Alors que la France ne voulait pas croire à une présence à long terme de Wagner au Mali, le groupe militaire privé russe et la junte au pouvoir ont consommé leur lune de miel. Dans ce vaudeville sahélien, qui fait réagir mollement à l’international, c’est surtout la France et Macron qui tiennent le rôle du cocu. Explications.
Wagner ? « Mais non, c’est du bluff. » « Un mirage » « Les Maliens ont trop à perdre. » Il y a un petit mois, quelques connaisseurs avertis de ce qui se trame à Bamako et dans le reste du pays doutaient encore de la volonté de la junte au pouvoir d’aller jusqu’au bout de sa lune de miel avec le groupe militaire privé russe, considéré comme proche du Kremlin. Hier, en fin de journée un communiqué conjoint de quinze pays partenaires – dont bien sûr la France – ayant une activité militaire au Mali a mis fin aux spéculations : « Nous regrettons profondément la décision des autorités de transition maliennes d’utiliser des fonds publics déjà limités pour rétribuer des mercenaires étrangers. »
D’après des « informations gouvernementales » citées par nos confrères du Monde Afrique et nos propres sources à Bamako, pour l’instant c’est du côté d’une base dressée en urgence près de l’aéroport international qu’ont été observés les signes les plus tangibles du déploiement de la force paramilitaire : des tentes, des véhicules de transports de troupes et des blindés. Sans parler de diverses rotations de gros porteurs à usage militaire. Du côté des hommes, un observateur joint par Marianne assure en avoir identifié quelques dizaines en treillis sur la base, clairement russophones. Des « éclaireurs » avant l’arrivée du gros des troupes ?
ENTRE 500 ET 1 000 MERCENAIRES RUSSES
Malgré un accord dont le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop continue de nier l’existence, leur nombre se situerait entre 500 et 1000, sans que l’on sache exactement d’où ils viennent : Syrie, Libye, théâtres d’interventions connus de Wagner ? À moins que ce ne soit, plus proche, de la Centrafrique où le groupe s’est progressivement et solidement implanté après la fin de l’opération Sangaris conduite par la France jusqu’en 2016. Le scénario malien serait-il un copié-collé de ce qui est advenu à Bangui et dans les zones de pays riches en minerais et diamants ?
À plusieurs reprises, les institutions internationales et nombre d’ONG y ont dénoncé des exactions les attribuant à Wagner, tout en dénonçant la complicité des autorités russes. Routine : le Kremlin dément mais assume parfaitement son intérêt pour le monde africain francophone. Anciennes, les relations avec le Mali ont trouvé un nouveau souffle avec la prise de pouvoir du petit groupe d’officiers réunis autour des colonels Assimi Goïta et le très russophile Sadio Camara, respectivement président de la transition et ministre de la Défense. En leur signifiant publiquement il y a plusieurs mois qu’un marché avec Wagner constituerait un franchissement de ligne rouge inacceptable, Emmanuel Macron pensait-il vraiment leur ôter toute envie de le signer ?
D’après certaines de nos informations, même s’il n’était pas encore formalisé, ledit marché est déjà ancien et d’une certaine manière les Maliens en sont eux-mêmes plus ou moins prisonniers. Tout comme Paris se retrouve piégé par ses propres menaces de retirer la totalité de ses troupes dès le débarquement des mercenaires russes. Difficile de le faire hors d’un plan d’ensemble concocté avec l’ensemble des partenaires avec lesquels la France est associée, que ce soit dans la Minusma, la force Takuba (le regroupement de forces spéciales intervenant sur la zone dite des trois frontières) ou encore dans la formation des forces armées maliennes.
MACRON TRÈS REMONTÉ CONTRE LE CHEF DE LA JUNTE ?
Apparemment plusieurs de ces partenaires ont plaidé pour une position mesurée, tenant compte de « l’intérêt des populations qu’on ne peut livrer aux djihadistes. » De fait le communiqué commun de jeudi exclut tout départ et implique bien au contraire la poursuite des missions entreprises. Du côté des autorités françaises, on tente maintenant de minimiser la portée des décisions prises par des putschistes, présentées comme incapables de respecter leurs propres promesses d’organiser des élections régulières en févier prochain. « C’est exact mais quiconque vit ici sait qu’il était impossible de tenir ce calendrier. Et la majorité des Maliens ont bien d’autres préoccupations en tête », souligne un expatrié francophone. Les services de l’ambassade de France ont certainement éclairé ceux de l’Elysée de cette situation. Emmanuel Macron serait, dit-on, très remonté contre son homologue malien, le colonel Assimi Goïta, et pas loin de siffler la fin d’une intervention très coûteuse en homme et en moyens. Mais une envie ne fait pas une politique ni une stratégie, même si celles-ci se font plus compliquées que jamais à définir et tenir.
Source: marianne