En 2017, près d’un million d’enfants et d’adolescents de 5 à 15 ans sont morts. Dans 55 % des cas, ces jeunes vivaient en Afrique subsaharienne
Ce n’est pas un âge pour mourir. Pourtant en 2017, près d’un million d’enfants et d’adolescents de 5 à 15 ans sont morts dans le monde. Dans 55 % des cas, ces jeunes vivaient en Afrique subsaharienne, « la zone qui concentre la plus grande surmortalité pour cette classe d’âge puisque plus de la moitié des décès y ont lieu, alors que seuls 21 % de la jeunesse du monde y grandit aujourd’hui », rappelle le démographe Bruno Masquelier, auteur d’une étude publiée par l’Institut national d’études démographiques (INED), mercredi 17 octobre.
En ce début de XXIe siècle, il ne fait toujours pas bon naître en Afrique subsaharienne, où, à 5 ans, lorsqu’il a traversé avec succès les premières années de sa vie et évité toutes les causes de mortalité infantile, un enfant a encore 20 fois plus de risques de mourir avant ses 15 ans que s’il vivait en Europe. Sur le « vieux continent » comme en Amérique du Nord, cette mortalité précoce est devenue très résiduelle. Au fil du XXe siècle, les adolescents européens ont vu décroître ce risque de ne pas arriver à l’âge adulte. Entre 1850 et 1950, il est tombé de 2,3 % par an, puis de 3,1 % entre 1950 et 2015.
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Globalement, cette mortalité a diminué partout dans le monde. Elle est passée de 1,7 million par an en 1990 à 900 000 en 2017, mais le travail publié aujourd’hui dans le numéro 559 de Population et sociétés, la revue de l’INED, met en exergue qu’elle n’a pas diminué de façon uniforme. L’étude pointe surtout que le continent africain a été le grand oublié de cette amélioration globale, puisque sur les sept pays qui concentrent la moitié de cette mortalité, quatre sont africains – le Nigeria, la République démocratique du Congo (RDC), l’Ethiopie et le Niger – et que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale concentrent un tiers du total des jeunes décédés avant leur seizième année.
Des décès qui pourraient être évités
Réalisé avec l’Unicef, le travail sur cette tranche d’âge – une première mondiale – vient éclairer dix années d’enfance et d’adolescence sur laquelle les démographes faisaient jusqu’alors l’impasse. « La mortalité infantile avant 5 ans a été largement étudiée car sa diminution fait partie des objectifs du millénaire », rappelle Bruno Masquelier. Les plus petits partaient de plus loin et ont encore du chemin à faire, puisque 5,4 millions d’enfants de moins de 5 ans sont encore décédés en 2017. Pour les plus grands, la réduction des disparitions dans les pays dits développés a peut-être masqué une part du problème.
Ainsi, « aujourd’hui en France, mais aussi plus largement en Europe de l’Ouest, le taux de mortalité des 5-15 ans est tombé à 1 pour 1 000. Des décès dus, par ordre décroissant, à des accidents de la route, des noyades, des chutes et parfois aussi des cancers, notamment des leucémies », rappelle Bruno Masquelier. En Afrique subsaharienne, en revanche, le risque qu’un enfant de 5 ans décède avant d’atteindre son 15èmeanniversaire est de 18 pour mille, et les causes accidentelles sont moins fréquentes, mais elles figurent toujours dans la liste des causes principales. Sur ces terres, « les diarrhées, les infections respiratoires, la rougeole et la méningite sont responsables de 28 % des décès à ces âges, le paludisme et les autres maladies tropicales de 11 %, la tuberculose et le sida de 9 % », insiste le chercheur.
Le travail de Bruno Masquelier rappelle qu’une bonne partie de ces décès prématurés pourrait être d’autant plus aisément évitée que la plupart de ces jeunes passent par un même lieu, idéal pour la prévention : l’école. « La lutte contre les vers parasites intestinaux, la promotion des moustiquaires imprégnées d’insecticide, l’éducation à un mode de vie sain ou encore les programmes de vaccination et de nutrition sont quelques exemples des interventions sanitaires à mener en milieu scolaire », plaide la revue de l’INED.
Comme le souligne l’institution phare du développement économique, « le combat mené pour éradiquer la pauvreté (…) sera gagné ou perdu en Afrique subsaharienne ». L’échéance pour remporter cette lutte a été fixée à 2030. Le premier des dix-sept objectifs de développement durable (ODD), adoptés par les Nations Unies en 2015, prévoit de faire passer le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à moins de 3 % de la population mondiale.
Un dessein voué à l’échec ? « Il est encore possible d’y arriver mais ce sera difficile », estime Carolina Sánchez-Páramo, directrice de l’unité pauvreté de la Banque mondiale. Les données de l’institution révèlent pourtant quelques bonnes nouvelles. En 2015, dernière année pour laquelle des statistiques vérifiées sont disponibles, le taux de pauvreté est tombé à 10 % de la population mondiale, un plus bas historique. Selon des chiffres préliminaires, il aurait continué à diminuer, depuis, pour s’établir à 8,6 % cette année.
En 1990, ce taux était encore de 36 %. Dans l’intervalle, plus de 1,1 milliard d’individus sont sortis de la grande misère grâce à l’amélioration de leurs conditions de vie. Malgré ces progrès incontestables, les experts de la BM notent avec inquiétude que le mouvement a ralenti ces dernières années. Et, surtout, qu’il masque de profondes disparités géographiques.
Développement spectaculaire de la Chine
Il y a un quart de siècle, la pauvreté extrême affectait majoritairement l’Asie orientale et le Pacifique. Le développement spectaculaire de la Chine a radicalement changé la donne. En 2015, ils n’étaient plus que 2,3 % parmi les habitants de cette région à vivre sous le seuil de 1,90 dollar par jour. Dans l’intervalle, le phénomène s’est de plus en plus concentré en Asie du Sud, et surtout, depuis 2010, en Afrique subsaharienne.
Certes, en pourcentage, le taux de pauvreté y a diminué depuis 1990. Il y était alors de 54,3 % contre 41,1 % en 2015. Mais le nombre de déshérités n’a cessé d’augmenter, en même temps que la croissance démographique. Et si l’Inde était encore en 2015 le pays abritant le plus de pauvres dans le monde (170 millions de personnes), le gigantesque Nigeria, avec ses 190 millions d’habitants, est en passe de lui ravir cette triste place. Sur les 27 pays affichant les taux de pauvreté les plus élevés à travers le monde, 26 se trouvent sur le continent africain.
Sans surprise, les pauvres sont plus nombreux dans les Etats en proie à des crises politiques ou des conflits armés. Beaucoup se situent en Afrique mais pas uniquement. Ainsi, les guerres en Syrie et au Yémen ont entraîné un doublement de la masse d’individus pauvres dans la région Proche-Orient et Afrique du Nord, entre 2013 et 2015, pour atteindre 5 % de la population.
Croissance inégalitaire et peu créatrice d’emplois
L’augmentation des chiffres du dénuement en Afrique tient aussi largement à des causes économiques, à la fois conjoncturelles et structurelles. « La croissance dans la région a été plus faible ces dernières années, rappelle Mme Sánchez-Páramo. A cela s’ajoute la nature de cette croissance. »
De nombreux pays africains sont des producteurs de matières premières dont les phases d’expansion économique profitent peu aux ménages situés tout en bas de l’échelle des revenus. La croissance y est inégalitaire et peu créatrice d’emplois. Résultat, selon les experts, « le taux de pauvreté devrait se maintenir à deux chiffres d’ici à 2030, faute de véritable changement de politique ».
Ce constat, insiste Mme Sánchez-Páramo, doit être interprété au sens large : « Etre pauvre, cela ne concerne pas seulement le niveau de revenu et de consommation. C’est aussi faire face à toutes sortes de privations touchant l’accès à l’éducation, aux services de santé ou à l’eau potable, et être davantage exposé aux fragilités climatiques. »
Source: lemonde