La diminution des prix du carburant n’entraine pas vers le bas les prix des produits de consommation, du transport ou de l’électricité. Au grand dam des consommateurs mais pas des spécialistes
Le pétrole et ses produits dérivés jouent un rôle fondamental dans les activités économiques et dans la vie quotidienne de chacun de nous. De ce fait, l’approvisionnement correct et ininterrompu du pays constitue une priorité nationale.
Le marché du pétrole connaît depuis 2014, une chute des prix qui se prolonge et s’amplifie. Si les pays producteurs d’hydrocarbures font actuellement face à des tensions de trésorerie en raison de la faible diversification de leurs économies, du côté des pays non producteurs comme le nôtre, cette dégringolade des cours de « l’or noir » contribue à alléger considérablement la facture énergétique du pays. Le Mali paie ainsi moins cher son approvisionnement en hydrocarbures. Cette situation économique favorable devrait normalement être ressentie par le consommateur. Quels sont les impacts réels de la baisse des prix du pétrole sur la structure du marché national ?
Importateur de produits pétroliers, notre pays est aussi handicapé par son enclavement et l’immensité de son territoire. Son approvisionnement dépend totalement des importations. Le volume des importations dans le secteur des carburants a atteint 900 millions de litres par an pour une facture s’élevant à plus de 300 milliards de Fcfa. Ainsi, la fluctuation à la baisse amorcée depuis deux ans a un impact positif certain sur notre pays. Sur le plan macroéconomique, la facture pétrolière du pays subit une baisse significative. Mieux, les finances publiques font des économies du fait de l’arrêt des exonérations pétrolières pratiquées en période de hausse des prix. Souvent les efforts de l’État pour maintenir les prix à un niveau acceptable occasionnent un manque à gagner de plus de 45 milliards de Fcfa par an. Sur le plan microéconomique, cette baisse est aussi sensée produire un important changement dans le quotidien des Maliens à travers plusieurs secteurs utilisant les hydrocarbures.
A l’Office national des produits pétroliers (ONAP), chargé de l’approvisionnement, de la maîtrise des prix à la pompe et du développement du sous-secteur, l’on souligne l’importance des baisses de tarifs décidées par l’État. Le directeur général, Zoumana Mory Coulibaly, assure que cette chute drastique des cours du pétrole a un impact réel sur notre pays. « D’abord les prix à la pompe ont subi des baisses successives depuis août 2015 passant de 759 Fcfa/litre à 750 puis 740, 731 puis 724, 714 et maintenant 705 Fcfa/litre soit (-9 Fcfa, -10 Fcfa, -9 Fcfa, -7 Fcfa, -10 Fcfa et – 9 Fcfa) soit une baisse globale cumulée de – 54 Fcfa. Pour le Gasoil, la baisse est de moins 48 Fcfa et le prix à la pompe est passé de 660 Fcfa à 612 Fcfa », a-t-il détaillé.
Il faut savoir que les prix à la pompe sont gérés dans notre pays par une commission de régulation des prix à travers un mécanisme de fixation. Cette commission comprend en plus des agents techniques de l’État, les importateurs pétroliers, les acteurs de la chaîne de vente ainsi que la douane, les impôts, le budget, etc. Ainsi, la régulation des prix se fait en fonction du prix fournisseur. Et l’État, en fonction de l’évolution des cours (hausse ou la baisse), joue sur la Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Ainsi quand les cours du pétrole sont en hausse, l’État renonce à une grande partie de cette taxe. Actuellement avec la baisse drastique, elle applique correctement la réglementation douanière en matière d’hydrocarbures.
PAS D’IMPACT PALPABLE. Il faut dire qu’au vu de la complexité des intérêts en jeu au sein des différentes parties prenantes du commerce des produits pétroliers, cette maîtrise des prix a été une solution louable pour permettre aux consommateurs d’accéder aux hydrocarbures à un prix acceptable de 2002 à 2012. Le contrôle des prix avait permis également de maitriser les prix dans les secteurs évoluant avec les hydrocarbures. Ainsi, aujourd’hui avec la baisse du cours du pétrole et la fluctuation à la baisse du niveau à la pompe, les consommateurs s’attend naturellement à une baisse dans beaucoup de secteurs et sur beaucoup de produits.
Le transport, l’industrie, l’énergie, les bâtiments et les travaux publics sont des secteurs stratégiques qui dépendent beaucoup des produits pétroliers. Cependant, depuis la baisse du prix à la pompe amorcée en août dernier, les produits et services proposés par ses secteurs n’ont connu aucun changement de prix au grand dam des consommateurs.
Mamoutou Keita, un chef de famille croisé dans une station d’essence, n’hésite pas à exprimer sa déception. « Au début, j’avais perçu cette baisse de prix comme une aubaine pour nos foyers. Mais avec un peu de recul, je pense qu’elle n’est pas assez significative pour avoir un impact sur nos dépenses. En effet, la principale dépense de la famille tourne autour du transport des enfants à l’école, des frais d’eau et d’électricité. Malheureusement ni les frais de transport, ni le facteur eau et électricité n’ont diminué. Au contraire, l’électricité a même augmenté. Alors que dans des pays voisins comme la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso, ces secteurs connaissent une revue à la baisse des prix depuis l’amorce de la baisse des cours. Pire, il n’y a même pas l’espoir d’une éventuelle baisse dans ces secteurs », analyse notre interlocuteur.
Mme Sidibé Aissata Touré, mère de famille, déplore le fait que la hausse du pétrole entraîne la flambée des prix mais que sa baisse ne provoque jamais le mouvement contraire. « Chez nous, il n’y a pas une culture de la baisse des prix. En 2002, les brasseries ont augmenté leurs prix de 25 Fcfa pour la CAN, mais après, les prix sont restés au même niveau. Aujourd’hui, les cours du pétrole ont baissé de plus de 60%, mais ni le transport, ni l’électricité d’EDM qui bénéficie d’une exonération totale pour toute importation d’hydrocarbures, ni même les produits industriels ne connaissent une baisse. C’est Dieu seul qui peut sauver les Maliens », lance-t-elle très remontée.
Du côté des transporteurs, l’on indique sans détour qu’une baisse des tarifs n’est pas à l’ordre du jour. Pour Youssouf Traoré, le président du Conseil malien des transports, la baisse des prix des produits pétroliers à la pompe n’est pas assez significative pour être répercutée sur les frais de transports. « Les prix affichés à la pompe sont nettement en deçà du seuil normal pour engendrer une baisse. La baisse à la pompe doit atteindre au moins à 30 à 35% pour occasionner une diminution de nos tarifs. De 2002 à 2012, le prix du carburant a augmenté de 80% mais avec les efforts de l’État, les frais de transport sont restés à un niveau acceptable », explique-t-il.
Les consommateurs souhaitent aussi voir le prix de l’électricité baisser. Sur cette question, un économiste expert du secteur, explique que le parc de production énergétique de notre pays coûte très cher parce qu’il consomme essentiellement des produits pétroliers. C’est toute la signification de la politique de stabilisation mise en place par notre pays pour pouvoir baisser les coûts de production. « L’État est obligé de subventionner l’électricité pour permettre une production quantitative et assurer la viabilité de l’EDM à travers une exonération totale des importations de l’entreprise en hydrocarbures. Cependant de 140 dollars le baril, le pétrole a chuté jusqu’à 35 dollars le baril aujourd’hui. Naturellement cela doit se sentir sur le prix à la consommation mais malheureusement ce n’est pas le cas et ça ne le sera peut-être jamais », analyse notre interlocuteur qui estime que les industriels aussi sont confrontés au problème du niveau élevé des tarifs de l’électricité. Ce qui les met dans une situation d’insuffisance endémique de compétitivité. Ceux-ci aussi fondent beaucoup d’espoir sur une éventuelle baisse significative du coût de l’énergie (entre 20 et 30 % au moins de l’électricité) pour pouvoir développer leurs activités.
L’expert se réjouit par contre de la politique de diversification des sources d’approvisionnement mise en place par notre pays et surtout du dynamisme des opérateurs pétroliers privés nationaux pour assurer l’approvisionnement correct du pays. Il reconnait que l’État a fourni des efforts appréciables lors de la flambée des cours de « l’or noir » de 2010 à 2013. Ces efforts ont permis de maintenir les prix des hydrocarbures à la portée de la bourse du consommateur.
D. DJIRE
Source : Essor