« Djilla par-ci, Djilla par-là », le « Cubain » a laissé sa trace. Son épouse, la très populaire du landerneau politique de la commune II du district de Bamako, Assitan Diallo dite Pédrouni, nous confie que jusqu’à présent elle chante parfois ces moments de gloire sous les oreilles de son mari. Ce dernier sourit et tape dans ses mains. Elle affirme que c’est le regretté Demba Coulibaly qui employait ces termes pour agrémenter ou donner plus d’éclats aux actions de son mari. Pédrouni va plus loin dans cette anecdote : « Lors de la finale de la coupe du Mali de 1985 qui a opposé le Stade malien au Djoliba AC, à la suite du quatrième but stadiste marqué dans un cafouillage, on ne savait pas l’auteur du but. Mais tellement que Demba, pour son admiration, voulant que ça fût Djilla, s’était déchargé pour être tranquille. Il disait que tout ce qu’il savait : ce n’était pas Djilla en tout cas qui avait marqué. Mais en réalité, c’est lui qui avait fait le centre et le défenseur Bakary Diakité avait marqué contre son camp. Nous revivons souvent ces bons moments en famille, surtout avec ses deux garçons qui ont aussi des qualités prometteuses ». Vous l’aurez compris, notre héros du jour s’appelle Mohamed Djilla, l’idole incontestée de celui qui sera des années plus tard l’un des plus grands footballeurs du Mali, Mahamadou Diarra « Djilla ». Pour vous, chers lecteurs, nous avons causé avec le vrai Djilla.
Le doyen feu Demba Coulibaly ne manquait pas de mots justes pour manifester son admiration à l’égard de certains joueurs. Ses commentaires dans un français de la vieille école donnaient un autre cachet aux événements dont il avait la charge. Parce que Demba Coulibaly, en tant que reporter, a marqué son temps par son savoir-faire, sa passion et son dévouement pour sa profession. L’enfant de Kayes n’inventait rien, il ne forçait pas non plus, il narrait des faits tels quels, avec la dose d’inventivité dont lui seul avait le secret.
Un véritable essuie-glace
Tout comme feu Demba, tous ceux qui ont vu Mohamed Djilla jouer ne peuvent en aucune manière douter de ses qualités. C’était un joueur mobile, technique et très intelligent. Un ancien arbitre assistant de la génération de Sidi Bekaye Magassa nous a dit que Karounga Keïta dit Kéké, à l’époque entraineur du Djoliba, ne cessait de signaler à ses défenseurs la présence de Djilla aux abords de la surface de réparation. Par conséquent, ils devaient se réserver de faire des retro passes, qui pouvaient être interceptées par Mohamed Djilla, toujours prompt à profiter des erreurs défensives. C’est Djilla, encore très frais, qui a marqué le premier but stadiste à la 11ème minute en 1982, en finale de la Coupe du Mali contre l’AS Biton de Ségou. C’est encore lui qui a neutralisé (lors des éliminatoires de la CAN de Sénégal 1992), Cyril Makanaky à Yaoundé, après l’exploit des Camerounais au Mondial 1990. Ce jour-là, il a dit à l’entraineur, Kidian Diallo, que s’il est titulaire il s’occuperait du virevoltant milieu de terrain camerounais, parce qu’ils ont le même profil.
De sa carrière, on retient deux phases. Une première où il est le virevoltant attaquant, déménageur de défenses adverses, qui crée des occasions et fait marquer des buts, fer de lance du Stade malien de Bamako et des Aigles du Mali. Alors que Mohamed Djilla, l’enfant de Missira, était en train de porter son équipe sur la tête et faire vibrer les cœurs, c’est le moment qu’il a choisi par pour s’éclipser. C’était un bonheur pour lui parce qu’il devait entreprendre des études supérieures à Cuba. Mais un malheur pour les Blancs de Bamako qui perdaient du coup leur pépite d’or.
La deuxième phase de sa carrière se situe à son retour de Cuba. Celui qu’on a surnommé depuis « le Cubain » s’est réveillé au bon souvenir, toujours efficace, au four et au moulin. Mohamed Djilla change de position et se métamorphose en milieu récupérateur. Autant il a été cet attaquant technique, vivace, adroit, avec une force de pénétration inégalée, autant il a émerveillé comme milieu récupérateur.
A ce niveau, il s’est imposé comme le stabilisateur de son équipe. Véritable essuie-glace, il organisait le jeu de son équipe à partir de la base.
Sa sélection en équipe nationale du Mali en 1984, est loin d’être une complaisance parce qu’à l’époque tous les clubs regorgeaient de bons joueurs et à tous les compartiments du jeu. Et Mohamed Djilla s’est retrouvé en équipe nationale, parce qu’il avait des qualités techniques indéniables. C’est Kidian Diallo qui lui fit appel dès son retour de Cuba en 1984. Ce fut le début d’un long périple où l’enfant de Missira tissera sa toile jusqu’à laisser une tache indélébile dans les cœurs, par sa façon de jouer. Ainsi, il a participé à toutes les campagnes des Aigles, comme les éliminatoires des différentes Coupes d’Afrique des Nations, les coupes Amilcar Cabral.
Djilla retient comme bons moments de sa carrière, au sommet de son art, sa première Coupe du Mali, les deux victoires en 1988 sur le Libéria de Georges Weah, le sacre historique des Aigles au tournoi Cabral que notre pays a abrité en 1989, où chaque joueur a reçu un lot à usage d’habitation et 400 000 Fcfa, son duel épique avec le Camerounais Makanaky en éliminatoires de la CAN de Sénégal 1992. Comme mauvais souvenirs ? Il y a en particulier les deux lourdes défaites des Aigles face aux Eléphants de Côte d’Ivoire en 1985 et en 1988.
Mais paradoxalement, nous avons été surpris d’apprendre de lui qu’avant d’intégrer le Stade malien dans les années 1977, il a évolué comme gardien de but et libéro dans les compétitions inter quartiers.
Gardien de buts reconverti
Né en 1961 à Bamako, Mohamed Djilla a fait ses premiers pas avec son ainé Modibo 10 dans l’équipe P.A.B de Missira, comme attaquant hors pair. Doté d’une technicité extraordinaire, le jeune ravageait tout sur son passage par ses dribles et alignait les victimes dans le quartier. Hostile aux défaites, à la suite d’un but anodin encaissé par son gardien de but, Djilla se rebella en décidant de le remplacer dans les buts. Ce fut pour de bon.
Durant deux ans, le nouveau gardien improvisé s’imposait à ce poste et commençait à émerveiller ses nombreux fans du quartier. Mais un coup dur l’obligea à abandonner ce poste. En effet, au cours d’un match, un coup franc fracassant le fit tomber en syncope et il a fallu des dizaines de minutes pour le réanimer. A son réveil, Mohamed Djilla mit fin à sa carrière de gardien de but et opta pour le poste de libéro. En 1976, il transféra dans une autre équipe Bi-Corpo qui regroupait pratiquement tous les jeunes de talent du quartier de Missira. Il n’y aura passé qu’un an avec l’entraineur Anzoumane N’Diaye. Une admiratrice du Stade malien de Bamako, Tenin Diarra, l’amena au club de Ben Oumar Sy pour y rejoindre, dans la catégorie des juniors, Gaoussou Samaké, Mamadou Coulibaly dit Kouicy, Yacouba Traoré dit Yaba. Le moment propice et attendu par Mamadou Kéïta « Capi » arriva. C’est-à-dire avoir le jeune Djilla sous ses yeux tous les jours pour le façonner en vue d’un bel avenir. C’est ainsi que Mamadou Keïta profitait des séances de décrassage de ses joueurs pour inspecter les juniors de l’autre côté du terrain, sur le site de l’actuelle Bsic, en face de l’immeuble Tomota (ex Imprimerie Niambelé). Sous la forme d’un examen de passage, il organisa un match d’entrainement entre les ainés et leurs cadets. But recherché : s’assurer qu’il pouvait compter sur certains jeunots de la catégorie d’âge du Stade malien de Bamako. Et Capi, très émerveillé par le duel Lassine Soumaoro-Mohamed Djilla, les festivals sporadiques de Gaoussou Samaké et les accélérations instantanées de Yaba, s’est dit avoir gagné son pari.
Mohamed Djilla, avec son jeune âge, était dans une peau de senior, lorsqu’un dimanche matin dans les rues de Missira, Capi lui annonça sa titularisation contre l’AS Réal. Quelques heures après, il se retrouva dans un système 4-4-2 avec Diofolo Traoré pour son premier match officiel, où l’occasion lui était donnée de confirmer tout le bien que les entraineurs et les dirigeants pensaient de lui. Son test réussi, le voilà désormais dans le giron de l’entraineur Capi. Loin d’être une étoile filante, Djilla laissera tout ce public sur sa faim. En pleine forme et après avoir remporté la Coupe du Mali en 1982, contre l’AS Biton de Ségou, Djilla s’envola pour Cuba. Il a bénéficié d’une bourse pour des études supérieures dans le pays de Fidel Castro. Une première page de l’histoire de l’enfant de Missira se referma pendant au moins deux années, au terme desquelles il retournera au Mali pour les vacances.
Boulot contre Cuba
Coup de théâtre : ses études ne sont pas terminées, mais Mohamed Djilla a décidé de ne plus partir à Cuba. Qu’est ce qui s’est passé ? L’enfant de Missira revient sur sa lourde responsabilité de rester à Bamako pendant que l’opportunité de s’offrir un diplôme supérieur est à portée de main : « Mes vacances en 1984 à Bamako ont coïncidé avec l’instauration du concours d’entrée à la Fonction publique. Les dirigeants me mettent la pression pour rester et je leur fais savoir que ce qu’ils envisagent est impossible. Comment pourrais-je abandonner mes études, à un pas du diplôme ? Ils me disent qu’avec la nouvelle donne pour intégrer la Fonction publique, il n’est pas évident que j’aie un boulot à mon retour de Cuba. Si jamais je m’entête à partir, ils ne seront pas à mes côtés à mon retour. A l’instant, ils me proposent un emploi garanti, mais à condition que je renonce à retourner à Cuba, parce que le Stade malien a besoin de moi. Ce n’était pas une décision facile à prendre. Avec de tels propos d’un dignitaire comme le général Amadou Baba Diarra, mon père avait pris peur. Finalement, je suis resté et très sincèrement les dirigeants du club m’ont proposé des emplois. Finalement j’ai été recruté aux Assurances Sabunyuman et j’y suis jusqu’au moment où je vous parle ».
La fin de son séjour cubain consacre également son ascension au Stade malien de Bamako où il est devenu l’homme de toutes les situations, dans les compétitions nationales et internationales. Il ne le quittera qu’en 1991, après avoir remporté quatre coupes du Mali : 1985-1986-1988-1990. Auparavant, il avait déjà dans son palmarès l’édition de 1982. Son dernier match date de la demi-finale de la Coupe du Mali, perdue par le Stade malien face à l’AS Mandé de la Commune IV de Bamako.
Convaincu qu’il pouvait continuer à apporter son expérience aux jeunes pousses, Djilla dit ne pas apprécier les murmures de certains dirigeants qui voulaient que les anciens se retirent au profit des jeunes. Puisqu’il est convaincu que l’amour du Stade coule dans ses veines comme son sang, il ne saurait être un problème à ce niveau.
Quelques années après sa retraite, on lui confie la barre technique de son ancien club. Il ne restera que pendant un an et demi. N’ayant pas accepté d’être relégué au second plan, pendant qu’il est l’entraineur titulaire, Djilla jette l’éponge. Par la suite, il assiste l’encadrement technique de l’équipe de la Commune II et puis de la Jeanne d’Arc.
Après toutes ces aventures, Mohamed Djilla se retire de la scène footballistique et s’emmure derrière un silence de carpe.
C’est dans ce silence que nous l’avons rencontré pour parler de sa carrière, sa retraite. Ce qui n’a pas été un exercice facile. Il nous a fallu taper à plusieurs portes pour le convaincre d’accepter de nous entretenir.
Victime de comportements discourtois de la part de certains dirigeants, Mohamed Djilla a pris ses distances. Sinon, il suffit de le rencontrer pour comprendre qu’il est un passionné du Stade malien de Bamako et des équipes nationales. Malgré son statut d’ancien joueur, il a de la peine à suivre un match de ces équipes à la télé.
Capi et Mahamadou Diarra
Une fois chez lui, les salutations d’usage nous ont tout de suite permis de comprendre que le fait de différer nos différents rendez- vous est loin d’être un mépris. Mais des principes liés à une gestion d’humeur. L’ambiance et l’accueil depuis la porte nous ont libérés pour lui poser la question sur son secret en tant que joueur infatigable, au point que les uns et les autres disaient qu’il a des poumons d’acier ? Mohamed Djilla soutient qu’il doit tout à Mamadou Keïta dit Capi, qui l’a encadré depuis son enfance dans le quartier populaire de Missira où il apprenait ses leçons dans la famille Keïta. Et c’est dans ses explications que Djilla n’a pas attendu qu’on arpente les escaliers (pour rejoindre l’étage où s’est tenu l’entretien), pour nous faire revivre quelques séances d’entrainement de Capi. Pour cela, il s’est servi des arbres de sa cour pour expliquer au détail comment Capi lui a inculqué les notions du déplacement et du placement. Djilla se souvient d’un système de Mamadou Keïta dit Capi : « A chaque fois que le stade menait une action offensive, sur l’un des deux couloirs animés par Kouicy ou Tidiani Konaté dit Konan ou sur les corners de Abdoulaye Kaloga, je devais toujours être en mouvement contraire avec Seydou Diarra Platini. C’est à dire que j’embarquais la défense adverse avec moi, pendant que Platini reste derrière pour marquer sans difficulté les buts à la réception des centres taillés sur mesure et vice versa. Durant tout le temps que nous avons fait avec Capi, aucun entraineur n’a pu déglinguer son système de jeu. C’est de telles choses qui font des grands entraineurs. Et Capi l’a été, cela est indéniable ».
Qu’en est-il de ses relations avec celui qui a pris son nom, c’est-à-dire Mahamadou Diarra ancien sociétaire de l’AS Réal de Bamako, de l’Olympique Lyonnais et du Réal Madrid ? Le vrai Djilla en est fier, parce qu’il est le fruit d’un amour, d’une admiration. En réalité, il est l’ami du frère de son homonyme Moussa Diarra dit Gigla (qui a pris aussi le nom de Moussa Traoré Gigla, ancien joueur du Stade et des Aigles). Comme il fréquentait la famille Diarra, l’admiration de celui qui deviendra par la suite son homonyme s’est cultivée à ce niveau. Les deux Djilla ont de très bons rapports et le cadet passe le voir pendant ses séjours à Bamako. Le grand Djilla a tenu à dire que grâce à Mahamadou Diarra, son nom est connu de tous à travers le monde. Cela le réconforte et l’enchante à chaque fois qu’il entendait son nom sur les chaines étrangères.
O. Roger Sissoko
Aujourd’hui-Mali