Comme vous le comprenez, le Mali se trouve dans une situation très difficile car le pays doit combattre les groupes terroristes les plus radicaux. C’est pourquoi il est essentiel que nous soyons en mesure de les affronter et d’accroître les capacités militaires et techniques de nos forces de défense et de sécurité pour permettre à ces dernières de défendre le pays et son intégrité territoriale.
Nous pensons que la Russie est notre partenaire stratégique sur lequel nous pouvons compter. En outre, il existe une coopération économique, que nous voulons développer. Il y a de nouveaux partenariats qui se mettent en place dans le domaine économique, dans le commerce, dans l’utilisation des ressources minérales et énergétiques. Des hommes d’affaires russes ont visité le Mali l’année dernière et nous espérons renforcer cette coopération économique.
Qu’est-ce que le Mali veut exporter vers la Russie dans le cadre de cet échange commercial?
Le Mali dispose de plusieurs types de potentiel, qui ne sont peut-être pas encore réalisés. Sur le plan de l’agriculture, le Mali est le premier producteur de coton en Afrique, et ce coton n’est pas encore suffisamment transformé, donc nous pouvons avoir des partenariats avec des entreprises russes qui sont intéressées à la possibilité d’utiliser ce potentiel. Le Mali est également le troisième plus grand producteur d’or du continent africain, après l’Afrique du Sud et le Ghana. Plus généralement, dans le secteur minier, comme on le sait, le Mali dispose d’un potentiel considérable en matière de ressources pétrolières qui restent à exploiter, et la Russie est aujourd’hui le premier producteur mondial dans ce domaine. Nous espérons que la Russie, avec son expérience, son expertise et sa technologie, pourra également contribuer à l’exploration des minéraux utiles. Outre le pétrole, il existe de nombreux autres minéraux utiles et nous pouvons travailler ensemble pour développer ces ressources, et non seulement à des fins d’exportation des minéraux à l’étranger. Nous souhaitons donc vraiment que la base de nos relations soit élargie dans un esprit de coopération gagnant-gagnant.
La situation sécuritaire actuelle au Mali et la période de transition sont régulièrement discutées dans différents pays du monde. Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels le Mali est confronté aujourd’hui, quels sont ses problèmes internes et où le Mali peut-il trouver des solutions à ces difficultés?
En effet, le Mali traverse aujourd’hui une période difficile concernant sa transition vers la démocratie. Je confirme que tous les dirigeants du pays sont engagés pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel via des élections transparentes et fiables. Mais pour ce faire, nous devons tenir compte de la réalité de la situation au Mali aujourd’hui.
La situation au Mali présente deux caractéristiques importantes. Au niveau politique, il est important de parvenir à un accord entre les acteurs politiques et la société civile malienne sur un nouveau programme d’action qui fixe une date et un calendrier pour des élections transparentes, fiables et accessibles à toutes les parties intéressées.
Ces élections doivent être organisées après la réalisation des réformes importantes, car le changement de régime au Mali en août 2020 a été le résultat de plusieurs mois de manifestations de rue réclamant un changement de gouvernement et des réformes significatives. Il est donc important que la transition nous donne l’occasion de réaliser ces réformes.
La deuxième question importante est celle de la sécurité. Comme vous le savez, il s’agit d’un problème très difficile à résoudre, même pour les grands États. Aujourd’hui, le Mali combat le terrorisme sur 80% de son territoire. Dans le pays, il existe toutes sortes d’activités terroristes, de conflits entre communautés et d’autres problèmes qui sapent la stabilité de l’État. Et nous pouvons supposer que seules cinq des 19 régions du Mali connaîtront des élections pacifiques.
Sur toutes ces questions, il est donc important que les autorités, qui font de grands efforts pour pouvoir sécuriser le pays, soient en mesure d’assurer un niveau minimum de sécurité.
Aujourd’hui, la situation sécuritaire sur le terrain est telle qu’il y a des activités terroristes qui ont lieu à seulement 200 kilomètres de la capitale, les hommes politiques ne peuvent pas se rendre dans ces localités.
Nous voulons que nos partenaires fassent preuve d’une meilleure compréhension de la situation, et que ceux que nous invitons viennent voir la réalité dans le pays pour comprendre ce qui s’y passe: des champs brûlés, des personnes déplacées qui n’ont même pas de quoi manger et pas d’endroit où s’abriter.
Le gouvernement fait des efforts; nous voulons travailler avec toutes les forces présentes au Mali: la mission de l’Onu, les forces françaises de Barkhane, les forces du G5 Sahel, qui regroupe les cinq pays de la région. Des efforts conjoints sont donc nécessaires pour améliorer sensiblement cette situation.
Après la décision de la CEDEAO, l’UE a également menacé d’imposer des sanctions au Mali. Espérez-vous parvenir à un accord avec l’UE et la CEDEAO pour mettre fin aux menaces et aux sanctions?
Nous comprenons l’impatience, voire l’irritation de nos partenaires et de nos voisins, car nous nous sommes tous engagés à évoluer vers des régimes démocratiques dans tous nos pays. Je comprends que cela pourrait être la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), dont le Mali est un membre fondateur. Le Mali est signataire de différents documents; le pays est attaché à un retour à l’ordre démocratique.
Nous demandons à l’Union européenne et aux autres parties d’analyser et d’étudier réellement cette question avec beaucoup de soin, beaucoup de pragmatisme, et de ne pas affaiblir un pays qui est déjà presque à genoux.
Du point de vue du Mali, les sanctions ne sont pas la solution. Nous voulons vraiment établir un dialogue afin de pouvoir se mettre d’accord sur une feuille de route.
La France a clos l’opération Barkhane dans le nord du Mali afin de réorienter la lutte contre le djihad vers la zone des trois frontières [la jonction des frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger, ndlr]. Comment cette décision affectera-t-elle le Mali?
La France est un État souverain et la France est venue aider le Mali. Mais nous sommes conscients que, comme en Afghanistan ou ailleurs, les pays qui nous viennent en aide le font toujours à titre temporaire.
La France a réorganisé son ordre de combat et a décidé de se concentrer sur trois zones frontalières où se trouve un autre groupe terroriste, dont l’État islamique dans le Grand Sahara* est généralement responsable. Je ne suis pas militaire, mais elle est globalement responsable de 10 à 15% des attaques sur le territoire malien et dans les zones libérées par nos amis français. Il y a le JNIM qui agit là-bas; Al-Qaida au Maghreb islamique* est responsable de 80 % des attaques sur notre sol.
Lorsque votre partenaire stratégique décide de se concentrer sur 15% de votre menace et vous laisse le soin de gérer les 80% restants, il y a un problème. Mais la France reste le partenaire du Mali, nos unités sur le terrain continuent de coopérer et le Mali doit chercher des solutions pour pouvoir faire face à cette nouvelle situation.
Vous avez dit que vous aviez demandé à la Russie un soutien en matière d’équipement militaire et de formation. Combien de contrats sont actuellement en cours d’exécution et quels sont ceux que vous prévoyez de signer dans un avenir proche?
Comme je l’ai dit, l’interaction avec la Russie est régie par un accord de coopération militaro-technique. Divers contrats ont été conclus dans ce cadre. Non seulement aujourd’hui, mais aussi il y a plusieurs décennies. Nous avons un certain nombre de contrats signés. Je dois dire que la Russie est un partenaire efficace et pragmatique.
Chaque fois que nous signons des contrats, ils sont exécutés de manière très rigoureuse. Et nous sommes venus [en visite, ndlr] pour demander à la Russie de faire le maximum, car nous sommes dans une situation d’urgence, pour pouvoir obtenir cet équipement. Nous devons informer la Russie de nos besoins en équipements, notamment aéronautiques, de nos besoins en formation et en éducation, et nous avons également besoin d’aide pour utiliser ces équipements.
Le Mali est-il intéressé par la présence d’une base militaire russe sur son territoire? Cette question a-t-elle été discutée à Moscou?
Non. Ce sujet n’a pas été abordé. Ce sujet n’est pas à l’ordre du jour du Mali. Comme je l’ai déjà relevé, la préoccupation première des autorités maliennes est de faire en sorte que le Mali puisse assumer sa sécurité, la protection des personnes et des biens, la protection de l’intégrité du territoire national, l’unité et la souveraineté. Et c’est la responsabilité des autorités, c’est la responsabilité des forces de défense et de sécurité maliennes d’être en mesure de remplir ce rôle.
Les partenaires peuvent fournir différents types de soutien: soutien technique, soutien en matière de formation, de technologie, d’équipements nécessaires, de conseils. C’est ce dont nous avons besoin à ce moment-là. Et c’est vraiment cela qui est la stratégie du Mali. À un moment donné, nous avons eu besoin d’une aide extérieure, nous l’avons demandée, nous ne l’excluons pas, mais la question d’une base militaire n’est pas à l’ordre du jour au Mali et nous espérons que notre armée, nos forces de défense et de sécurité seront en mesure d’accomplir leurs missions.
Mon homologue russe [le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, ndlr] partage la vision du Mali en matière de souveraineté: le pays doit être en mesure d’assurer sa propre sécurité.
En ce qui concerne l’entraînement militaire, quand et comment sera-t-il effectué? Le gouvernement malien a-t-il l’intention d’inviter des instructeurs militaires russes dans le pays, comme cela a été fait précédemment en RCA?
Vous savez, je pense que les gens suivent plus attentivement les informations aujourd’hui. Depuis plusieurs décennies, le Mali accueille des techniciens russes, qui sont présents sur place pour aider à la formation. Nous avons également des militaires maliens qui sont venus ici [en Russie, ndlr] pour suivre une formation.
Les instructeurs russes qui sont avec nous aident à former nos forces, à renforcer nos forces. Ces techniciens nous aident à apprendre à utiliser les équipements, les avions ou les armes que nous recevons de la Russie, à apprendre à les utiliser dans une guerre asymétrique.
Je pense que c’est ainsi que nous le voyons en réalité, pas du tout comme quelque chose de nouveau. Et autant nous le faisons avec la Russie, autant nous le faisons avec d’autres pays.
Vous avez donc déjà des instructeurs russes au Mali?
Nous avons des techniciens russes. Ils travaillent avec le matériel aéronautique que nous avons récemment acquis. Nous avons besoin de leur aide pour entretenir cet équipement.
En ce qui concerne la question qui suscite tant d’inquiétude en Occident, les médias ont rapporté que le Mali s’était adressé à une société de sécurité privée russe. Le Mali peut-il recourir aux services de sociétés de sécurité privées, russes ou autres?
Nous devons à nouveau revenir sur la politique et le concept de sécurité des autorités maliennes. Le Mali travaille avec les États. Notre coopération avec la Russie, tout comme avec les États-Unis ou la France, est une coopération interétatique, nous nous adressons à l’un ou l’autre gouvernement, nous exprimons nos besoins. Nous essayons souvent d’acheter des équipements à crédit ou avec nos propres fonds.
Donc, encore une fois, nous avons dit très clairement que nos relations sont des relations interétatiques. Et tout ce qui est dit sur cette société, sur cette unité privée, vous savez, c’est… Beaucoup de pays qui critiquent aujourd’hui le Mali ont été les premiers à utiliser des forces de sécurité privées. Je rappelle qu’en Irak, pendant la présence américaine, les deux tiers des troupes étaient composés d’employés de sociétés privées. Toute cette campagne qui a été déployée vise en fait à faire pression sur l’État malien, il y a aussi d’autres calculs derrière. Mais si ces calculs disent que le Mali ne peut pas choisir les pays partenaires avec lesquels travailler, ils ont tort.
Nous avons dit que le Mali ferait des affaires avec tout pays avec lequel nous pensons être intéressés à travailler. Nous avons à nouveau souligné que notre problème n’est pas ces sociétés de sécurité privées. Nous disons que nous avons un vide sécuritaire dans notre pays, nous avons des problèmes pour sécuriser notre territoire, nous avons besoin d’aide pour pouvoir organiser des élections. Nous aimerions donc voir l’énergie qui est mise dans cette question de cette société privée dirigée vers la compréhension du problème des Maliens, pour que les gens puissent voir comment les aider à résoudre ce problème. Je pense que de telles approches seraient beaucoup plus constructives.
Mais encore une fois, au Mali, nous comptons sur les forces de défense et de sécurité maliennes pour sécuriser le pays avec les partenaires et les pays qui veulent nous rejoindre dans ce contexte.
Le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov a accepté l’invitation à se rendre au Mali. Quand l’attendez-vous: cette année ou en 2022?
Nous voulons que cela se fasse le plus rapidement possible. C’est un ami. Je pense qu’il est crucial qu’il puisse venir. Une fois de retour à Bamako, nous conviendrons du meilleur moment et nous nous renseignerons également sur les disponibilités du ministre. Je pense qu’il est extrêmement important qu’il puisse nous rendre visite pour constater en personne la situation sur le terrain et examiner avec nous les moyens de l’améliorer. Car la coopération se nourrit aussi de ces visites réciproques, qui ne devraient même pas faire la une des journaux, parce que cela devrait être une norme dans nos relations. Et nous espérons accueillir au plus tôt le ministre au Mali.
Que comptez-vous lui montrer au Mali et quel sera l’ordre du jour?
Il est difficile de le dire car nous ne nous sommes encore mis d’accord sur rien, mais il sera dans un pays ami et nous espérons partager avec lui les problèmes que nous avons. Je crois qu’à la lumière de ces réalités, nous pourrons certainement compter sur notre partenaire russe qui sera beaucoup plus fiable, beaucoup plus conscient de nos difficultés et également capable de continuer à travailler avec nous afin de stabiliser la situation au Mali. Afin de pouvoir nous aider davantage dans la lutte contre le terrorisme, qui est une menace mondiale.
Outre les visites diplomatiques, des visites de délégations à caractère économique sont-elles prévues?
Dans le cadre du Forum de Sotchi, dans le cadre de la coopération Russie-Afrique, un groupe de l’Association de partenariat économique a été mis en place. Il s’est déjà rendu au Mali. [Lors de ma visite à Moscou, ndlr] j’ai également reçu l’assurance que cette équipe était prête à venir travailler avec nous. Il est également important que nous puissions les mettre en contact avec des employeurs et des hommes d’affaires maliens, et que nous puissions évoluer vers un cadre d’échanges économiques entre nos deux pays, afin de voir comment tirer parti de ces opportunités économiques. Après tout, ce sont les relations économiques qui permettent de renforcer les relations entre les États.
Que souhaitez-vous ajouter pour conclure?
Si nous avons l’occasion d’envoyer un message à nos amis russes, nous voulons remercier la Russie pour sa contribution au développement de notre pays. Cette amitié, cette fraternité doivent se poursuivre et les Maliens en seront toujours reconnaissants.
* Organisation terroriste interdite en Russie