
Et d’indiquer qu’au cours des six opérations détaillées dans le rapport, des unités des FAMA ont notamment arrêté et exécuté 67 individus présentés comme des “terroristes”et ont fait disparaître leurs corps dans des fosses communes. La majorité des victimes sont des civils Peuls assimilés aux djihadistes.
Pour sa part, le coordinateur du programme conjoint Amdh-Fidh, Drissa Traoré, a laissé entendre que certaines opérations anti-terroristes des FAMA ont été de véritables expéditions punitives, répondant au même mode opératoire à savoir les arrestations sur la base de liste de noms, les exécutions sommaires, l’enfouissement des corps dans des fosses communes.
“Ces crimes n’ayant donné lieu à aucune condamnation risquent de se poursuivre, alors qu’ils sont commis contre des civils désarmés, qu’ils soient ou non des soutiens des djihadistes. Ces exactions participent à l’engrenage des violences et la marginalisation de certaines communautés, constituant un frein au retour de l’État dans certaines zones, en passe de devenir les bases-arrières des manœuvres de déstabilisation observées dans d’autres états de la région”, a-t-il ajouté.
S’agissant du directeur Afrique de la Fidh, Florent Geel, il a précisé que l’expansion continue des groupes armés djihadistes au Mali et dans toute la sous-région marque l’échec de toutes les questions sécuritaires. A ce titre, dit-il, reconquérir la confiance et le cœur de toutes les populations nécessite un changement de cap et de politique au Mali comme dans le reste du Sahel. Ce qui est plus que nécessaire.
“La stratégie militaire doit s’arrimer aux objectifs politiques, en redonnant à l’État son rôle de protecteur et d’arbitre juste des différends. Les populations demandent avant tout à pouvoir vivre en paix. Leur redonner confiance passera obligatoirement par le jugement des responsables des crimes graves, qu’ils soient djihadistes, membres de milices, ou agents de l’État”, a-t-il fait remarquer.
Boubacar PAÏTAO
Source: Aujourd’hui-Mali