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Quand la Justice de l’Union Africaine rattrape les auteurs de coup d’Etat militaire !

A première vue, il semble y avoir une ferme volonté de “traquer” les auteurs de coup d’Etat sur le continent africain. En effet, ceux-ci devraient être rattrapés par la justice de l’UA s’ils parvenaient à passer à travers les mailles du filet de la justice pénale nationale. Aussi est-il important de donner aux lecteurs des informations sur les points essentiels suivants : 1) la création et la structure de la nouvelle cour africaine de justice ; 2) les 14 crimes punissables ; 3) le crime de « changement anticonstitutionnel de gouvernement » ; 4) l’immunité pénale des chefs d’Etat ou de gouvernement ; 5) les peines applicables aux auteurs de coup d’Etat ; 6) la possibilité ou non de juger  les auteurs des coups d’Etat commis en 2012 et 2020 au Mali ; 7) un avis juridique sur le sort des anciens et futurs auteurs de coup d’Etat au Mali.

 

  1. Création et structure de la nouvelle Cour africaine de justice

1) l’UA a créé en 2008 sur le papier une nouvelle Cour Africaine de Justice et des droits de l’homme, qui doit remplacer l’actuelle Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples ; 2) on attend toujours la ratification de son texte de création par 15 pays membres de l’UA pour voir concrètement mise en place la nouvelle juridiction. NB : on en est à 8 ratifications à ce jour ; 3) celle-ci sera composée et cela est nouveau, de 3 sections : La Section des affaires générales : elle sera chargée de régler toutes les affaires et tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet : a) l’interprétation, l’application ou la validité de textes juridiques internationaux ; b) toute question de droit international ; c) la responsabilité internationale des Etats membres et de l’UA ; d) les actes de droit communautaire primaire et dérivé. La section des droits de l’homme et des peuples : elle sera chargée de régler toute affaire relative aux droits de l’homme et des peuples. La section du droit international pénal: elle sera chargée de régler toute affaire relative aux 14 crimes définis dans le statut de la Cour ;

4) pour une fois, selon l’article3 du statut de la cour les 16 juges qui seront élus, sont censés être de « véritables spécialistes » de droit international ; c’est-à-dire des « personnes dont la compétence et l’expérience sont reconnues en droit international, en droit international des droits de l’homme, en droit international humanitaire, ou en droit international pénal » ; il y aura 3 listes de candidats A,B et C correspondant à ces domaines de compétence.

  • Les 14 crimes punissables par la nouvelle cour africaine de justice

Il est important de savoir que dans sa branche pénale, la nouvelle Cour Africaine sera compétente pour poursuivre et juger les auteurs de 14 crimes incluant les 4 crimes de la CPI. Il s’agit des crimes suivants : 1) Génocide ; 2) Crimes contre l’humanité ; 3) Crimes de guerre ; 4) Crime relatif au changement anticonstitutionnel de gouvernement ; 5) Piraterie ; 6) Terrorisme ; 7) Mercenariat ; 8) Corruption ; 9) Blanchiment d’argent ; 10) Traite des personnes ; 11) Trafic illicite de stupéfiants ; 12) Trafic illicite de déchets dangereux ; 13) Exploitation illicite des ressources naturelles ; 14) Le crime d’Agression. NB : cette liste peut s’étendre à d’autres crimes afin de refléter le développement du droit international.

Remarque importante : il est important de savoir ici que la nouvelle Cour Africaine va fonctionner suivant le principe dit de « complémentarité », selon lequel c’est la justice pénale nationale qui a la priorité, la Cour ne devant intervenir qu’en cas de défaillance de celle-ci, soit parce que l’Etat n’a pas la volonté politique de poursuivre ou juger, soit parce que l’appareil judiciaire n’est pas matériellement en état de fonctionner.

  • Définition du crime relatif au changement anticonstitutionnel de gouvernement 

Aux termes de l’article 28E du statut de la nouvelle cour africaine de justice, le « changement anticonstitutionnel de gouvernement » signifie le fait de commettre ou d’ordonner de commettre les actes suivants, avec l’intention d’accéder ou de se maintenir illégalement au pouvoir :

  1. un putsch ou un coup d’Etat militaire perpétré contre un gouvernement démocratiquement élu ;
  2. toute intervention de mercenaires visant à renverser un gouvernement démocratiquement élu ;
  3. toute intervention de dissidents armés ou de mouvements rebelles ou à travers l’assassinat politique destinée à renverser un gouvernement démocratiquement élu ;
  4. tout refus d’un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat sorti vainqueur d’élections libres, justes et régulières :
  5. tout amendement ou révision de la constitution ou des instruments juridiques, considéré comme une violation des principes du changement démocratique de gouvernement ou non conforme à la constitution ;
  6. toute modification substantielle des lois électorales durant les 6 mois précédant les élections sans le consentement de la majorité des acteurs politiques. NB : l’expression « un gouvernement démocratiquement élu » est définie conformément aux instruments juridiques de l’U.A.
  7. Question de l’immunité de juridiction pénale des chefs d’Etat ou de gouvernement : selon le paragraphe 3 de l’article 28 A du statut de la nouvelle cour africaine de justice « les crimes relevant de la compétence ou dévolution à la cour ne doivent souffrir d’aucune limitation ». mais cet enthousiasme est vite émoussé par les termes de l’article 46 A bis intitulé « immunités », selon lequel : « Aucune procédure pénale n’est engagée ni poursuivie contre un chef d’Etat ou de gouvernement de l’UA en fonction, ou toute personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout autre haut Responsable public en raison de ses fonctions »

Application concrète : si des militaires venaient à prendre le pouvoir dans un pays membre de l’UA, en leur appliquant l’article 46 A bis du statut de la cour, voici ce que cela donne :

  1. ils doivent exercer l’effectivité du pouvoir politique ; car c’est bien la seule chose qui intéresse ici le droit international, et non la légitimité ou la légalité ou la reconnaissance d’un gouvernement de “facto” issu d’un coup d’Etat ;
  2. pendant toute la durée de l’exercice effectif du pouvoir politique, aucune procédure pénale ne pourra être engagée contre les dirigeants militaires auteurs du coup d’Etat devant la nouvelle cour de justice ;
  3. il faudra donc attendre la fin effective de leurs fonctions politiques pour pouvoir les attaquer devant la Cour ;
  4. c’est ce qui ressort de l’esprit et de la lettre de l’article 46 A bis du statut de la Cour

Droit de l’UA : un recul par rapport au droit de la CPI

La position de la CPI sur la question de l’immunité des chefs d’Etat est définie par l’article 27 du statut de Rome intitulé « Défaut de pertinence de la qualité officielle ». Elle s’articule autour des règles suivantes :

  1. le statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ;
  2. en particulier, la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ;
  3. les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne

Cas du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie au TPIY : de façon éclatante, ce Tribunal a eu l’occasion de mettre en application le principe de l’absence d’immunité d’un chef d’Etat y compris en fonction, principe contenu dans l’article 7 de son statut – voir l’affaire Slobodan Milosevic en 1999.

Point focal de la discussion sur l’immunité de juridiction pénale des chefs d’Etat :

  1. il y a une règle de droit international coutumier selon laquelle un chef d’Etat ne peut pas être jugé par les tribunaux pénaux d’un Etat étranger. C’est ce qu’on appelle l’immunité de juridiction pénale étrangère. Mais, il ne faut pas faire un contresens ici, car l’immunité n’est synonyme ni d’impunité ni d’irresponsabilité. Cette interdiction faite aux juridictions d’un Etat de juger un autre Etat découle du fameux principe de l’égalité souveraine des Etats. C’est le principe de base qui sous-tend tout le droit des immunités
  2. or, cette considération d’égalité étatique souveraine disparaît devant une juridiction à caractère international ; en tout cas dans la mesure où cette juridiction exerce sa compétence à l’égard du chef d’un Etat à l’égard duquel elle a reçu compétence. C’est la solution confirmée par la CPI dans sa décision du 4 mars 2009 de délivrer un mandat d’arrêt international contre le Président Soudanais Omar Al-Bashir ;
  3. lorsque les poursuites dirigées contre le chef d’Etat émanent d’une juridiction internationale, constituée par traité, l’immunité n’est pas invocable, par dérogation à la règle coutumière. Exemple : la chambre d’Appel du Tribunal spécial pour la sierra Leone  considéré le 31 mai 2004 que Charles Taylor ne pouvait pas se prévaloir de son ancien statut de Chef d’Etat pour se soustraire aux poursuites engagées contre lui devant ce tribunal dès lors que ce dernier constituait une juridiction internationale. NB : cette solution fait reposer le rejet de l’immunité non pas sur la nature de l’infraction reprochée, comme l’a fait le TPIY, mais bien sur la nature internationale de la juridiction ;
  4. une autre question plus problématique se pose : celle de savoir si l’immunité doit également tomber lorsqu’une ordonnance de comparaître à seule fin de témoignage est adressée par une juridiction internationale à un chef d’Etat en exercice. NB : la jurisprudence des juridictions pénales internationales n’est pas fixée sur ce point :
  5. Les peines applicables aux auteurs de coup d’Etat par la nouvelle cour africaine de justice :

Conformément à l’article 43 A du statut de la Cour intitulé « Peines et amendes infligées conformément à la compétence pénale internationale de la Cour » : 1) celle-ci rend le jugement et prend à l’encontre des personnes reconnues coupables de crimes de portée internationale des peines et/ou amendes, autres que la peine de mort ; 2) les peines prononcées par la section du droit international pénal de la Division de première instance de la Cour doivent être limitées à l’emprisonnement et/ou à des amendes financières ; 3) les peines et/ou les amendes sont rendues en public et lorsque cela est possible, en présence de l’accusé ; 4) en imposant la peine et/ou en fixant les amendes, la Cour doit tenir compte des facteurs tels que la gravité du délit et la situation personnelle de la personne déclarée coupable.

  • Les auteurs de coup d’Etat de 2012 et 2020 au Mali pourront-ils être poursuivis devant la nouvelle cour africaine de justice : arguments pour et contre.
  • Argument a priori pour : conformément au paragraphe 3 de l’article 28 A du statut de la Cour, le crime de coup d’Etat ne doit souffrir d’aucune limitation. En en faisant une interprétation textuelle stricte, cela signifie prima facie que ce crime peut être puni quelles que soient les conditions dans lesquelles il a été perpétré, c’est-à-dire ratione personae, temporis et loci.
  • Arguments solidement contre : il y en a au moins deux : a) le statut de la Cour n’a pas déclaré le coup d’Etat « crime imprescriptible » ; b) mais surtout, conformément à l’article 46 E du statut de la Cour intitulé « compétence ratione temporis » : i) la Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa compétence commis après l’entrée en vigueur du statut ; c’est le fameux principe de la non-rétroactivité de la loi pénale ; ii) si un Etat devient partie au statut après son entrée en vigueur, la Cour ne peut exercer sa compétence qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du statut pour cet Etat. Commentaire : à supposer que ce soit le cas du Mali, alors, seul un coup d’Etat commis après cette entrée en vigueur individuelle du statut sera punissable par la Cour.
  • Conclusion-Sort des anciens et futurs auteurs de coup d’Etat au Mali devant la nouvelle cour africaine de justice: 1) Sort des auteurs de coup d’Etat de 2012 et 2020 : une certitude juridique absolue : ils n’ont et n’auront aucune inquiétude à se faire, car ils sont et seront couverts et protégés par l’article 46 E du statut de la nouvelle Cour ; 2) Sort des futurs auteurs de coup d’Etat : entre la certitude juridique de principe d’être rattrapés par l’article 46 E et l’incertitude d’y échapper par le biais de l’application éventuelle du principe de  complémentarité prévu à l’article 46 H du statut de la Cour par le Mali.

Par Dr Salifou Fomba

Professeur de droit international à la retraite ; Ancien membre et vice-président de la commission du droit international de l’ONU à Genève ; Ancien membre et rapporteur de la commission d’enquête du conseil de sécurité de l’ONU sur le génocide au Rwanda ; Ancien conseiller technique au ministère des affaires étrangères, au ministère des maliens de l’extérieur, au ministère des droits de l’homme et des relations avec les institutions.

Source : Nouvel Horizon

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