La Russie n’est pas en guerre, mais une partie de ce qu’elle considère comme son territoire vit désormais sous le régime de la loi martiale. Pour la première fois dans l’histoire de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a signé un oukase dans ce sens, mercredi 19 octobre, et justifié cette décision auprès de son Conseil de sécurité en expliquant que « les néonazis [ukrainiens] utilisent ouvertement des méthodes terroristes et envoient des groupes de saboteurs sur notre territoire ».

Ce régime d’exception s’applique dès à présent aux quatre régions ukrainiennes annexées par Moscou fin septembre – Louhansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson. La loi martiale, ensemble de dix-neuf mesures restreignant les droits des citoyens, est régie par une loi constitutionnelle de 2002. Elle permet la limitation des déplacements sur ces territoires ou à leurs frontières, l’interdiction des rassemblements, l’instauration de la censure, le contrôle des communications, y compris privées, la confiscation des biens des particuliers ou des entreprises, la réquisition des citoyens pour des travaux militaires ou encore le déplacement forcé de la population.

Ce dernier point prend une lueur particulière, alors que des évacuations ont débuté mercredi dans la région de Kherson, où l’armée ukrainienne poursuit une contre-offensive importante. Le gouverneur (russe) de cette région, Vladimir Saldo, a d’ailleurs précisé dans la soirée qu’« en vertu de la loi martiale, le pouvoir revient aux militaires ».

« Carte blanche » donnée aux pouvoirs régionaux

Davantage que l’explosion d’un camion piégé sur le pont de Crimée, début octobre, c’est bien l’avancée ukrainienne dans ces territoires annexés qui motive la mesure. Après la mobilisation militaire et le déclenchement d’une campagne de frappes sur les infrastructures ukrainiennes, la loi martiale est censée achever de mettre la Russie en ordre de bataille.

Car c’est bien le pays entier qui est concerné. Depuis les régions frontalières de l’Ukraine jusqu’à Moscou, des régimes spéciaux plus ou moins renforcés donnent aux autorités locales des pouvoirs exceptionnels, qui vont du déplacement des populations jusqu’à la fermeture des frontières administratives des régions, en passant par le contrôle d’Internet. Un point de l’oukase signé par Vladimir Poutine prévoit que les gouverneurs de toutes les régions russes pourront prendre « d’autres mesures appropriées » s’ils le jugent nécessaire, sans plus de précisions.

Pour les juristes, cette disposition équivaut à une « carte blanche » donnée aux pouvoirs régionaux et à l’instauration d’une « loi martiale de facto » dans tout le pays. Mercredi soir, les gouverneurs des régions frontalières de l’Ukraine se sont succédé pour assurer que la situation était parfaitement sous contrôle et qu’aucune disposition particulière n’était adoptée. Seul celui de Belgorod, région la plus touchée par les bombardements ukrainiens, a annoncé la prolongation des vacances scolaires.