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Paradis fiscaux: «Des Chinois pris la main dans le pot de confiture»

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Comment les proches des dirigeants chinois dissimulent-ils une partie de leur fortune dans les paradis fiscaux ? Telles sont les révélations d’un consortium de journalistes basé à Washington, qui regroupe une trentaine de titres dont Le Monde. Serge Michel, chef du service « grands reporters » du quotidien français, répond aux questions de RFI.

Vous avez coordonné, avec un consortium, une enquête que vous intitulez « Offshore Leaks : révélations sur l’argent caché des “princes rouges” chinois ». Comment avez-vous pu accéder à ces informations ?

Serge Michel : Vous vous souvenez peut-être de « Offshore Leaks » version avril 2013, cette énorme masse de documents arrivée par une fuite monumentale chez le consortium ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists, NDLR). Sur cette masse de documents, un très gros travail de vérification de « re-croisement » des noms et des ayants droit avait été nécessaire. Et à ce moment-là, on avait décidé de mettre de côté les noms chinois, parce que c’était beaucoup plus compliqué que les autres.

Leur transcription n’était pas stable dans les différents documents, et il fallait vraiment vérifier qui était derrière ces comptes qu’on avait, dont l’existence était déjà apparente en avril 2013, mais dont on n’avait pas forcément la liste de noms. Donc, ça a pris six mois de plus pour faire ce travail. Et aujourd’hui, on sort le versant chinois de « Offshore Leaks », qu’on l’a appelé « China Leaks ».Il s’agit de plus de 22 000 Chinois qui sont offshore, dont on a établi qu’ils étaient propriétaires de sociétés offshore.

Le chiffre est assez édifiant ! Ces clients sont donc originaires de Chine. Mais il ne s’agit pas de n’importe qui, n’est-ce pas ?

D’abord, on trouve en effet les plus grosses fortunes du pays. On a l’ensemble des quinze milliardaires chinois les plus importants, on les a vus apparaître dans nos documents. On les appelle « les hommes d’affaires », les « super riches ». Et puis, à côté, on a une catégorie de personnes vraiment typiquement chinoise, qu’on appelle « les princes rouges ».

C’est l’entourage direct – les enfants, les conjoints, les beaux-fils, etc. – des dirigeants. Et ces dirigeants ne sont rien de moins que Xi Jinping, le président actuel, son prédécesseur Hu Jintao, et en particulier l’ancien Premier ministre Wen Jiabao, qui a été au pouvoir jusqu’à l’an dernier, et dont les deux enfants sont « attrapés » offshore.

A-t-on une idée des sommes d’argent que cela représente pour chacun ?

Hélas non. On n’a pas d’idée sur les avoirs de chacun de ces personnages, parce que ce que démontrent nos documents, ce sont les relations – beaucoup de relations – entre une personne, un avocat, une banque, une société offshore, etc. On a beaucoup d’échanges de lettres, mais dans ces échanges-là n’apparaissent pas forcément des montants. En revanche, on a des idées sur la totalité de l’argent qui a quitté la Chine pour aller dans les paradis fiscaux. Et là, on est dans des chiffres astronomiques depuis le début des réformes de Deng Xiaoping.

D’où viennent ces fortunes amassées durant toutes ces années ?

Elles viennent bien évidemment du développement de la Chine, qui a été considérable. Pour les hommes d’affaires, évidemment, il y a eu des privatisations très profitables. Les affaires de corruption sont évidentes. Et on retrouve une corrélation forte entre les personnages qui ont été impliqués dans la corruption, et ceux qu’on voit offshore.

Ça démontre encore une fois l’avantage de l’offshore pour dissimuler des fonds illicites. Par ailleurs, il y a un autre phénomène, qui est purement chinois : celui des « princes rouges ». Ce sont des gens qui, parce qu’ils étaient très proches de dirigeants, ont vendu leur accès au pouvoir suprême, y compris à des Occidentaux.

On voit par exemple une banque suisse qui emploie la fille du Premier ministre dans ses effectifs à Pékin et qui, ainsi, obtient l’accès, en première, au marché chinois private banking, avant de devenir leader sur ce marché avec quelque chose comme 33 milliards de dollars sous gestion en Chine. Donc, en vérité, c’est vraiment un trafic d’influence que les enfants, les conjoints des dirigeants, etc. ont exercé depuis une quinzaine d’années pour des sommes vraiment considérables.

Ces documents sont-ils le révélateur d’une Chine nouvelle ?

Je ne suis pas sûr que ce soit une Chine nouvelle. J’espère que la Chine nouvelle sera plus transparente, parce que tout ça a existé dans une opacité complète, y compris vis-à-vis de la presse chinoise, qui n’a pas le droit d’en parler. Le site du journal Le Monde a d’ailleurs été censuré. Donc, on est vraiment dans une Chine de la période actuelle, qui on l’espère trouvera fin un jour.

Il y a, en Chine, un mouvement des citoyens pour la transparence. Aujourd’hui s’ouvre le procès d’un de ses activistes. Donc, chaque personne qui, sur place, demande des comptes se fait durement punir. On espère que c’est une Chine d’hier plutôt que de demain. En revanche, c’est une Chine assez mondialisée où l’on voit des flux financiers qui, de Chine, partent vers les paradis fiscaux, et dans les paradis fiscaux investissent parfois en Europe.

On se souvient par exemple comment la villa française de Bo Xilai, dignitaire tombé il y a un an et demi en disgrâce, avait été acquise. On ne savait pas que c’était lui qui était derrière cette villa, qu’il l’avait acheté. Et en vérité, la structure passait par les Iles Vierges, qui sont une certaine manière, pour les Chinois, d’investir dans le reste du monde.

Vous parliez de presse censurée. Cela veut-il dire qu’au final, il n’y aura pas beaucoup d’impact de ces révélations ? Ou bien la situation peut-elle s’avérer explosive ?

Moi, je pense que la connaissance des Chinois ordinaires sur les avoirs de leurs dirigeants va augmenter avec cette opération. Ils ne vont pas réussir à tout censurer. Certains passages, certains éléments, vont transpirer quand même. Sur les réseaux sociaux, on surveille notamment de très près le réseau Weibo, le Twitter chinois.

On voit que des messages apparaissent ici et là, et sont supprimés après un quart d’heure. Mais en Chine, quand il y a un message pendant un quart d’heure sur Internet, ça touche quand même quelques dizaines de milliers de personnes. On a l’impression que la connaissance globale va augmenter sur la corruption et l’argent caché des dirigeants.

D’un mot, Serge Michel, vous attendiez-vous à ce que vous avez découvert ?

Pas vraiment. Ici, il parait tellement évident, quand on est le fils d’un Premier ministre par exemple, de prendre peut-être plus de précautions… Là, en vérité, on voit des gens qui ont vraiment été attrapés la main dans le pot de confiture.

rfi

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