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«On n’est pas étonné par ce nouveau massacre au Mali, mais par son envergure»

Une centaine de personnes ont péri dans une attaque contre un village dogon entre les 9 et 10 juin 2019 dans la région de Mopti, au Mali, selon un bilan provisoire. Représailles après le massacre, en mars, de plus 160 Peuls à Ogossagou? «Le mode opératoire ne permet d’écarter aucune thèse», explique à Sputnik Ibrahim Maïga, chercheur à l’ISS.

 

«Une tragique attaque armée» menée par des hommes «soupçonnés d’être des terroristes», «un carnage»: c’est ainsi que le gouvernement malien qualifie ce qui s’est passé dans un village dogon près de Sangha, dans la région de Mopti, au centre du Mali. Dans ce communiqué reçu par Sputnik, il évoque un «bilan provisoire» de 95 morts et 19 portés disparus.

Selon ce texte, l’attaque «a été perpétrée ce lundi [10 juin, ndlr], vers 03 h 00 (heure locale et GMT), dans le village de Sobame-Da, dans la commune de Sangha, dans la région de Mopti». Mais une source de sécurité, sous couvert d’anonymat, et un responsable de l’opposition malienne originaire de la région ont indiqué à Sputnik que les assaillants, non identifiés, sont arrivés le 9 juin, entre la fin de la journée et le début de soirée, dans le village, également identifié par certains comme Sobane-Kou.

Ibrahim Boubacar Keïta, le Président malien, qui se trouvait en Suisse pour une conférence marquant le centenaire de l’Organisation internationale du travail (OIT), prévue du 10 au 12 juin, a annoncé qu’il écourtait son séjour «suite à ces évènements douloureux», dans un message publié par la présidence malienne. Il a dénoncé un «acte lâche et barbare que rien ne saurait justifier», et affirmé avoir instruit le gouvernement de «prendre toutes les dispositions idoines en vue de poursuivre, arrêter et traduire devant toutes les juridictions compétentes les auteurs de cette infamie».

De son côté, le ministère malien de la Justice a annoncé «l’ouverture d’une enquête préliminaire par le procureur du Pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale» à la suite de «l’attaque terroriste» à Sobame-Da, dans un communiqué diffusé le 10 juin au soir. Il appelle les citoyens à informer les autorités judiciaires de «tout fait susceptible de faire avancer l’enquête en cours».

Selon le communiqué du gouvernement reçu par Sputnik, «des hommes armés, soupçonnés d’être des terroristes, ont lancé un assaut meurtrier» contre Sobame-Da le 10 juin vers 03 h 00 du matin. «Le bilan provisoire établi par une mission […] dépêchée immédiatement sur les lieux, en présence du maire de Sangha, fait état de 95 morts et de 19 portés disparus, plusieurs animaux abattus et des maisons incendiées. Des renforts sont actuellement déployés dans le secteur et mènent un large ratissage pour traquer les auteurs.»

Le gouvernement présente dans ce document ses condoléances «aux familles endeuillées et assure que toutes les mesures seront prises pour arrêter et punir les auteurs de ce carnage».

La source de sécurité jointe par Sputnik depuis Dakar a expliqué avoir recueilli des éléments de terrain selon lesquels les assaillants, armés, ont fait irruption dans le village dogon vers 17 h 00, en tirant en l’air.

«Les villageois pensaient qu’il s’agissait de voleurs de bétail. Ils se sont réfugiés dans leurs maisons. Les hommes armés ont encerclé le village et ils y ont mis le feu. Certains sont morts brûlés dans les maisons, d’autres ont été abattus alors qu’ils tentaient de fuir», et leurs corps laissés à la merci du feu, a-t-elle rapporté.

D’après la même source de sécurité, plusieurs dizaines d’habitants manquent à l’appel. De premiers éléments laissent croire qu’il y avait des Peuls de villages voisins parmi les assaillants et que «c’est un coup préparé». Cependant, rien ne permet de dire s’il s’agissait d’un groupe ou d’une alliance, et s’il l’a été en représailles au massacre d’Ogossagou, a-t-elle précisé.

Le 23 mars 2019, environ 160 personnes ont été tuées dans le village peul d’Ogossagou, également situé dans la région de Mopti, en proie ces dernières années à des violences entre communautés, particulièrement entre Peuls et Dogons. Dans la foulée de cette attaque, des spécialistes avaient mis en cause Dan Nan Ambassagou, un groupe armé constitué par des chasseurs Dogons et officiellement constituée comme une association. Le 24 mars, le gouvernement malien avait décrété, en Conseil des ministres, la dissolution de l’association Dan Na Ambassagou, lui reprochant de s’être «écartée de ses objectifs initiaux, en dépit des mises en garde répétées des autorités administratives locales», mais sans fournir de détail. Il avait aussi remplacé huit responsables de l’armée malienne, dont le chef d’État-major et son adjoint.

Selon les conclusions préliminaires d’une enquête de la Mission de l’Onu au Mali (MINUSMA) sur ce massacre, l’attaque d’Ogossagou a été menée par plus de 100 hommes, «identifiés comme des chasseurs traditionnels (Dozos) et accompagnés par une dizaine d’hommes en tenue militaire et d’autres en tenue civile». Elle était «planifiée, organisée et coordonnée sur la partie peule du village d’Ogossagou», et elle pourrait relever du crime contre l’humanité, selon la MINUSMA.

Ibrahim Maïga est chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS, Institute for Security Studies), un think tank travaillant sur l’analyse des conflits, la gouvernance, le maintien et la consolidation de la paix ou encore la prévention de la criminalité, entre autres domaines. Lui aussi a reçu des renseignements selon lesquels l’attaque de Sobame-Da a été menée le 9 juin au soir par des hommes armés, sans être en mesure de se prononcer sur l’identité des assaillants.

«Il y a encore des zones d’ombre. Les informations pour l’instant [jusqu’au soir du 10 juin, ndlr] font état d’une quarantaine d’individus armés qui seraient arrivés à moto et qui auraient encerclé le village avant de massacrer les habitants. Malheureusement, ce qu’on sait du mode opératoire ne permet d’écarter aucune thèse, puisque ce mode opératoire est aussi bien utilisé par les groupes armés dits d’autodéfense que par des groupes terroristes ou des groupes de bandits dans le cadre d’un règlement de compte», a déclaré Ibrahim Maïga, basé à Bamako.

Le Mali est plongé dans l’instabilité et une crise complexe depuis un coup d’État militaire, en mars 2012, suivi de la prise de contrôle de la moitié nord du pays par des groupes rebelles touareg et d’islamistes armés, qui ont dirigé ces zones pendant près dix mois. Ces divers rassemblements ont été dispersés par une opération militaire internationale déclenchée en janvier 2013 à l’initiative de la France sous le nom de Serval, qui se poursuit actuellement avec la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA, déployée depuis 2013).

Un accord de paix (l’«Accord d’Alger») a été signé en mai-juin 2015 par le gouvernement et plusieurs groupes armés maliens, excluant les djihadistes, mais il peine à être appliqué, alors que le centre du pays se trouve pris dans un engrenage d’attaques djihadistes, de violences commises par des milices d’autodéfense, des bandes de criminels. Des enquêtes menées par ONG et des témoignages d’habitants à des médias locaux et internationaux mettent également en cause des militaires maliens dans des bavures.

Ibrahim Maïga relève des «similitudes» entre les attaques de Sobame-Da et d’Ogossagou, sans toutefois les lier par des faits de vengeance.

«On ne peut pas ne pas faire référence à ce qui s’est passé à Ogossagou, puisqu’il y a des similitudes. Cette attaque [de Sobame-Da, ndlr] présente des similitudes avec celle d’Ogossagou en termes d’horreur, en termes de mode opératoire, en termes de bilan très lourd. Je me garderai, à ce stade, de conclure à des représailles par rapport à ce qui s’est passé à Ogossagou, d’autant plus que la zone dans laquelle s’est produite cette attaque [du 9 juin] est coutumière d’attaques, d’assassinats ciblés qui, eux, se font de façon quasi-quotidienne», a expliqué le chercheur à l’ISS.

Pour lui, ce nouveau massacre est «surprenant» par l’ampleur de son bilan, mais était «prévisible», en raison de la persistance des violences dans la zone.

«Ça peut surprendre, parce qu’après Ogossagou, il y a eu des discours assez forts de la part du gouvernement comme de la part des autres acteurs internationaux présents au Mali. Mais quand on connaît l’historique de violences dans cette zone, on n’est pas étonné d’entendre parler d’un nouveau massacre. C’est l’envergure du massacre qui peut étonner», a-t-il dit.

Nouhoum Togo, conseiller en communication du chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé, est originaire de Bankass, dans la région de Mopti et à ce titre, il suit «la situation pas à pas», précise-t-il à Sputnik. Il fut aussi chargé de la communication du ministère de la Défense et «(s)» intéresse de près aux questions de Défense». Selon ses informations, l’attaque de Sobame-Da a été lancée lundi «vers 18 h 00, selon le même mode opératoire qu’à Ogossagou», incluant l’incendie et les exécutions.

«C’est l’horreur. Le bilan est plus lourd que ce qui a été annoncé. Le village compte plus de 300 habitants, et actuellement, on n’arrive pas à en retrouver la moitié» comme éventuels survivants, a indiqué Nouhoum Togo, estimant que certains corps ont été réduits en cendres.

Pour lui, un nouveau massacre était à prévoir après celui d’Ogossagou et les attaques de masse risquent de se reproduire si le dispositif sécuritaire n’est pas renforcé sur le terrain.

«Après Ogossagou, on nous a dit que c’étaient des chasseurs Dogons qui avaient attaqué». Après le massacre de Sobame-Da, «on va nous dire que ce sont des milices peules. On parle, mais jusqu’à présent, on n’arrive pas à situer clairement la responsabilité de ce qui se passe. Les déclarations ne règlent pas le problème. Nos autorités sont incapables de sécuriser la zone, les (forces des) Nations unies, qui sont venues nous aider à relever le défi sécuritaire, n’y arrivent pas», a-t-il regretté.

Pour Nouhoum Togo, le Mali a besoin d’une «réelle volonté politique» et d’une reprise en main de son armée et de sa sécurité. «Il nous faut une armée capable de relever le défi, on ne peut pas continuer à sous-traiter notre sécurité, on ne peut pas compter sur la communauté internationale pour nous défendre», a-t-il jugé.

 Ibrahim Maïga, le chercheur à l’ISS, estime que mettre fin au cycle de violences dans le centre du Mali relève d’une mission complexe, incluant la réponse militaire ou sécuritaire, mais aussi la réponse politique.

«Il y a plusieurs actions à mener, parfois de façon concomitante, parfois de façon séquencée. Dans l’immédiat, il y a probablement des efforts importants à faire pour améliorer la couverture sécurité et pour avoir la vivacité des forces de défense et de sécurité maliennes, mais aussi parfois avec l’appui des partenaires» comme la MINUSMA, même si celle-ci est confrontée aux contraintes et limites de son mandat, a-t-il avancé. «Mais la réponse sécuritaire à elle seule ne saurait résoudre cette situation-là. Si l’on n’assigne pas des objectifs politiques à la réponse militaire, on s’engage dans un cercle sans fin», a-t-il poursuivi.

Il a indiqué qu’une démarche allant dans ce sens a été annoncée récemment par le gouvernement malien spécifiquement pour le centre du pays, «pour arriver à pacifier cette région du Mali».

À l’issue du conseil des ministres du 24 mai, le gouvernement a évoqué «la création d’un cadre politique de gestion de la crise au centre du Mali». Ce cadre «sera créé auprès du Premier ministre» et regroupera plusieurs ministres (Affaires sociales, Justice, Défense, Sécurité, Administration territoriale, Affaires étrangères, Cohésion sociale, Affaires religieuses et Budget).

«L’objectif stratégique est de combiner l’approche politique et l’approche militaire en vue d’apaiser la situation au Centre et de résoudre la crise sur une base durable», selon le communiqué du conseil des ministres du 24 mai, qui ne fournit pas de détails.

Dans son dernier rapport sur la situation au Mali, en date du 31 mai, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’Onu, constate une dégradation de la sécurité sur les trois derniers mois dans le centre du Mali «où, selon les estimations, vivent 30% des 20 millions d’habitants du pays».

Entre fin mars et fin mai 2019, cette région «est restée celle où l’on a enregistré le plus grand nombre d’attaques contre des civils et de victimes civiles, en raison d’une nouvelle intensification des affrontements et de la violence intercommunautaires, ainsi que des attaques par des groupes terroristes et des milices d’autodéfense. Les violences intercommunautaires ont été les plus marquées essentiellement dans les cercles de Koro et de Bankass, dans la région de Mopti, entre Dogons et Peuls et dans le cercle de Djenné, toujours dans la région de Mopti, entre Peuls et Bambaras», peut-on lire dans ce document reçu par Sputnik.

Source: sputnik news

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