Dans la région, les groupes djihadistes serrent la vis aux populations. La guitare traditionnelle des griots peuls ne résonne plus, écrit le blogueur Aliou Diallokei.
De Nantaka à Konna Hinde, en passant par Batomani, Nigga ou Koubi, aucune présence de l’État malien ne se fait sentir dans ces localités du Centre. Les jeunes qui ont rejoint les rangs du prédicateur Hamadoun Kouffa y règnent en maîtres absolus, « comme un éléphant dans un champ de mil », lance ce jeune originaire de Nantaka.
Kalachnikov en bandoulière, personne n’ose dire ou faire le contraire de ce qu’ils imposent dans ces localités du delta intérieur du Niger. Autrefois, les femmes se lavaient au bord du fleuve. Aujourd’hui, il est impossible de voir cette scène, encore moins de voir les jeunes s’amuser.
Une atmosphère de cimetière
Jadis, le retour des bœufs en transhumance et les cérémonies sociales étaient organisées avec exubérance. On pouvait mesurer toute la richesse culturelle de la région à l’aune de ces manifestations, qui sont désormais interdites par les groupuscules dits « djihadistes ».
« Les mariages étaient organisés avec faste. Pour accueillir une nouvelle mariée on formait une délégation et, à la rentrée du village de l’époux, on rentrait avec des chants et danses. Maintenant c’est interdit, les gens de la brousse (les djihadistes) veulent que ça soit une ou deux personnes qui aillent chercher la mariée », témoigne Amadou Diallo qui est revenu d’un mariage dans son village.
Il m’apprend que les jeux entre garçons et filles dans les ruelles du village sont aussi interdits. La nuit, c’est une atmosphère de cimetière qui règne dans le village. Il est clair qu’on ne reverra pas de sitôt des soirées avec la flûte de Kola Djugal ou de Wande Bara dans la région.
Débandade des griots
Si Bara Sambarou, Yero Askoula, ou encore Sacke Bogne sont des stars, connus partout avec leur guitare traditionnelle, le fameux « Hoddù », aujourd’hui leurs activités sont menacées de disparition. Ces dépositaires de généalogies de toutes les grandes familles, capables de narrer toute l’histoire de la zone, n’ont plus le droit d’exercer leur métier. Certains ont fui la zone, d’autres ont simplement abandonné le métier.
Mabourou Djiga est descendant d’une lignée de griot. Il a trouvé son salut dans une ferme, qu’il occupe à Bougouni. C’est avec nostalgie qu’il parle de son ancienne activité : « Je déroulais les louanges des personnes lors des cérémonies et ma petite sœur chantait. Dans mon village, depuis que les gens de la brousse sont venus, notre activité est interdite, ma sœur a cessé et moi, je suis venu à Bougouni pour travailler. Les contrevenants aux règles des djihadistes sont fouettés ».
La traverse de Djafrabe et le dégal de Dialloube, le Yaaral , ces grandes manifestations qui mobilisaient des milliers de personnes, y compris des touristes étrangers, ont disparu aujourd’hui, du fait de la menace djihadiste.
Nostalgie et peur
J’ai passé une grande partie de mon enfance dans la zone. Je me représente toutes ces cérémonies sociales qu’on célébrait avec faste. Le cœur débordant d’amertume, j’assiste à ces violences qu’on fait subir à ces contrées.
Jadis, lorsqu’on finissait le dîner familial, nos mains séchaient dehors à la place publique du village ou sur Benbere pour écouter un conte, jouer ou courir dans tous les sens avant d’aller au lit. Les enfants d’aujourd’hui ne danseront peut-être que pour la seule musique audible dans ces villages, celle émises par les kalachnikovs.
Je rappelle que Hamadoun Kouffa était d’abord connu pour ses chants en l’honneur des belles demoiselles avant de s’intéresser au djihadisme. N’est-ce pas égoïste de sa part ?
Source: benbere