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Pourquoi la France compte sept dates de commémoration de l’abolition de l’esclavage

Si la journée nationale, dont François Hollande a profité pour inaugurer le Mémorial ACTe, est fixée au 10 mai, d’autres dates existent: le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe… Un reflet de la complexité de l’histoire de l’abolition de l’esclavage.

François Hollande a inauguré en Guadeloupe, dimanche 10 mai, le Memorial ACTe. Ce Centre caraïbéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage va être le plus important lieu de ce type en France.

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Le choix de la journée était symbolique et, comme souvent en la matière, tout sauf anodin, puisque le 10 mai est la «Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition». D’ailleurs, si le Mémorial ACTe s’est initialement construit autour d’une date, ce fut plutôt celle du 27 mai, jour de commémoration de l’abolition en Guadeloupe. Ce sont des 27 mai que les premières pierres du Mémorial furent posées: une première pierre symbolique en 1998 par le Comité international des peuples noirs (CIPN) puis une plus concrète en 2008 par la région Guadeloupe, qui avait pris en main le projet, né de volontés locales. «On peut analyser le choix d’une inauguration le 10 mai comme une façon de réaffirmer le lien avec le national», commente Myriam Cottias, historienne et présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE).

Depuis son instauration en 2006, le 10 mai tend à s’imposer comme une date nationale dans un calendrier de commémorations complexe où local et national s’entremêlent, non sans quelques piégeuses coïncidences.

Délai d’arrivée de la nouvelle

Des jours de commémoration de l’abolition de l’esclavage existent dans les DOM depuis 1983, où ils sont fériés. Ce ne sont pas des 10 mai et ils diffèrent d’un DOM à l’autre: 27 mai en Guadeloupe, 22 mai en Martinique, 10 juin en Guyane, 20 décembre à la Réunion, 27 avril à Mayotte.

Ces jours fériés ont été institués par une loi de 1983. «C’était une demande des assemblées locales, entérinée par Mitterrand après son arrivée au pouvoir. Une circulaire détermine ces jours en fonction de jours historiques», explique Myriam Cottias.

Alors que le décret Schoelcher d’abolition de l’esclavage est pris à Paris le 27 avril 1848, la nouvelle met quelques temps à atteindre les différentes colonies françaises, même si elle arriva plus vite que les planteurs esclavagistes ne l’auraient souhaité. Ainsi, en Martinique, le jour de commémoration «renvoie au 22 mai 1848, date d’un soulèvement d’esclaves. Car les esclaves sont au courant, les informations circulent entre les deux côtés de l’Atlantique, décrit Myriam Cottias. Le décret du 27 avril prévoyait l’abolition de l’esclavage deux mois après pour garantir la récolte de la canne à sucre». Mais en Martinique, les esclaves, informés des décisions parisiennes, imposent leur propre calendrier. Le 23 mai, le gouverneur de l’île décide d’abolir l’esclavage sans attendre l’arrivée officielle du décret, qui y concerne 75.000 esclaves.

Le gouverneur de Guadeloupe en fait de même le 27 mai, date retenue sur l’île pour commémorer la libération de ses 87.000 esclaves. En Guyane, l’abolition est promulguée le 10 juin, jour actuel de commémoration dans le DOM amazonien, mais pour les 12.500 esclaves de ce vaste territoire, elle ne prit effet que le 10 août. Et à la Réunion, ce n’est que le 20 décembre que les 62.000 esclaves purent jouir de l’abolition, «car il y eut une résistance des colons, qui disaient ne pas avoir reçu le décret».

Quant à Mayotte, l’histoire est plus surprenante: l’abolition de l’esclavage y est commémorée le 27 avril, mais non en souvenir du décret Schoelcher du même jour. «Cela renvoie en fait au 27 avril 1846, où le baron Mackau abolissait l’esclavage à Mayotte, qui était alors vu comme un laboratoire expérimental»,explique Myriam Cottias. Soit deux ans avant la décision républicaine du printemps 1848. «Mais c’est une histoire qui s’est perdue.»

Quand la France commémorait le 27 avril

22 mai martiniquais, 10 juin guyanais … Ces dates «sont surtout connues localement», décrit Frédéric Régent, historien guadeloupéen et membre du CNMHE. Le fait que ces jours ne soient fériés que dans un territoire particulier en fait des «fêtes locales» d’après le site officiel de l’administration française, au côté du 26 décembre en Alsace-Moselle.

Le besoin d’un jour unique de commémoration également reconnu en métropole fut pourtant évoqué dès le vote de la loi de 1983. «Soulignant que la commémoration d’évènements d’une telle portée historique ne pouvait être que nationale, la Haute Assemblée a […] exprimé le souhait que les cérémonies se déroulent tant en France métropolitaine que dans les départements d’outre-mer et à Mayotte, et à une date unique; le choix d’une date unique résultant du caractère national de cette commémoration et de la nécessité de conférer à celle-ci la signification la plus symbolique», écrit le sénateur Louis Virapoullé dans un rapport de 1983. Mais celui-ci proposait de fixer cette journée un dimanche, car «un certain nombre de travailleurs d’outre-mer journaliers pourraient connaître des problèmes économiques» si cela tombait en semaine. Il proposait par ailleurs de retenir le dimanche le plus proche du 4 février en mémoire du 4 février 1794, jour de l’acte d’abolition de l’esclavage adopté sur la proposition de l’abbé Grégoire par la Convention nationale. Cette première abolition de l’esclavage par la Révolution française, à la toute fin du XVIIIesiècle, fut annulée par Napoléon. Mais cette proposition sénatoriale n’avait pas été retenue et la loi de 1983 n’a prévu des jours fériés pour la commémoration de l’esclavage que dans les quatre DOM de l’époque –Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion– ainsi qu’à Mayotte, alors collectivité territoriale d’outre-mer.

Le jour retenu pour la France métropolitaine était alors le 27 avril, jour de l’adoption du décret Schoelcher en 1848, où «une heure devra être consacrée dans toutes les écoles primaires, les collèges et les lycées de la République à une réflexion sur l’esclavage et son abolition», comme le prévoyait le décret d’application de la loi de 1983. Une disposition dont on doute qu’elle fut systématique appliquée, et qui fut d’ailleurs supprimée par décret en 2006.

Pour voir réapparaître la nécessité d’un jour de commémoration nationale, il a fallu attendre la loi Taubira de 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. La loi prévoit qu’«en France métropolitaine, la date de la commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large». Cette date ne fut fixée que cinq ans plus tard, en 2006. Et après de multiples réflexions qui ne furent pas sans susciter des polémiques, c’est le 10 mai qui fut retenu: 10 mai pour 10 mai 2001, jour de l’adoption en dernière lecture au Sénat de la loi Taubira. «Jusqu’à l’élection de François Hollande, le référentiel du 10 mai, c’était le 10 mai 1981, l’élection de François Mitterrand. On peut se demander si cela n’a pas joué aussi en faveur de l’adoption de cette date»,ajoute Frédéric Régent, qui vient de cosigner Libres et Sans fers, paroles d’esclaves, avec Gilda Gonfier et Bruno Maillard.

D’après Myriam Cottias, la possibilité d’en faire un jour férié national avait alors été évoquée:

«Cela avait été envisagé par le premier comité, présidé par Maryse Condé, en 2006, qui avait pour fonction de décider de la date du jour national. Ce comité s’est posé la question et a décidé de ne pas en faire un jour férié pour donner la possibilité aux écoles de travailler sur l’esclavage. Et comme le 8 mai est férié, on a craint qu’un trop long pont risque de faire passer inaperçu la commémoration.»

«En faire un jour férié en métropole aurait forcément un impact, parce que ce serait ressenti par l’ensemble de la population», pour Frédéric Régent, qui ne se fait toutefois «pas d’illusion» à ce sujet. «Le 10 mai apparaît aujourd’hui dans le calendrier sans la solennité d’un 14 juillet ou d’un 8 mai.»

Dates internationales

Les différents jours de commémoration dans les DOM furent maintenus. A ce calendrier s’ajoute la date du 23 mai, qu’un décret de 2008 reconnaît comme un jour de commémoration pour les Français d’Outre-mer de l’Hexagone. Une date qui peut renvoyer à la décision du gouverneur de la Martinique du 23 mai 1848, mais aussi à la marche de mobilisation du 23 mai 1998, qui initia la loi Taubira. De nouveau deux événements pour une même date, mais ce ne serait qu’«une coïncidence du calendrier» pour Myriam Cottias.

L’historienne ne voit pourtant pas matière à confusion dans ce fourmillement de dates. Mais pour pallier à ce risque, le CNMHE a créé «le mois des Mémoires de l’Esclavage, du 27 avril au 10 juin, qui a pour volonté de fédérer toutes les dates et de leur donner du sens. Ce mois crée une sorte de narration et de cohérence. Cela permet de fédérer tous les événements.»

S’ajoutent encore à cela les dates reconnues internationalement. Le 2 décembre, la «Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage» commémore l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une Convention pour la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, le 2 décembre 1949. Le 23 août, enfin, fut initié par l’Unesco en 1998 en souvenir de la nuit du 22 au 23 août 1791 où éclata à St-Domingue une révolte d’esclaves qui mena à l’indépendance de la première République noire Haïti. Une preuve supplémentaire qu’une histoire aussi longue et complexe que des siècles d’esclavage et de traite transatlantique ne peut certainement pas se résumer en une date.

Source : slate.fr

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