Acte pris lors d’un conseil des ministres, cette décision ne concerne pas seulement le président de la Transition, mais aussi les autres officiers impliqués dans les coups d’État de 2020 et 2021. Parmi eux, le ministre de la Défense, Sadio Camara, le directeur général de la Sécurité d’État, Modibo Koné, et le ministre de la Réconciliation nationale, Ismaël Wagué, tous promus au grade de général de corps d’armée.
Cette pratique récurrente soulève des inquiétudes sur la fragilité du système politique malien et la consolidation de l’armée comme force dirigeante. La justification officielle du gouvernement, affirmant que ces promotions répondent aux recommandations du Dialogue inter-malien qui s’est tenu en avril et mai 2024 critiqué par plusieurs partis politiques et organisations de la société civile, a également proposé une prolongation de la Transition de deux à cinq ans, alors qu’elle devait initialement se terminer en mars 2024.
Ces nominations sont loin de faire l’unanimité au sein de l’opinion publique. Ce dialogue, auquel plusieurs partis politiques et mouvements de la société civile ont refusé de participer, a proposé une prolongation de la Transition de deux à cinq ans alors qu’elle devait initialement s’achever en mars 2024. Cette situation rappelle les précédents historiques du Mali, comme lorsque Moussa Traoré s’était autoproclamé général après avoir pris le pouvoir. Ce retour à une tradition politique peu glorieuse met en lumière la persistance de pratiques qui éloignent le pays d’un véritable renouveau démocratique.
Cette dynamique de promotion militaire s’inscrit dans un cadre plus large où l’armée occupe une place centrale dans la gestion des affaires publiques. Depuis le renversement d’IBK, les militaires occupent des postes clés au sein des organes de la Transition et de l’administration publique, ce qui leur permet d’influencer les décisions politiques.
Le retard constant dans l’organisation des élections et l’absence d’un véritable calendrier de Transition sont autant de signes d’un manque de volonté à un retour à l’ordre constitutionnel. Au lieu de cela, les militaires semblent privilégier leurs propres schémas, dictant ainsi le rythme de la Transition. La nomination récente d’une vingtaine de colonels au grade de général ne fait qu’illustrer cette tendance à renforcer le pouvoir militaire au sein de l’État.
La perpétuation du cycle des coups d’État au Mali
Depuis son indépendance en 1960, le Mali est enfermé dans un cycle récurrent de coups d’État militaires, caractérisé par une impunité systématique pour les putschistes. Ces événements, au lieu d’être des ruptures exceptionnelles, sont devenus des étapes attendues dans l’évolution politique du pays.
Le cas récent du colonel Assimi Goïta, qui a mené les coups d’Etat de 2020 et 2021, illustre parfaitement cette tendance. Son autopromotion, ainsi que celle de ses compagnons, s’inscrit dans une longue tradition où les auteurs de coups d’Etat accèdent à des postes de pouvoir et bénéficient de privilèges au sein de l’armée. Dans l’histoire du Mali, seuls les auteurs de coups d’Etat ont accédé aux grades de général d’armée et de corps d’armée
Le parcours de Moussa Traoré illustre bien cette dynamique. En 1968, en tant que lieutenant, il renverse le président Modibo Keïta et s’autoproclame général d’armée en 1982, avant de rester au pouvoir plus de vingt ans. Ce schéma s’est répété d’une autre manière en 1991, lorsque Amadou Toumani Touré (ATT), alors lieutenant-colonel, renverse Traoré. Même après avoir organisé des élections démocratiques en 1992, ATT se voit promu général en 1995 par le président Alpha Oumar Konaré qui a dirigé le pays de 1992 à 2002.
Un autre exemple plus spectaculaire est celui du capitaine Amadou Haya Sanogo, qui a mené le coup d’Etat de 2012. Bien que son régime ait été marqué par de graves violations de droits humains, il a été promu général de corps d’armée. Malgré une inculpation pour crimes, il a été amnistié en 2022. Cette amnistie, combinée à sa promotion, renforce l’idée qu’au Mali, les coups d’Etat peuvent non seulement amener au pouvoir, mais aussi offrir des avantages sans conséquences réelles.
Cette continuité dans la récompense des putschistes alimente un cercle vicieux où le coup d’Etat, au lieu d’être perçu comme une infraction, devient une stratégie légitime pour accéder aux plus hauts postes de l’armée et du pouvoir. Ce message encourageant pour les militaires ambitionnant le pouvoir compromet la stabilité politique à long terme du pays et fragilise les institutions civiles.
Cette culture de l’impunité et des promotions après un coup d’Etat va directement à l’encontre des principes établis dans la Constitution malienne. Depuis la Constitution de 1991, et réaffirmée dans celle adoptée en 2023, le coup d’Etat est défini comme un crime imprescriptible. Cependant, ces dispositions n’ont jamais été appliquées avec rigueur, renforçant l’idée que la prise de pouvoir par la force reste une option viable et sans conséquence. Au contraire des lois d’amnistie sont votées pour excuser les putschistes. Cette défaillance affaiblit les fondements de la démocratie malienne, réduit les perspectives d’une stabilité politique.
Dans une armée, les promotions ne devraient pas être basées sur des actes qui violent la Constitution. Lorsque cela se produit, ce n’est pas seulement la démocratie qui en souffre, mais cela envoie aussi un message inquiétant aux autres militaires. Cela crée un précédent dangereux, où l’on pourrait croire que prendre le pouvoir par la force est une voie acceptable pour grimper les échelons.
Tournant significatif dans le processus de Transition
La promotion d’Assimi Goïta au grade de général d’armée marque un tournant significatif dans le processus de Transition. Ce geste symbolique renforce son autorité non seulement au sein de l’armée, mais également dans l’arène politique. En devenant le plus haut gradé de l’armée malienne, Goïta s’assure un statut de figure importante parmi ses pairs consolidant ainsi son influence alors que la Transition vers un gouvernement civil se fait attendre.
Cette promotion s’inscrit dans un contexte de Transition prolongée vers un gouvernement civil, une transition marquée par des retards répétés. Depuis les coups d’Etat de 2020 et 2021, les militaires au pouvoir ont plusieurs fois repoussé les échéances pour l’organisation d’élections, soulignant un manque de volonté de céder rapidement le pouvoir. Ce phénomène reflète une tendance historique : après chaque coup d’Etat, la transition vers un régime civil est souvent lente, laissant aux militaires le temps d’ancrer leur autorité.
La promotion de Goïta peut être vue comme une façon d’assurer un rôle central pour l’avenir. En devenant général, il suit l’exemple d’anciens chefs militaires maliens, comme Amadou Toumani Touré (ATT), qui, après son coup d’Etat en 1991, avait organisé des élections démocratiques, tout en gardant une influence qui l’a conduit à la présidence en 2002.
Le retard dans l’organisation des élections, souvent annoncé mais jamais concrétisé, est un indicateur clair de ce manque de volonté de passer le relais à un gouvernement civil. A plusieurs reprises, les dates ont été repoussées, sous des prétextes divers, notamment des questions de sécurité ou de logistique. Cependant, ces justifications masquent souvent une réalité plus sombre : la Transition est dictée par les priorités des militaires au pouvoir, et non par les engagements pris auprès de la communauté internationale ou des citoyens maliens.
Cette lenteur de la Transition risque de prolonger l’instabilité politique au Mali. Plus le pouvoir reste concentré dans les mains des militaires, plus il devient difficile de rétablir la confiance entre les institutions civiles et l’armée. Les retards électoraux ne font que renforcer la perception d’une militarisation de la politique, où les coups d’Etat deviennent non seulement une voie vers le pouvoir, mais aussi un moyen de s’y maintenir indéfiniment.
Bah Traoré
Chargé de recherche Sahel au Think tank Wathi
Source: Mali Tribune