De 1886, date de l’implantation de la première école coloniale française à Kayes (première région du Mali) à nos jours, les missions catholiques ont éminemment joué leur rôle sans la dispense d’un enseignement de qualité dans notre pays. Les premières écoles privées catholiques ont ouvert leurs portes entre 1889 et 1904. Il s’agit de l’Ecole de Kita, créée le 15 mai 1889 par les Pères du Saint Esprit ; de celles créées par les Missionnaires d’Afrique (les Pères Blancs) que sont l’école de Tombouctou (21 mai 1895) et l’école de Ségou le 12 janvier 1896…
Aujourd’hui, l’enseignement privé catholique au Mali, c’est 135 ans, 138 écoles accueillant plus de 40 000 élèves encadrés par au moins 1 645 enseignants sur la base des programmes officiels et laïcs liant l’instruction à l’éducation. L’enseignement catholique est l’ensemble des établissements scolaires créés ou reconnus par les évêques du Mali. Ses établissements sont présents dans six diocèses à travers le pays (Bamako, Kayes, Sikasso, San, Mopti et Ségou).
Un ensemble qui vacille voire qui est aujourd’hui en péril parce que l’Etat ne parvient plus à assumer son engagement à son égard. En effet, dans une correspondance daté du 12 août, Me Vital Traoré (Directeur diocésain par intérim) a annoncé la suspension des activités pédagogiques dans les écoles catholiques subventionnées de son diocèse, précisément de Ségou. Malheureusement, c’est la même situation à l’échelle nationale.
Et comme l’a rappelé un responsable de cette branche de l’éducation, «c’est compte tenu de son importance et de son engagement dans l’éducation des enfants au Mali que l’Etat malien s’est proposé de lui octroyer une subvention pour lui venir en aide dans la prise en charge du salaire des enseignants». Ainsi, a-t-il expliqué, avec une première convention signée en 1972 l’Etat malien accordait à l’Eglise une subvention de 70 % de la masse salariale du personnel enseignant. Suite à la relecture de 1978, cette subvention est passée à 80 %.
«Cela a permis aux enseignants des écoles catholiques d’être alignés sur la même grille salariale que leurs homologues de l’enseignement public», a-t-on précisé. Une relecture de la convention a débuté le 15 mai 2024. Et c’est pendant celle-ci que les représentants de l’Etat malien ont informé ceux de la Conférence épiscopale du Mali de la suppression de la subvention dès 2025. C’est ainsi que, face à des charges trop lourdes à supporter, les Evêques du Mali ont pris des décisions lourdes de conséquences au cours de leur session extraordinaire des 10 et 11 juillet 2024.
En effet, après un examen approfondi de la situation, ils ont décidé de suspendre les activités pédagogiques de toutes les écoles catholiques subventionnées pendant la période allant du 1er octobre 2024 au 31 août 2025, si la suppression de la subvention est effective à la fin de l’année 2024 ; de licencier l’ensemble du personnel enseignant des écoles catholiques subventionnées pour motif économique à compter du 31 octobre 2024.
Etouffer l’excellence pour mieux engraisser la médiocrité ?
Toutefois, a précisé le diocèse de Ségou, la reprise des activités pédagogiques pourrait intervenir à la rentrée scolaire 2025/2026 avec «un autre système de fonctionnement». Le danger est réel et c’est sans doute le pilier le plus solide pour garantir à nos enfants une éducation de qualité qui est en péril. Et pourtant, si le Mali Kura repose sur une nouvelle citoyenneté, il ne tirera sa force que des valeurs acquises par l’éducation et des compétences tirées de l’enseignement, de la formation professionnelle de qualité… Les écoles privées catholiques sont demeurées de précieuses enseignes en la matière en restant à cheval sur les valeurs cardinales de l’éducation comme la rigueur, la liberté de l’enseignement, la neutralité, la laïcité, l’obligation scolaire…
L’Ecole catholique a, jusque-là, réussi à garantir la qualité de son enseignement pour rester ce pôle de référence dans l’éducation. Un centre d’excellence qu’on veut tuer pour un supposé manque de fonds alors que, pendant ce temps, l’Etat subventionne des écoles privées qui contribuent énormément à la précarisation de notre système éducatif en rabaissant le niveau de l’enseignement dispensé.
Dans le rapport 2022 du Bureau du Vérificateur Général (BVG), il ressort que des établissements privés de Bamako et de Kati ont présenté de faux arrêtés d’ouverture pour encaisser des subventions indues pour un montant de 412 860 000 F Cfa. Des établissements privés ont également reçu des paiements pour des dépenses liées aux élèves pour un montant de 18 956 600 000 F Cfa. Tout comme un montant de 32 418 000 F Cfa a été versé pour des élèves dont la scolarité était terminée. Le rapport souligne également le paiement de subventions pour des élèves venant de l’extérieur pour un montant de 72 706 200 F Cfa. Sans compter le paiement de subventions sur la base d’orientations irrégulières ayant coûté au Trésor public plus de 257 millions de francs Cfa.
L’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI) a également épinglé des paiements retracés par la Direction générale du Budget dépassant de 26,288 milliards F Cfa ceux indiqués par la Cellule de planification et de statistique (CPS) du secteur de l’Education nationale. Le fait que l’éducation soit devenue un fonds de commerce explique sans doute pourquoi le nombre des établissements secondaires privés est passé de 1 147 en 2016 à 2 421 en 2021, soit une augmentation de 111 % en 5 ans. Le nombre d’établissements secondaires publics est de 111 sur l’ensemble du territoire national. Et dans le lot, l’OCLEI a dénombré 1 077 écoles secondaires privées fonctionnant grâce à des arrêtés présumés faux.
Les subventions versées à 236 de ces établissements s’élèvent à 15,565 milliards de FCFA de 2017-2018 à 2020-2021. Le hic, c’est que plusieurs de ces écoles ont pour promoteurs des fonctionnaires du ministère de l’Education nationale. Qu’est-ce que toutes ses sommes mentionnées dans les différents rapports du BVG et de l’OCLEI ont-elles réellement apporté à notre système éducatif ? Sur toute l’étendue du territoire national, les écoles privées sont devenues le symbole d’une gestion financière inadéquate sur fonds de corruption, de supercherie, d’enrichissement illicite…
Ces subventions obtenues au prix de moult malversations ont plutôt enrichi des hommes et des femmes tout en appauvrissant leurs enseignants et les enfants placés sous leur responsabilité. Et c’est sans doute cette pègre qui veut se débarrasser de l’enseignement privé catholique afin de rester seule bénéficiaire de la manne financière du contribuable. Sinon, le sens de la responsabilité aurait par exemple voulu qu’on envisage plutôt un retrait progressif de l’Etat sur la base d’un calendrier consensuel permettant aux diocèses d’envisager d’autres formes ou sources de financement.
Curieusement, ces prédateurs sont encore encensés et l’enseignement catholique voué aux gémonies. En effet, lors d’une audience accordée la semaine dernière, le ministre Amadou Sy Savané a remercié les promoteurs d’écoles privées pour «leur engagement et leur implication dans la réussite des examens de fin d’année scolaire». Il est vrai que des fléaux comme l’achat et la fuite organisée des sujets… ont considérablement baissé ces trois voire quatre dernières années. Mais, les promoteurs et leurs acolytes de l’administration scolaire y ont-ils renoncé de leur plein gré ?
Pas du tout ! C’est parce que l’Etat a commencé à s’assumer avec une dame de fer au ministère de l’Education nationale, Sidibé Dédéou Ousmane, que les choses ont commencé à changer. C’est une autre attitude du département de tutelle à l’égard des fossoyeurs de notre Education qui devait surprendre pour qui sait que les vrais promoteurs d’une grande partie de ces écoles privées sont en réalité des cadres de l’Education nationale.
Il revient au président de la Transition de mettre fin à tout cela, de sauver l’enseignement privé catholique qui est certainement encore le pilier le plus solide (sur le plan de la qualité) de notre système éducatif !
Moussa Bolly
Source: Le Matin