Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Opération Serval : “Nous nous sommes parfois trouvés tout près de la catastrophe”

Premier chef de la brigade Serval, dès janvier 2013, le général Bernard Barrera revient dans un livre (1) sur les leçons de la guerre du Sahel. Interview.

GENERAL BERNARD BARRERA SERVAL OFFICIERS AKELLO

Le Point.fr : Quelles sont les leçons que vous avez tirées de votre commandement de la brigade Serval, dans les premiers mois de l’opération au Mali ?

Bernard Barrera : Au plan de l’organisation opérationnelle, le système de « poupées gigognes » a fait ses preuves : composé de forces aériennes et des forces spéciales intervenant très rapidement, puis des forces prépositionnées arrivant en quelques jours et enfin des unités en alerte en France dans le cadre de Guépard, mises en place dans un délai rapide, ce dispositif est excellent. Très rapidement, nous avons disposé sur place des moyens nécessaires pour faire face à la crise du Mali.

Avez-vous bénéficié de moyens fournis par des pays étrangers ?

Il y en a eu quelques-uns, mais je les ai peu vus du sol, à l’exception des Belges qui sont venus avec deux hélicoptères Agusta intégrés à la brigade. J’ai aussi vu des aviateurs belges et danois venus participer au pont logistique et qui se posaient à Gao et à Tessalit. C’étaient les seuls qui allaient au-delà de Bamako, chaque pays ayant ses caveat [du latin caveo, être sur ses gardes. Ce terme militaire désigne les restrictions qu’un gouvernement pose à l’emploi de ses forces, notamment dans le cadre d’une coalition, NDLR]. Les Espagnols, les Allemands, les Britanniques, les Italiens, les Néerlandais, les Norvégiens, les Américains et les Canadiens ne nous ont pas seulement aidés pour la logistique puisqu’ils ont – au moins pour certains – participé au ravitaillement en vol de nos chasseurs. Et je n’oublie surtout pas nos amis africains, soldats maliens, tchadiens, nigériens qui se sont battus vaillamment à nos côtés et sans lesquels nous n’aurions pas fait la même campagne.

Vous racontez dans votre livre que le matériel équipant vos soldats a été très vite détruit, par la chaleur notamment… Ce fut le cas des rangers qui ont fondu !

Je fais la distinction entre les véhicules et les combattants à pied. S’agissant des premiers, je fais la distinction entre les engins neufs – VBCI notamment – et les matériels beaucoup plus anciens (VAB, AMX-10 RC, camions, VBL, hélicoptères Puma). J’ai senti une différence pour le confort des soldats, se traduisant en endurance et en résistance. Les VBCI ont fait leurs preuves dans les grandes vallées à l’est de Gao, principalement ; les autres matériels ayant vraiment fait la différence grâce à leur rapidité et leur puissance de feu sont le canon CAESAR et l’hélicoptère de combat Tigre. N’oublions pas la numérisation, qui nous a permis d’être efficaces et rapides. Nous sommes partis avec nos vieilles bêtes de somme (VAB, AMX-10 RC, camions logistiques, VBL, Puma). Ces matériels ont été parfois revalorisés, mais ils ont montré des signes de faiblesse et je ne cache pas qu’un escadron équipé de douze blindés a terminé la bataille d’Ametettaï avec quatre engins ! Nous avons connu des problèmes d’acheminement de pièces détachées. Pour certains engins à bout de potentiel, les pompes, les câbles, les pneus (entre autres) ont été de gros problèmes, malgré l’ingéniosité de nos mécaniciens et de nos soldats. Ces matériels sont à changer rapidement !

La température montait souvent à 50 °C, et ces engins n’étaient pas climatisés !

Le VBCI est le seul à être climatisé. Et même si la différence de température paraît faible avec l’extérieur (40 °C à l’intérieur contre 50 °C à l’extérieur du véhicule), elle fait la différence, cet élément suffit à faire durer les combattants bien plus longtemps sur le terrain, une semaine ou dix jours de plus ! Les équipages d’AMX-10 RC m’ont dit qu’en phase de combat, c’est-à-dire en tirant, les températures montaient à 60 °C ! Concernant nos fantassins, ils n’avaient pas encore reçu le système Félin, mais, pour le reste (armement, protection, optique), ils étaient bien équipés. S’agissant de certains petits équipements, on a vu des rangers fondre sur des rochers chauffés à 50 °C. On a parfois réglé le problème avec du ruban adhésif, mais surtout en organisant le ramassage de chaussures dans les unités de l’arrière, en attendant l’arrivée de chaussures neuves adaptées au désert bloquées à Paris par une tempête de neige !

Que retenez-vous des combats que vous avez connus ?

J’ai connu trois types de combats différents : dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas, dans les grands oueds à Gao et autour de la plateforme aéroportuaire de Tombouctou. À chaque fois, il s’est agi de combats contre des ennemis nombreux et très décidés, organisés en katibats de plusieurs dizaines d’hommes, voire de plusieurs centaines. Ils n’ont pas hésité en terrain dégagé à conduire des assauts dont ils savaient qu’ils ne reviendraient pas, le tout dans une chaleur suffocante. Dans l’Adrar des Ifoghas, ces combats se sont déroulés parmi des rochers, dans des grottes, dans des vallées brûlantes où les gens s’accrochaient aux puits. Ils savaient combattre et n’étaient pas des pieds nickelés. Les compagnies parachutistes qui les ont affrontés me disaient qu’ils voyaient se lever une première ligne de défenseurs à dix mètres d’eux, et simultanément d’autres combattants se dressaient à 300 mètres pour leur tirer dessus à la mitrailleuse lourde !

Vous évoquez ces djihadistes avec un certain respect.

Je dis qu’ils étaient courageux, car ils se sont battus durement, mais certainement pas qu’ils étaient valeureux. Ils utilisaient des enfants-soldats, ils piégeaient leurs morts, nous envoyaient des kamikazes, maltraitaient les populations, autant de moyens très éloignés de nos codes de combats, de notre code d’honneur. Dans la région de Gao, ils ont mené des assauts avec plusieurs dizaines d’hommes et je peux dire aujourd’hui que nous nous sommes parfois trouvés tout près de la catastrophe, quand ils se sont approchés de l’échelon logistique en visant des citernes à essence à la roquette et en les manquant à très courte portée.

Quel bilan global tirez-vous de votre commandement de la brigade Serval ?

J’ai la certitude que notre réussite est le fruit de trente ans d’expérience, pour les armées et pour le chef que je suis, parce que nous avons appliqué les principes de la guerre, la surprise, le retour à la manoeuvre. À la fois ceux que l’on apprend durant notre formation initiale et ceux que l’on acquiert à l’École de guerre. Nous avons eu sur le terrain 17 lieutenants sortant de Saint-Cyr, sans aucune défaillance ! Les chefs ont commandé des hommes courageux et motivés en partageant les mêmes conditions de vie avec la volonté partagée de vaincre. C’est le combat interarmées [avec l’armée de l’air et la marine, NDLR] et interarmes [l’infanterie renforcée par toutes les autres armes de l’armée de terre, NDLR] qui nous a permis de battre l’ennemi, avec des pertes limitées de notre côté. C’est cette combinaison de la rusticité et de la haute technologie que nous préparons à l’entraînement qui a conduit au succès ces unités aguerries sous d’autres cieux, et notamment en Afghanistan. Sans expérience, on ne tire pas depuis un Rafale à 5 000 mètres une bombe guidée laser à quelques dizaines de mètres des positions amies !

Durant notre conversation, vous avez nommé vos adversaires de différentes façons : combattants, ennemis, défenseurs. Jamais djihadistes ou terroristes. Pourquoi ?

Au début de l’opération Serval, nous les appelions « djihadistes ». Puis, quand on les a vus se lancer dans les attentats-suicides en ville, nous les avons qualifiés de « terroristes ». Sur un plan tactique, pour nous, il s’agissait de « combattants » ou d’« ennemis », car ils défendaient leurs positions et, en nous affrontant, ils défendaient aussi leur peau, mais il faut toujours préciser, comme je l’ai fait, que nous ne partagions aucune valeur avec eux. Ils gouvernaient le Mali du Nord par la terreur.

Lire la site sur:www.lepoint.fr

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance