Le ministre de la Défense a confirmé devant l’Assemblée nationale, mercredi, ce que tout le monde savait dans les allées du pouvoir depuis de longues semaines: les opérations extérieures (surnommées les «opex» dans le jargon militaire) vont coûter beaucoup plus cher que ce qui était prévu dans la loi de finances initiale. Le budget alloué à ces opérations pour l’année 2014 était de 450 millions d’euros. Or, selon les projections du ministère, les dépenses liées aux interventions militaires françaises excéderont le milliard d’euros. Soit un dépassement de 605 millions d’euros.

A la différence de pays comme les Etats-Unis, Paris ne mentionne que les «surcoûts» liés à ces «Opex». Autrement dit: ne sont prises en compte que les dépenses liées directement aux interventions (la consommation de munitions, les primes de risque, les heures de vol supplémentaires, etc.). Ce mode de calcul rend certes les chiffres moins spectaculaires, mais il n’empêche: en ces temps de disette budgétaire, la somme de 605 millions est tout sauf négligeable.

Devant les députés, Jean-Yves Le Drian a justifié ce dépassement par le nombre accru d’engagements extérieurs, «par nature imprévisibles», depuis la fin 2013. Le ministre a notamment insisté sur le cas emblématique de l’Irak: «Aux côtés de nos alliés arabes et occidentaux, nos militaires renseignent les troupes irakiennes et kurdes et frappent des cibles ennemies. C’est la responsabilité de la France.»L’effondrement de l’armée irakienne sous les coups de boutoir des troupes de l’Etat islamique, l’été dernier, a de fait surpris les Occidentaux et poussé Paris à intervenir aux côtés des Américains, au nom de la lutte contre un terrorisme islamiste en pleine expansion.

Jean-Yves Le Drian a aussi reconnu que Paris avait dû maintenir des effectifs «en plus grand nombre que prévu» au Mali pour «accompagner le processus politique malien». Après avoir été défaits par les troupes françaises de l’opération Serval, début 2013, les groupes terroristes multiplient depuis quelques semaines les actions au nord de la boucle du Niger dans une zone désertée par l’armée malienne. Or, dans le même temps, la force de maintien de la paix déployée par l’ONU montre des signes de faiblesse.

Au-delà de ces vraies «surprises stratégiques» et de ces difficultés sur certains théâtres, peut-être sous-estimées, il y a la réalité des chiffres. Les 450 millions prévus chaque année pour les Opex dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2014-2019 sont à mettre en rapport avec les 630 millions alloués en 2012. La Défense aurait-elle sciemment sous-évalué cette dotation, partant du principe que le budget global des armées est insuffisant et que les autres ministères doivent mettre la main à la poche? «Il n’y a pas d’entourloupe, explique un haut responsable proche du dossier. Tout est clair depuis le début: la défense autofinance 450 millions pour les Opex, et l’interministériel tout ce qui dépasse. C’est un choix politique, validé au plus haut niveau de l’Etat.»

Reste que le ministère de la Défense est lui-même mis à contribution dans cet effort «interministériel», théoriquement au prorata de ce qu’il représente dans le budget de la nation, soit environ 20%. «Nous avons obtenu une limitation à 10%», souligne-t-on toutefois à l’hôtel de Brienne (siège du ministère).

De haute lutte, car dans la coulisse, la bataille est rude. Selon une source proche du dossier, près d’1 milliard d’euros sur les 31,4 prévus pour les armées en 2014 avaient été «gelés» par Bercy au cours des derniers mois. «Mais à l’issue du conseil des ministres du 5 novembre, il a été décidé d’en rendre 600 à la Défense.» Conclusion:«Bercy récupère tout de même 400 millions», selon la même source. Dès lors, le ministère va devoir faire de nouvelles économies, vraisemblablement sur les programmes d’équipements. «En réalité, vu le niveau de nos engagements à l’extérieur et l’état des menaces, ce n’est pas de 31,4 milliards dont nous avons besoin, ni même de 32 milliards, mais bien plutôt de 35 milliards», assure un haut fonctionnaire. Il faudra patienter.

Thomas HOFNUNG