Au lendemain de leur libération surprise et rocambolesque, les 104 écolières kidnappées à Dapchi, dans le nord-est du Nigeria par le groupe jihadiste Boko Haram, étaient jeudi à Abuja dans l’attente de rencontrer le président Muhammadu Buhari.
Au même moment, le gouvernement local de l’Etat de Borno (nord-est), épicentre des violences commises par les islamistes de Boko Haram, annonçait la fermeture « immédiate et jusqu’à nouvel ordre » de tous les pensionnats pour des raisons de sécurité.
Au total, 104 des 110 étudiantes enlevés le 19 février dernier dans leur pensionnat à Dapchi, dans l’Etat voisin de Yobe (nord-est), ont été rapatriées.
Cinq sont décédées quelques heures après l’enlèvement, ont témoigné leurs camarades, et l’une, chrétienne qui a refusé de se convertir à l’Islam, est toujours entre les mains des ravisseurs, vraisemblablement dans une des îles sur le Lac Tchad.
Vêtues de leurs longs hijabs traditionnels, les filles sont montées à bord d’un avion de transport militaire depuis Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, jusqu’à Abuja.
Elles devraient y rencontrer le président Muhammadu Buhari vendredi, et suivre un programme médical.
Le président Buhari avait reçu 82 lycéennes de Chibok, libérées en échange de prisonniers en mai 2017, trois ans après leur enlèvement qui avait provoqué une indignation internationale.
– Pas de « rançon » –
La libération inattendue des écolières de Dapchi a fait la Une des journaux jeudi au Nigeria et a soulevé des questions sur les négociations et sur ce que les hommes de Boko Haram ont pu recevoir en retour.
Le ministre nigérian de l’Information, Lai Mohammed, a démenti tout versement de rançon: « Il n’est pas vrai que nous ayons payé une rançon (…) il n’y a pas eu non plus d’échange de prisonniers pour obtenir leur libération ».
« L’enlèvement lui-même était une violation des pourparlers de cessez-le-feu entre les insurgés et le gouvernement », a-t-il justifié. « Cela était devenu un fardeau moral pour les ravisseurs. »
« Toute information selon laquelle nous avons payé une rançon ou effectué un échange de prisonniers est fausse », a martelé M. Mohammed, en réponse à des articles parus dans la presse locale.
Selon des experts, les rançons versées et les prisonniers libérés, en échange de la libération d’une centaine de lycéennes de Chibok, ont pu motiver Boko Haram à commettre un nouvel enlèvement de masse.
Mais la capacité de Boko Haram à réussir un kidnapping de cette ampleur met en lumière les graves failles sécuritaires dans le nord-est du pays et notamment la protection des écoles.
Boko Haram, dont le nom signifie en langue haoussa « l’éducation occidentale est péché », ont régulièrement ciblé les écoles laïques depuis le début de l’insurrection armée en 2009.
Selon l’agence des Nations unies pour l’enfance, l’Unicef, plus de 2.296 enseignants ont été tués et environ 1.400 écoles ont été détruites dans le nord-est du pays.
– « mesures urgentes et immédiates » –
Les autorités du Borno n’ont fait aucune allusion à la libération des jeunes filles de Dapchi, expliquant que la décision de fermer les pensionnats a été prise suite à l’attaque menée à Rann, le 1er mars, qui a coûté la vie à trois travailleurs humanitaires et huit membres des forces de sécurité.
Muhammad Bulama, le ministre local aux affaires intérieures et à l’information, a déclaré que ces « mesures urgentes et immédiates » étaient prises pour améliorer la sécurité, mais cela va affecter encore un peu plus l’accès et le niveau scolaire, déjà très faible, pour de nombreux enfants de la région.
A la dernière rentrée scolaire, l’Unicef a indiqué qu’au moins 57% des écoles dans le Borno étaient fermées, craignant de voir « une génération perdue d’enfants, menaçant leur avenir et celui du pays ».
De leur côté, les Nations unies ont annoncé jeudi avoir repris l’aide humanitaire à Rann, suspendue pendant trois semaines, mais leur personnel -ainsi que les humanitaires de Médecins sans Frontières-, ne peuvent toujours pas dormir sur les lieux et se rendent dans cette ville très isolée en hélicoptère.
Le conflit, qui a fait 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés depuis 2009, s’enlise toujours dans le nord-est. Bien que le groupe jihadiste ne détienne plus de larges territoires comme ce fut le cas en 2014-2015, une grande partie des routes, ou de nombreuses zones (Marte ou Abadam, à proximité du lac Tchad) restent totalement inaccessibles.
La rédaction