François Hollande avait promis une “opération rapide”, n’ayant “pas vocation à durer”. Trois semaines après le déclenchement de Sangaris, vu les violences à Bangui, doit-on déjà parler de “bourbier”?
Seuls ceux qui ne connaissent pas la réalité du terrain pouvaient imaginer qu’une intervention de ce type puisse être courte et facile. Je réfute ce terme de “bourbier”. Il est normal que le président de la République, qui a eu raison de déclencher cette opération dans l’intérêt sécuritaire des Français sur le territoire national, l’ait présentée comme “rapide”, de manière à ce qu’elle soit acceptable mais en réalité, elle sera forcément longue. Il ne faut pas confondre le fantasme d’une guerre courte et facile et la réalité de la guerre. Regardez en Libye : le conflit ne dure pas longtemps, sans troupes au sol et au bout du compte on a fait de ce pays un exportateur de terrorisme international. La guerre, ça ne fonctionne pas comme ça. La durée est indispensable.
«La mission qui est confiée à l’armée française est la plus délicate qui puisse être confiée à une force militaire»
L’intervention française en Centrafrique est donc appelée à se prolonger. Combien de temps selon vous?
Je dirais un an au minimum, peut-être deux ou trois. Au Mali, nous devions être 1.000 hommes aujourd’hui, nous en sommes à près de 3.000 un an après alors que la mission était bien plus simple : détruire un adversaire identifié et permettre à des autorités politiques, par le biais des élections, de reprendre la conduite du pays. Rien de tout cela n’existe en Centrafrique. D’autres soldats français tomberont probablement dans l’accomplissement de leur mission. D’autant que la mission qui est confiée à l’armée française est la plus délicate qui puisse être confiée à une force militaire : intervenir au cœur d’une guerre civile et chercher à séparer des belligérants qui cherchent à s’entre-tuer, tout en utilisant le moins possible sa propre force.
Pensez-vous nécessaire l’envoi de troupes françaises supplémentaires?
Absolument. Les 1.600 militaires actuellement déployés ne peuvent pas accomplir leur mission. L’effondrement de la Misca nous place dans une nouvelle situation. Désormais, en-dessous de 5.000 Français et de l’envoi de véhicules blindés légers supplémentaires, on n’y arrivera pas. La France n’a qu’une alternative : soit elle se retire, et son image en sortira considérablement dégradée ; soit elle mène avec succès cette opération qu’elle était la seule à pouvoir accomplir, mais à ce moment-là en y engageant d’un coup les moyens nécessaires à la réussite de l’opération. Vous n’éteindrez jamais un incendie à coups de verres d’eau. A un moment, il faut envoyer les canadairs pour provoquer un effet de souffle. Le pire, serait l’escalade progressive. Rappelons qu’à la fin des années 90, les Britanniques ont engagé 5.000 hommes en Sierra Leone, un pays dix fois plus petit que la Centrafrique, et ont résolu une crise similaire.
«Maintenant que nous y sommes, partir serait un aveu de faiblesse insupportable»
La force africaine fait-elle partie des problèmes ou de la solution?
Il faut être franc. La force africaine crée par elle-même des problèmes et concourt à l’aggravation des tensions au sein de la population entre chrétiens et musulmans. Les Etats qui ont fourni des troupes ont des intérêts propres à défendre dans cette crise, à commencer par le Tchad qui fournit 850 des 4.000 hommes. La première mission de l’armée française était de sécuriser et de prévenir les massacres, la deuxième de restructurer la Misca pour en faire une force opérationnelle sur laquelle s’appuyer. On voit que cela n’est pas possible pour l’instant. Après trois semaines, on aurait dû avoir une force de 4.000 Africains et 1.600 Français aptes à remplir la mission. Ça n’est pas du tout le cas. Il faut que la communauté internationale, par le biais des Nations unies, appuie rapidement la France en procédant à l’envoi de troupes qui ne proviennent pas des Etats voisins de la Centrafrique. On peut être par ailleurs particulièrement sceptique quant à une aide de nos partenaires européens quand on constate les bien maigres résultats du dernier sommet européen, alors que cette crise concerne tous les Européens, comme l’a rappelé M.Van Rompuy.
Du coup la France se retrouve isolée… Et d’une certaine façon piégée, ne croyez-vous pas?
Non, pas piégée. La France devait intervenir dans l’intérêt même des Français à court et à moyen termes et était la seule en mesure de le faire aussi vite. Maintenant que nous y sommes, partir serait un aveu de faiblesse insupportable. Je sais qu’avec 2.800 hommes au Mali, 900 au Liban, éventuellement 5.000 en Centrafrique nous toucherions aux limites des capacités de notre armée. D’autant que pour un soldat déployé en opération extérieure, il en faut quatre ou cinq en métropole. Mais j’affirme que la France a les moyens de déployer de tels effectifs. Je tiens toutefois à également insister sur l’opposition flagrante entre la volonté d’engagement interventionniste (à juste titre) du gouvernement et sa politique qui, avec la loi de programmation budgétaire, organise la dégradation des forces conventionnelles, en particulier des forces terrestres, dont on si grand besoin dans ce type d’opérations. Si la France considère à juste titre qu’elle ne peut pas échapper à ses responsabilités en Afrique notamment, qu’elle ne veut pas y voir se reconstruire l’académie du terrorisme détruite au Mali, elle doit s’en donner les moyens.
source : lejdd.fr