Le premier témoin dans le procès Fifa a brossé mardi un tableau accablant de la corruption au sein du football sud-américain, avec des millions de dollars de pots-de-vin payés pour les droits télé des tournois du continent ou pour choisir des pays-hôtes de la Coupe du monde.
Le témoin, Alejandro Burzaco, dirigeait, depuis 2006 et jusqu’à son inculpation par la justice américaine en mai 2015, une puissante société argentine directement impliquée dans de multiples contrats de droits télé en Amérique du Sud, et au coeur de ce système.
M. Burzaco, qui à la tête de “Torneos y Competencias” fréquentait tous les grands du football sud-américains, a plaidé coupable en novembre 2015 et coopère avec la justice américaine en attendant sa condamnation.
Interrogé par le procureur Samuel Nitze, Alejandro Burzaco – qui était proche du très puissant président de la fédération argentine de football Julio Grondona, décédé en 2014 – a expliqué comment sa société avait participé des années durant au paiement de millions de dollars de pots-de-vin aux responsables de la confédération sud-américaine du football, Conmebol.
– Des télévisions en accusation –
Ces millions permettaient d’obtenir ou de conserver, face à une concurrence féroce, de juteux contrats de droits télé pour la diffusion internationale de ce sport-passion. Les montants de ces contrats n’ont cessé d’augmenter ces dernières années.
Devant les jurés, M. Burzaco a aussi affirmé que de nombreuses chaînes télévisées et sociétés audiovisuelles payaient ces pots-de-vin, dont la brésilienne TV Globo, l’américaine Fox Sports ou l’espagnole Mediapro.
Le président de la Conmebol, le Paraguayen Nicolas Leoz, et ses lieutenants, Julio Grondona et Ricardo Teixeira, ex-président de la fédération brésilienne, auraient reçu notamment quelque 600.000 dollars par an en échange de contrats liés aux tournois de la Copa Libertadores (l’équivalent de la Ligue des champions en Amérique du Sud) et de la moins prestigieuse “Copa suramericana”. Et plusieurs millions supplémentaires pour des contrats ciblés.
Membres du comité exécutif de la Fifa, ces trois hommes pouvaient aussi être rémunérés pour leur vote lors des choix des pays-hôtes des Coupes du monde, a laissé entendre M. Burzaco.
– Rappel à l’ordre dans les toilettes –
Il a ainsi raconté comment MM. Teixeira et Grondona avaient “secoué” Nicolas Leoz dans les toilettes au siège de la Fifa à Zurich en décembre 2010, parce qu’il ne votait pas comme convenu pour le Qatar en 2022.
“Qu’est-ce-que tu fais? Qui ne vote pas pour le Qatar?” lui auraient-ils demandé. De retour dans la salle après ce rappel à l’ordre, la candidature du Qatar l’a finalement emporté.
Face à cette corruption endémique, les trois accusés du procès new-yorkais ne faisaient pas exception, a assuré M. Burzaco, qui a affirmé leur avoir versé des pots-de-vin: à savoir l’ex-président de la puissante fédération brésilienne, José Maria Marin, 85 ans; Manuel Burga, qui dirigea la fédération péruvienne de 2002 à 2014 et ex-membre du comité de développement de la Fifa, 60 ans; et Juan Angel Napout, ex-président de la fédération paraguayenne et de la Conmebol, 59 ans.
Selon M. Burzaco, M. Marin aurait notamment reçu à partir de 2012 quelque 300.000 dollars par an de pots-de vin, avant que cette somme ne soit augmentée à 450.000 dollars.
– Voyages réguliers à Zurich –
Sur les 42 personnes visées par la justice américaine dans ce scandale, les trois hommes – qui ont écouté avec attention l’interrogatoire de M. Burzaco – sont les seuls à être jugés dans ce procès censé durer six semaines. Ils risquent des peines de plus de 20 ans de prison.
Vingt-quatre autres personnes, dont M. Burzaco, ont plaidé coupable. Les autres sont soit poursuivies par la justice de leur pays, soit luttent contre leur extradition aux Etats-Unis.
M. Burzaco, dont l’interrogatoire devait continuer mercredi, n’a pas impliqué mardi de responsable du football européen.
Lui qui se rendait régulièrement au siège de la Fifa à Zurich, où le scandale a éclaté en mai 2015, a juste été appelé par le procureur à identifier des photos de certains d’entre eux: l’ex-président de la Fifa Sepp Blatter, son ex-bras droit Jérome Valcke, ou encore le président du PSG et patron de BeIN Media, Nasser Al-Khelaïfi.
MM. Valcke et Al-Khelaïfi sont actuellement dans le collimateur de la justice suisse pour des allégations de corruption autour de l’attribution de droits télé des Coupes du monde 2026 et 2030, qu’ils démentent.
M. Blatter est entendu comme témoin par la justice française qui enquête sur des soupçons de corruption dans l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022.
(©AFP / 15 novembre 2017 09h13)