«Moi qui avait l’habitude de fêter avec un mouton de 75.000 Fcfa, j’ai des problèmes à en avoir à ce prix-là, cette année. J’ai déjà visité plusieurs sites de vente à travers Bamako. Le mouton de 75.000 Fcfa est tellement petit que je n’ose pas le payer pour la famille». Tel est aujourd’hui le ressentiment de Mohamed Diarra. Visiblement inquiet, ce père de famille doit revoir ses ambitions à la hausse pour espérer s’offrir un mouton de Tabaski.
Pessimiste, Mamadou Coulibaly, lui, enfonce le clou. à ce rythme, interpelle-t-il, il sera difficile pour le citoyen lambda de fêter ou il se verra obliger de s’endetter pour se payer un mouton afin de fêter l’Aïd el-Kébir. Car, précise notre interlocuteur, les prix sont exorbitants comparés à l’année dernière.
Comme eux, nombreux sont les chefs de famille qui restent dubitatifs quant à la possibilité pour eux de pouvoir sacrifier à cette tradition musulmane. En cause : la hausse continue et inquiétante du prix du mouton due à plusieurs facteurs. «Il est difficile et risqué de faire venir des moutons des régions du Nord (principale zone d’approvisionnement) sans être victimes d’une attaque ciblée de la part des bandits armés ou de voleurs.
Les prix des moutons grimperont d’année en année aussi longtemps que cette insécurité persistera», affirme l’éleveur Boubou Dembélé. Il ajoute que les prix varient de 50.000 à 300.000 Fcfa, précisant que les moutons vendus à 50.000 Fcfa sont insignifiants.
Cette situation intervient dans un contexte économique et financier difficile pour les Maliens, car marqué par la persistance des effets néfastes sur le pouvoir d’achats des crises sécuritaire, sanitaire et sociale. Préjudice qui a sévèrement touché le secteur de l’élevage, à en croire les acteurs du domaine.
Ces derniers ont déployé des efforts remarquables pour approvisionner Bamako en moutons. Depuis quelques jours, les points de vente de bétail fourmillent de moutons. Des points de vente improvisés sont créés dans les coins et les recoins de la capitale. Pendant que certains rabatteurs se promènent dans les rues avec les bêtes, d’autres ont porté leur dévolu sur les services. Mais les acheteurs semblent se faire désirer.
Une ronde au niveau des points de vente de moutons suffit pour s’en convaincre. Il était environ 8h 30 mardi à l’entrée de Kati. Allaye Diallo est vendeur de moutons. Venu de Dièma pour écouler son stock, il attendait encore son premier client pour débuter la journée. Visiblement désespéré, le marchand de bétail dit craindre une année difficile pour les usagers et les vendeurs de moutons, marquée par une hausse inquiétante du prix du mouton. «Les deux dernières années ont été difficiles.
C’est encore pire cette année», constate le négociant. Pour lui, plusieurs raisons expliquent cette montée en flèche du prix de revient de l’animal de sacrifice. Il cite, entre autres, l’insécurité, la hausse du prix de l’aliment bétail (tourteaux), les tracasseries routières et le coût exorbitant du transport.
Des facteurs inhabituels qui compliquent les choses pour l’ensemble des acteurs. «Nous dépensons tellement pour ces moutons que nous sommes obligés de les revendre à prix d’or pour espérer s’en sortir», se justifie Boubou Dembélé, vendeur de moutons sur un site à Lafiabougou. Rencontré au marché à bétail «garbal» au quartier Hippodrome, en Commune II, le commerçant venu de Nara explique qu’il faut débourser 3.000 Fcfa pour amener un mouton de Nara à Bamako. Cela, sans compter les rackets tout le long du trajet. Pour transporter le bétail des régions du Nord à destination de Bamako, précise-t-il, les frais pour un mouton varie entre 5.000 et 6.000 Fcfa.
Comme eux la plupart des commerçants rencontrés sur les différents sites de vente trouvent qu’il est préférable de vendre sur place au niveau des localités de production. Car, cela permet d’éviter les frais nécessaires qu’engendre un déplacement sur Bamako. «Nous payons de l’eau pour abreuver les bêtes, de la nourriture, le berger pour les garder et souvent louons l’espace que nous occupons», détaille Mohamed Coulibaly, rencontré sur un site de vente à Faladiè.
Boubou Dembélé précise que le sac de tourteaux de 50 kg qui était cédé à 5.000 Fcfa l’année dernière, est vendu à 10.000 Fcfa cette année. Pour lui, la hausse du prix de l’aliment bétail a été aggravée par les effets de la Covid-19. Cette pandémie qui sévit dans notre pays depuis plus de deux ans a provoqué une croissance des charges pour les éleveurs, déplore-t-il.
Pour y faire face, les autorités devraient songer à mettre en place des stratégies visant à alléger les souffrances des vendeurs et soulager le portefeuille des familles pendant la fête, préconise Allaye Diallo, ce vendeur de Nara qui n’a pas fini d’arpenter les coins et recoins de la cité en vue d’écouler ses bêtes. En la matière, il estime que le fonds Covid-19 est censé atténuer les peines des populations durant cette crise.
Anne-Marie KEÏTA
Source : L’ESSOR