Les soutiens de famille sont touchés au porte-monnaie. Les ménagères ont du mal à remplir leurs paniers. Tous en appellent à l’intervention des autorités
Vendredi dernier en Commune II. Le soleil tend vers le coucher. Les fidèles musulmans sont revenus de la mosquée. Sougouni Koura, le marché de Médine, grouille de monde à nouveau. Deux dames, de taille moyenne, y arrivent. Le parfum de leur eau de Cologne, mélangé aux arômes de l’encens, dont seules les Maliennes ont le secret, envahit les lieux. Elles se dirigent vers les étals réservés aux vendeurs de poissons pour payer un carton de «Gari», une espèce de poisson très prisée au Mali. À leurs sourires béants séduisants succèdent soudain inquiétude et étonnement.
Motif. «Le carton de ce poisson qui se vendait entre 11.000 et 12.000 Fcfa, est cédé à 14.000 Fcfa depuis plus de deux semaines», avait répondu Youssouf Denon, vendeur en gros de poisson. Le prix d’un carton de Tilapia de petite taille, vendu jadis entre 10.000 et 11.000 Fcfa, coûte aujourd’hui 14.000 Fcfa.
Le kg est cédé à 1.500 Fcfa, contre 1.300 Fcfa auparavant, selon le négociant. Le prix du carton de ceux de taille moyenne est passé de 12.000 à 15.000 Fcfa. Ceux de grande taille coûtent 16.000 Fcfa le carton, contre 13.000 Fcfa auparavant, ajoute-t-il, précisant que ses marchandises sont importées de Chine et de Vietnam. Visiblement étonnées, elles plaident sans succès pour une remise de prix.
Sur ces entrefaites, arrive Aïssata Goïta, mariée depuis bientôt un mois. Elle demande aussi le prix du carton de «Gari». «14.000 Fcfa», répond Youssouf. «Depuis quand, vous voulez qu’on ne mange plus de poisson ou quoi ?», lance-t-elle, l’air abasourdie.
D’un ton conciliateur, son interlocuteur explique que cette situation perdure depuis près de trois semaines. Il invite sa cliente à parcourir le marché afin de sonder les prix. «C’est contre mon gré que je vends à ces prix-là. J’espère de tout cœur que la situation changera rapidement afin de pouvoir garder la clientèle», sensibilise-t-il.
Car, précise le vendeur, l’affluence est de plus en plus timide depuis le début de cette hausse. «Le nombre de clients a baissé. Je pouvais vendre 200 cartons par jour. Il faut trois à quatre jours maintenant pour pouvoir réaliser cette performance», déplore-t-il. Convaincue que l’argent, dont elle dispose est insuffisant, Aïssata Goïta continue son chemin arguant qu’elle ne peut se permettre ce luxe.
Ces deux scènes décrivent à suffisance l’ambiance terne au niveau des marchés à poisson qui chasse les ménagères à cause de la cherté des prix. Cela au détriment des vendeuses qui voient leurs commerces menacés chaque jour davantage.
Le long des rayons réservés aux poissons se dresse une file de vendeuses de poissons de différentes qualités. Installées sous des parapluies, elles sont assises sur des boîtes et bidons. Vendu à 14.000 Fcfa, le carton de l’espèce de poisson appelé «Bureau» est cédé à 22.000 Fcfa aujourd’hui. Le prix du kg est passé de 750 Fcfa à 1.200 Fcfa. «Les prix sont très chers. Les gens manquent d’argent. Chaque jour, nous perdons nos clients», répondent-elles presqu’en chœur.
Le kilogramme du poisson local est cédé à 3.000 Fcfa, ajoute Rokia Diallo, l’une d’elle. Elle écoulait deux à trois cartons de poisson par jour, mais peine aujourd’hui à vendre un carton par jour. «Les jours passent et se ressemblent pour nous. Il arrive de passer toute une journée assise sans vendre un kg de poisson», s’indigne Rokia.
Face à cette situation, les ménagères sont généralement tentées de se rabattre sur la viande rouge pour agrémenter les sauces. Mais comme le poisson, le prix du kilogramme de la viande rouge a également pris l’ascenseur.
La viande avec os est cédée à 2.800 Fcfa/kg, contre 2.600 Fcfa pendant le mois de ramadan. Celle sans os vaut 3.300 Fcfa le kilo, contre 3.000 Fcfa il y a quelques semaines, explique le boucher Ibrahim Diakité, rencontré à Sougounin Koura. Pour lui, cette situation est consécutive à la hausse du prix d’acquisition des bœufs sur les marchés à bétail.
Le prix du kg de la viande de mouton est passé de 3.500 Fcfa à 4.000 Fcfa, explique Yaya Koné, boucher audit marché. Il abattait cinq à six moutons par jour. «Aujourd’hui, je vends à peine un mouton», déplore-t-il, ajoutant qu’il risque d’arrêter cette activité à cause de la mévente due à cette cherté du prix.
Vendeur de bœufs au marché à bétail de Lafiabougou, en Commune IV, Sékou Keïta expliqué cette cherté par l’augmentation des frais de l’aliment bétail. Avant, le sac de 50 kg de «Bunafama» était vendu à 6.000 Fcfa. La même quantité coûte 10.000 Fcfa actuellement, selon lui. Aussi par peur d’être dépossédé de leurs biens par les bandits armés, les éleveurs notamment ceux des régions du nord et de Mopti prennent rarement le risque de braver l’insécurité pour se rendre à Bamako, argumente-t-il.
Pourtant la même tendance haussière est constatée dans ces zones-là. Contacté au téléphone à Niafunké, Région de Tombouctou, le boucher Amadou Touré confirme que le kg de viande avec os est passé de 2.000 Fcfa à 2.500 Fcfa. La même quantité de viande sans os coûte actuellement 3000 Fcfa, contre 2.500 Fcfa auparavant. Le prix du kilo de la viande de mouton, vendu à 3.000 Fcfa, varie entre 3.500 et 3.750 Fcfa, précise-t-il.
À ces problèmes s’y ajoute l’exportation massive de notre bétail vers les pays voisins. Au point que le prix du kg de la viande de bœuf est souvent moins cher dans ces pays qu’au Mali, déplorent les bouchers. Au Sénégal, le kg de viande avec os était vendu à 3.000 Fcfa et celui de la chair de bœuf sans os à 3.200 Fcfa durant le ramadan.
Actuellement, ils sont respectivement de 3.300 et 3.500 Fcfa, confirme un confrère sénégalais.
En Côte d’Ivoire, exactement à Bouaké, la viande de bœuf était cédée à 2.200 Fcfa le kg pendant le ramadan. Depuis, il est vendu à 2.500 Fcfa.
À Abidjan, le kilo de la viande de bœuf est vendu à 2.700 Fcfa. «Ici, on ne vend pas de la viande sans os, tout est mélangé», précise un interlocuteur contacté au téléphone.
Face à cette situation, des vendeurs de bétail demandent à l’Etat de restreindre l’exportation du bétail afin de ravitailler suffisamment le marché national. Certains proposent de prendre des mesures pour faire baisser le prix de l’aliment bétail.
Contactée par nos soins, la direction générale du Commerce, de la Consommation et de la Concurrence (DGCC) a donné quelques précisions. Selon ces spécialistes, la hausse du prix du kg de la viande de 2.400 à 2.800 Fcfa, s’explique par la baisse de l’approvisionnement des marchés en bétail de boucherie. S’y ajoutent, la cherté du prix du bétail avec une moyenne de 325.000 à 335.000 Fcfa la tête et également, l’insécurité au centre du pays qui complique la transhumance des animaux vers les centres urbains de consommation.
D’autres facteurs sont évoquées comme le renchérissement du prix de l’aliment bétail, dont le prix moyen du sac de 50 kg est de 8.653 Fcfa en hausse de 11% par rapport à son niveau de l’année passée et l’exportation des animaux sur pied vers les pays voisins à forte demande et à des prix attractifs.
Fadi CISSÉ
Source : L’ESSOR