Dans un entretien qu’il nous a accordé, Professeur Emile Dabou, Doctorant en Linguistique française de l’université Cheick Anta Diop de Dakar, a fait savoir que la problématique de la valorisation des langues nationales au Mali est due au déficit de financement dans la recherche.
Les Echos : Qu’est-ce que la linguistique ?
Pr Emile Dabou : La linguistique consiste à étudier une langue de manière scientifique. Elle n’apprend pas comment parler une langue, mais elle permet de comprendre la langue dans son fonctionnement au niveau phonétique, phonologique, morphologique et syntaxique.
Les Echos : Quels sont les domaines dans lesquels l’intervention d’un linguiste est requise ?
Pr ED : Aujourd’hui, la linguistique est un domaine d’étude très vaste, en ce sens qu’elle renferme plusieurs spécificités en termes de discipline. Vous avez la linguistique restrictive ou normative. Cette linguistique concerne la grammaire. Vous avez aussi la sociolinguistique qui s’intéresse plutôt aux rapports entre langue et société. Au fil du temps, la linguistique va aussi s’intéresser à l’analyse du discours, notamment le discours politique, religieux ou de la presse etc. Au regard de ce que je viens d’évoquer, on peut dire, sans jeter des fleurs au linguiste, qu’il est un pluridisciplinaire. A cet effet, le linguiste peut servir dans les facultés d’enseignement supérieur, ce qui est d’ailleurs son domaine de prédilection. Il peut enseigner au supérieur, il peut servir aussi dans le domaine de l’interprétation, de la traduction etc. En outre, les linguistes sont également des conseillers pour les gouvernements dans la promotion de la politique linguistique de leur pays, notamment dans la valorisation des langues nationales. Voici, entre autres, quelques débouchés de la linguistique.
Les Echos : Quelles sont les qualités et les compétences indispensables si on veut devenir linguiste ?
Pr ED : Dans tous les domaines d’étude ou d’activité, il faut tout d’abord avoir l’amour de ce que l’on fait. Du coup, celui qui veut devenir linguiste doit lire beaucoup, précisément les productions scientifiques dans le domaine de la linguistique. Il doit aimer et s’intéresser aux différentes cultures des peuples car, dit-on, la langue est le reflet de la culture.
Les Echos : Quelle est votre définition d’une formation linguistique idéale ?
Pr ED : Une formation linguistique idéale passe nécessairement par des confrontations des résultats de recherche dans des laboratoires de langues. Il faut créer et équiper les laboratoires de langues et financer surtout la recherche. Il faudrait sortir entre les 4 murs des amphithéâtres pour aller sur le terrain. Du coup, les nations qui veulent vraiment contribuer à de très bonnes formations en linguistique doivent surtout financer la recherche pour que les chercheurs puissent aller sur le terrain et examiner le mécanisme de fonctionnement des langues ; et qu’après, ces chercheurs se retrouvent dans des laboratoires de langues équipés en termes d’outils pédagogiques et didactiques afin de confronter les résultats des recherches obtenus pour l’amélioration des recherches en termes linguistiques.
Les Echos : Qu’est-ce qu’un laboratoire de langues ?
Pr EK : Un laboratoire de langue est une structure dédiée à l’étude des langues. Il faudrait que ces laboratoires soient équipés en termes d’outils didactiques, surtout en linguistique. Elles servent aux chercheurs en linguistique de se retrouver et d’échanger sur les résultats des recherches sur le terrain en termes de langues.
Les Echos : Les nouvelles technologies ont-elles un impact sur la profession ?
Pr ED : Aujourd’hui, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont indispensables dans tous les domaines d’activités. Donc, elles s’imposent à tous aujourd’hui. Concernant la linguistique, elles peuvent avoir des impacts positifs tout comme négatifs. En termes d’impacts positifs, aujourd’hui, tout est basé sur la linguistique ; même ces nouvelles technologies trouvent leur fondement dans la linguistique. Par exemple, quand vous prenez le domaine de la programmation, les programmeurs vont nécessairement travailler avec le linguiste, donc, déjà, il y a un aspect de coopération entre nouvelles technologies et linguistique ; mais si vous prenez certains domaines de la linguistique tels que la neurolinguistique, c’est un domaine médical qui ne peut pas aller sans un bagage en informatique. Ce sont les rapports entre la linguistique et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les nouvelles technologies viennent aujourd’hui aider les linguistes dans le traitement des données, et on peut avoir accès à presque tous les claviers dans les différents alphabets des différentes langues.
Comme impact, vous avez aujourd’hui la sociolinguistique qui s’intéresse aux influences de la société sur les langues. Si nous prenons les réseaux sociaux tels que Facebook, WhatsApp et autres, vous voyez comment les gens, notamment la jeunesse, à travers les shorts messages, SMS et autres, communiquent. Donc, ce sont des éléments qui intéressent le sociolinguiste, par exemple, pour voir est-ce que ces façons d’écrire la langue désormais sont des procédés d’enrichissement ou d’appauvrissement des langues. Les gens ne respectent plus la rigueur syntaxique de la langue sur les réseaux sociaux ; cela intéresse beaucoup le sociolinguiste.
Les Echos : Quel conseil donneriez-vous à une personne qui voudrait se lancer dans ce domaine ?
Pr ED : Pour se lancer dans le domaine de la linguistique, il faut être un amoureux des langues dans lesquelles vous pourrez travailler. Du coup, il faut aimer les langues et se donner tous les moyens pour se cultiver davantage dans les langues, respecter la grammaire, surtout la syntaxe pour pouvoir mieux réussir dans sa carrière de linguiste. Donc, il faut avoir l’amour de la langue, être très curieux et surtout lire beaucoup, s’intéresser surtout aux publications et aux productions scientifiques dans le domaine de la linguistique.
Les Echos : Y a-t-il au Mali un budget conséquent pour la valorisation des langues nationales ?
Pr ED : Au Mali, la recherche est piétinée. La recherche n’est pas du tout prise au sérieux, donc, les financements se font très rares par rapport à la recherche. On ne peut pas comprendre qu’on veuille valoriser les langues nationales, et qu’en même temps, il n’y ait pas de budget conséquent pour ce travail. C’est cela toute la problématique de la valorisation des langues nationales. Il faudrait que les décideurs s’engagent à mettre à la disposition des chercheurs les moyens adéquats pour qu’ils puissent faire face à la recherche et apporter des réponses en ce qui concerne notre politique de linguistique générale.
Les Echos : Avez-vous un dernier mot ?
Pr ED : La linguistique est un domaine qui aujourd’hui ne peut pas être en reste de l’évolution de notre humanité puisque tout repose sur la communication, et les êtres humains communiquent par le moyen du verbe. Le verbe, c’est soit à l’oral par la parole ou le drastique à l’écrit. Donc, j’invite les décideurs, les dirigeants de notre pays à beaucoup investir dans ce domaine pour la valorisation de nos langues nationales pour que, dans les jours à venir, nous puissions voir nos langues nationales également se hisser sur la scène internationale.
Propos recueillis par
Maffenin Diarra
Source: Les Échos- Mali