Mamadou Koné (mais les anciens et les habitants du quartier populaire de Médina Coura le reconnaîtront sous l’appellation de Binkè) est un athlète pluridisciplinaire, pour avoir été boxeur, sprinteur, lanceur de poids et de disque, et professeur d’Éducation physique et sportive (EPS). Âgé de 86 ans, il a fait ses premiers pas sous le Soudan français, avant de confirmer son talent après l’indépendance du Mali, en 1960. Aujourd’hui, entouré de ses petits-enfants, qui meublent son troisième âge, notre héros du jour témoigne qu’en leur temps le drapeau national avait un sens particulier. Lequel ? Le Vieux nous a reçus pour plus de détails.
Au second cycle fondamental, nous n’avions pas l’assise intellectuelle pour bien comprendre l’adage selon lequel “En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle”. Très jeune à l’époque, et pour tenter de donner un sens au proverbe, nous pensions aux grands parents, qui nous racontaient les contes et légendes. Mais notre présence dans la famille Koné à Medina Coura pour y rencontrer le chef Mamadou nous enseigne aussi que le vieux Amadou Hampathé Bah ne s’est point trompé dans sa pensée. Et pour cause ! Mamadou Koné est une véritable encyclopédie.
116 kg et bardé de diplômes
A 86 ans révolus, notre héros n’a aucun problème de vision (il lit d’ailleurs sans porter de verres correcteurs), ne prend aucun excitant, hormis le thé, et sa mémoire ne l’a pas non plus trahi. Cependant, sa santé est détériorée par le poids des ans et les conséquences de la pratique intense du sport.
Affectueusement appelé par ses enfants, ses petits-fils et arrières petits-fils Binkè (qui signifie “Oncle” en langue bamanan), Mamadou Koné est un sportif multidimensionnel, pour avoir été boxeur, sprinteur, lanceur de poids et de disque et professeur d’EPS. Aujourd’hui encore, il garde un physique imposant, qui démontre que sa passion pour le sport était prescrite à un niveau supérieur. C’est-à-dire dans son destin.
En effet, fraîchement rentré de l’ex URSS et muni d’un diplôme, on lui propose la douane pour être chef de poste à Koury, dans la région de Sikasso. Mais il décline l’offre, uniquement en raison de sa passion pour le sport.
Nous avons rencontré Mamadou Koné peu avant le crépuscule et, sans perdre de temps, la question relative à son statut de sportif pluridisciplinaire s’invite dans le débat.
Comment peut-on être boxeur, athlète, professeur d’éducation physique et sportive et s’illustrer dans toutes ces disciplines ?
Né le 23 juin 1932 à 13 h 15 à Bamako, Binkè dans son enfance jouait à la Jeanne d’Arc, jusqu’à son départ pour la Côte d’Ivoire, en 1942. Il était parti en vacances, son oncle l’a retenu pendant au moins quatorze ans. Au cours de son séjour abidjanais, son admiration pour Joe Louis, le boxeur noir américain (détenteur du plus long règne comme champion du monde de boxe, poids lourds), le poussa à s’essayer au ring. Vouloir étant pouvoir, il force l’apprentissage de la discipline. Parce que, selon lui, rien n’est plus contraignant pour l’homme que la pression d’un objectif à atteindre. Ainsi, Mamadou Koné intègre l’Athlétique Club d’Adjamé. Avec ses 116 kg, doté d’un physique qui lui permet d’encaisser des coups sans en pâtir, sa vélocité et sa vivacité lui ont permis de s’imposer. Ses coups de poing sont craints de tous ses adversaires, au risque de se faire défigurer ou déplacer la mâchoire. Rarement Binkè finissait les trois premiers rounds sans mettre l’adversaire K.O. Pour nous en administrer la preuve, Binkè fait sortir tous les diplômes de combat reçus en Côte d’Ivoire. A travers les colonnes de votre hebdomadaire préféré et cette rubrique, nous certifions que Mamadou Koné a été champion de Côte d’Ivoire durant tout son séjour.
Sa carrière à Abidjan est interrompue par la visite inopinée de sa maman. Nostalgique, voire souffrant de l’absence de son enfant, la vieille débarque dans la capitale ivoirienne avec une seule décision : rentrer avec son fils. Chose décidée, chose faite, sans anicroches ! Car, à l’époque, l’autorité parentale avait tout son sens. Sinon, Binkè nous a soufflé qu’il est retourné au Mali contre sa volonté.
Faute d’adversaire… !
Certes en Côte d’Ivoire, Mamadou Koné s’était déjà fait une renommée, mais au Mali, il n’était pas exclu qu’il mette du temps pour se faire une nouvelle histoire. Une fois dans le pays, la tournure des événements lui rappela que la valeur n’attend point… Il rejoint le Stade malien de Bamako. Ses succès en Côte d’Ivoire avaient dépassé les frontières. Sa venue au Mali coïncide, quelques mois après, avec le championnat d’Afrique occidentale française (AOF). Binkè va au Sénégal, mais retourne sans boxer, faute d’adversaire. D’après lui-même, sa réputation a fait peur. Face au refus de sa mère qu’il signe un contrat de boxe pour l’extérieur, et en l’absence d’adversaires potentiels au plan national et sous-régional, Mamadou Koné abandonne la discipline et vire dans l’athlétisme, avec comme spécialités le relais 4X100, le poids et le disque. C’est à ce titre qu’il est sélectionné la même année pour représenter l’Afrique au Festival mondial de la Jeunesse à Vienne, en Autriche.
Cet événement est inoubliable pour lui, témoigne notre héros, pour avoir d’une part compéti aux côtés des champions du monde en lancer, poids, disque et javelot, les frères Russes Tamara Press et Irina Press, et d’autre part pour avoir reçu une médaille d’encouragement de la part du Comité international olympique (CIO).
Au plan national, son parcours et son palmarès sont tellement riches que nous avons préféré en faire l’économie. Cependant, à travers ses attestations, la conclusion est que, de son retour de Côte d’Ivoire jusqu’à sa retraite, Binkè a engrangé plus de victoires que de défaites en athlétisme avec le Stade malien de Bamako, plus précisément avec le 4X100 relais, le lancer du poids et celui du disque.
En 1960, à l’occasion du Tournoi de l’Amitié, qui a regroupé le Mali, le Ghana et la Guinée, les trois merveilles (Pafouné Dakakono, Bakary Touré dit Samson et Mamadou Koné) créèrent la sensation dans le relais. Quelques minutes après, il portera son manteau de lanceur de poids et de disque pour offrir les médailles au Mali.
La même année, Binkè fait partie de la délégation malienne pour participer en Tchécoslovaquie au Tournoi d’Evzen Rosicky, du nom d’un athlète et journaliste tchèque spécialiste du 800m. C’est durant la deuxième guerre mondiale que celui-ci a été arrêté avec son père, Capitaine Nemo (un membre du réseau résistant), et exécuté le 25 juin 1942 à Prague.
A quelques heures de leur départ, les athlètes maliens ont reçu la visite du Président Modibo Keïta pour un message. Lequel ? Mamadou Koné se souvient : “Le Président Modibo est venu à l’internat à la Maison des jeunes pour nous demander de nous battre pour l’honneur de la patrie et du drapeau. Il a affirmé que l’État compte sur nous pour relever le défi de l’excellence. En guise d’encouragement, le Président Modibo a remis chacun de nous 2 500 F maliens. Cette visite du chef de l’État nous a requinqués le moral. Au-delà de l’émotion, sa présence a suscité une panique collective par rapport aux attentes du peuple malien. Dieu merci, nous avons fait flotter le drapeau malien en Tchécoslovaquie”.
Pour son cas précis, Binkè occupera la 3ème place sur 19 athlètes au classement général. Les Tchèques, épatés par la performance d’un Noir, font un livre sur sa vie sportive, qu’il garde jusqu’à présent et que nous avons contemplé. Ce n’est pas tout. La cantatrice Mogontafè Sacko de l’Ensemble instrumental du Mali, présente dans la capitale tchèque et reconnue pour son improvisation face à un événement, donnera un goût à son exploit. Elle anima une soirée pour rendre hommage aux porte-drapeaux maliens. De retour à Bamako, Binkè s’envole quelques semaines après pour Madagascar où devrait se dérouler un tournoi inter africain.
Après le lycée Terrasson de Fougère, les autorités maliennes lui accordent une bourse en 1961 sur l’ex URSS. Au bout de deux ans, il rentre au bercail avec son diplôme. Pour des raisons évoquées plus haut, il opte pour le Ministère des Sports, au détriment de la Douane. Son département de tutelle l’affecte au Lycée technique comme professeur d’EPS. Juste le temps de signer son attestation de prise de service, Binkè renoue avec les compétitions nationales et internationales, qui le conduiront au Ghana, au Sénégal, en Haute Volta et en Côte d’ivoire. Et ce jusqu’en 1972, date à laquelle il décida de mettre un terme à sa carrière d’athlète.
A 40 ans, l’âge et la fatigue commençaient à se faire sentir au niveau des nerfs. Surtout qu’il pratiquait le sport intense sans aucune précaution. L’essentiel pour lui était la défense du drapeau national.
Encadreur de présidents, ministres et généraux
Il consacre les premières heures de sa retraite sportive à la formation et à l’encadrement de ses cadets Namakoro Niaré et Oumarou Tamboura. Ses élèves de cette nouvelle époque ont pour noms Mme Traoré Seynabou Diop, l’actuelle ministre de l’Équipement et du désenclavement, Mme Sangaré Aminata Kéïta, Présidente de la Fédération malienne d’Athlétisme, Adiara Diarra (basketteuse) et Aïssata Guinto, qui était à l’époque athlète et basketteuse du Stade malien de Bamako.
En sa qualité de professeur d’éducation physique et sportive, Binkè a aussi eu la lourde responsabilité d’être le professeur de pédagogie en matière de sport du Président Amadou Toumani Touré, quand celui-ci était encore à l’École Normale Secondaire. En plus d’ATT, le vieux Mamadou Koné dit avoir été le professeur d’EPS de tous ceux-là qui sont passés par le Lycée technique au milieu des années 1960 et au début de celles de 1970. Entre autres, il cite l’ex entraineur des Aigles, feu Mamadou Kéïta dit Capi, les généraux Kafougouna Koné et Djilla, l’ex ministre feu général Sada Samaké, le général Boubacar Baba Diarra (ancien Président de la FEMAFOOT), l’ex Premier ministre Cheick Modibo Diarra, l’ex ministre feu Harouna Kanté. Comme on le constate, la plupart de ses anciens élèves ont été de grandes personnalités de ce pays. Ont-ils à un moment donné pensé à lui ? Binkè répond : ” … Beaucoup de mes anciens élèves ont occupé de hautes fonctions au Mali. Mais je n’ai jamais eu l’idée d’aller les voir pour leur évoquer quoi que ce soit. Cependant, à chaque fois que l’occasion fait que j’en rencontre un, l’émotion me dépasse, par la qualité de l’accueil et la considération. Cela me suffit énormément et me réconforte, pour la simple raison que je me rends compte d’avoir été utile à mon pays pour avoir contribué à la formation de ses cadres. Ce sont les mêmes sentiments qui m’ont animé quand j’ai été décoré en 2004 par le Président Alpha Oumar Konaré du Mérite de Chevalier de l’Ordre National, et par ATT six ans plus tard comme Officier de l’Ordre National du Mali”.
Après sa retraite sportive, en 1972, notre héros Mamadou Koné quittera la fonction publique le 31 décembre 1989. A 57 ans, il ne pouvait plus gambader ou lancer le poids à sa guise. Les muscles ont pris l’eau. Binkè se contente d’assister l’encadrement technique du Stade malien de Bamako pour former les jeunes. Finalement, les soucis de santé le forceront à arrêter.
En 1998, la situation se complique, avec une hernie discale qui l’a pratiquement paralysé. Il lui a faudra une intervention chirurgicale à Dakar pour recommencer à marcher. Chaque matin, il fait des séances de rééducation. Aujourd’hui, il consacre son temps à la lecture, à la radio, et surtout à faire le juge, l’avocat et l’arbitre entre ses petits-enfants. Ceux-ci ne le quittent pas du tout. Notre entretien était même parfois interrompu pour permettre à Binkè de trancher un conflit entre “ses compagnons”. Chaque soir, ils viennent récupérer auprès de leur grand-père des jetons, pour rendre visite aux vendeuses de la rue ou au boutiquier du coin.
Quand nous lui avons demandé s’il avait une explication à la réussite de sa carrière, Binkè a résumé ses exploits à trois clefs : la volonté de réussir, la discipline dans le comportement, les bénédictions de ses parents.
“IBK sera le président de la République”
Avec ses qualités exceptionnelles d’athlète complet, est -e qu’à un moment donné il a enregistré des défaites ? Mamadou Koné dit que c’est l’alternance des bons et mauvais moments qui fait la beauté de la vie. Autrement dit, il a connu des défaites, surtout lors du Tournoi de l’Amitié qui s’est déroulé en Haute Volta. Le plus grave acte serait de se laisser démoraliser par des faux pas, au risque de ne pas répondre à l’appel de l’État sous le drapeau.
Nous ne pouvions quitter notre héros sans lui poser la question de savoir si l’un de ses enfants lui avait emboité le pas. La réponse est naturellement oui. Son fils Kaba Issa Koné est un international basketteur, rentré d’Algérie il y a un moment avec son diplôme d’entraineur. L’enfant de ce dernier, Issa Koné dit Naby, est également basketteur et évolue actuellement en Thaïlande, avec à ses trousses des recruteurs de la NBA américaine. Mais son père ne veut rien précipiter. Deux autres petits-enfants de Binkè, à savoir Mahmoud Coulibaly et Boureima Traoré, sont des taekwondo yins. Comme pour confirmer que le vieux Mamadou Koné vit toujours sport, avec les coups de fil réguliers de tous ceux-ci pour prendre de ses nouvelles. Raison pour laquelle il suit d’ailleurs de très près l’actualité sportive du pays. La preuve est qu’il a trouvé spontanément au cours de notre entretien une transition pour parler de la crise du football malien. Sur la question, Mamadou Koné conseille au Président Ibrahim Boubacar Keïta de se méfier du football, parce que c’est une discipline sensible. Il lui donne ce conseil parce qu’en tant que Président de la République il doit pouvoir faire la part des choses face une situation qui se complique tous les jours. Mieux, Binkè a contribué à l’implantation du parti RPM dans son quartier. Les réunions du parti du Tisserand se tenaient chez lui. Et, au cours d’une de ces rencontres, l’un de ses petits-enfants, âgé à peine de cinq ans à l’époque, est descendu de ses pieds, pour se diriger directement vers IBK et lui dire qu’il serait le président du Mali. Ayant senti notre étonnement face à ses déclarations, Binkè est formel : “lorsqu’il lira ces lignes, le Président IBK se rappellera bien ce jour-là à Médina Coura, dans ma famille”. Cette révélation anecdotique met fin à notre entretien.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd`hui mali