Après le rêve libyen, l’Histoire leur a fait reprendre le chemin de l’émigration. Cette fois-ci, l’exil les a menés rue Bara, à Montreuil, à la périphérie Est, de Paris. Le 9 novembre, j’ai retrouvé ces «Maliens de Libye» sous une pluie glaciale, tout près de la station de métro «Croix de Chavaux». Le porte-parole du «Collectif des Baras» et les autres marcheurs scandaient des slogans pour réclamer un toit légal et la régularisation pour tous.
Quelques jours plus tard, deux d’entre eux me racontaient leur parcours. Ils ne se connaissaient pas au Mali. Ils se sont rencontrés à Bara. Ils ont découvert qu’ils appartenaient à la même grande famille. Deux hommes. Deux Maliens. Deux expériences différentes. Fofana, originaire de Kayes, bachelier, 44 ans, marié, 3 enfants. Moussa, originaire de Mopti, 27 ans, célibataire. Chacun a préféré la déchirure de l’exil à la misère au village.
Ils voulaient offrir une belle vie à leurs familles. Les frères qui travaillaient en Libye leur avaient expliqué que c’était bien là-bas. Fofana quitte le Mali en 2000. En trois jours, il rejoint la Libye clandestinement, via l’Algérie. De Benghazi, à Syrte, en passant par Tripoli. Il y travaille paisiblement pendant 8 ans, sa carte de séjour en poche. Il reçoit un bon salaire dans une entreprise de textile. Il retourne régulièrement au Mali. Il est bien traité en Libye, comme tous les Maliens. Il s’y sent protégé par la loi libyenne qui punit sévèrement tout racisme avéré. Il transfère facilement de l’argent à ses parents via la Bdm, Banque de développement du Mali. Il a fait le bon choix. En Libye, tout va bien pour lui, comme pour tous les migrants maliens. Fin 2009, Fofana commence à sentir un changement. Les tensions politiques locales. Les amalgames faits par les Libyens entre les migrants économiques maliens et les mercenaires sub-sahariens de Kadhafi. Fofana se sent exposé à un danger croissant. Il choisit de reprendre le chemin de l’exil. Un avion pour rejoindre la Tunisie. Les 4×4 des passeurs pour traverser l’Algérie, puis le Maroc. Un rafiot pour franchir, avec 26 autres personnes, les quelques kilomètres de vagues mortelles de l’Océan atlantique.
Sain et sauf, il accoste sur l’Île de Fuerteventura, Las Palmas, Espagne. C’est au centre de rétention de l’Île où il passera 45 jours, qu’il apprend que 22 clandestins ont trouvé la mort dans le naufrage d’un des 4 bateaux partis la même nuit. Eux aussi rêvaient d’une vie meilleure. Il ne sait toujours pas pourquoi, après les contrôles sanitaires et administratifs multiples, et surtout pourquoi à l’issue du procès que tous les clandestins subissent, la Croix Rouge lui délivre, à lui, le précieux papier rédigé en espagnol, qui allait lui permettre de bénéficier d’un vol vers Madrid, la capitale espagnole. Ceux qui n’ont pas eu cette chance, se sont vus renvoyer au Maroc, via Almeria, en Espagne.
Fofana survit quinze jours en foyer à Madrid, attendant qu’un frère, déjà en Europe, lui envoie de l’argent pour payer le car qui le mènera, de nuit, jusqu’à Paris, le 26 février 2013. La route de l’exil est longue. Un an et demi au total, dont 8 mois au Maroc. Il faut du temps pour sélectionner les circuits clandestins. Il faut travailler dur pour rassembler les sommes exorbitantes exigées par les passeurs, ces trafiquants d’êtres humains. La route de l’exil coûte cher, très cher. Au total, 5000€, dont 1500€ pour le passage final en bateau.
Fuyant également la pauvreté, Moussa a eu un autre parcours. Il quitte son village malien en 2006. D’abord, pour Ghadamès, à la frontière de la Tunisie et de l’Algérie, à quelques 650 km de la capitale libyenne. Il s’installe ensuite dans un des quartiers de Tripoli. Il y trouve du travail dans le bâtiment, où son patron lui fournit un laissez-passer. Il gagne moins que Fofana, mais il est content de son salaire. Il peut vraiment faire de bons transferts à sa famille. En 2010, Moussa est terrorisé par les bombardements. Il se sent aussi menacé par la population libyenne qui considère que tous les Sub-sahariens sont des mercenaires de Kadhafi. Il est repéré par la Croix rouge italienne. Il est évacué, un vendredi à 2h du matin, avec 800 autres Sub-sahariens, sur 2 bateaux, jusqu’à Lampedusa, la tragiquement célèbre île italienne, entre la Sicile et la Tunisie. Il y débarque le dimanche, à 4h du matin. Nouveaux vêtements obligatoires. Examens par Médecins du Monde. Contrôles administratifs. Cinq jours à Lampedusa.
Les 800 Sub-sahariens sont ventilés vers des destinations différentes. Pour Moussa, c’est Turin, une des grandes villes industrielles du Nord de l’Italie. Il y apprend l’Italien grâce à une des associations qui les suivent, lui et 80 autres personnes, dans le camp de réfugiés de la Croix rouge, à Turin. Moussa y fait la cuisine, comme bénévole. Cela ne l’empêche pas de chercher du travail en ville. Il aimerait vivre en Italie. Un an et demi plus tard, bredouille. Déçu, il quitte l’Italie. Il franchit la frontière franco-italienne, se rend à Nice, sur la côte méditerranéenne, au sud de la France. Il se débrouille pour prendre un train, un TGV, pour Paris, gare de Lyon, en février 2013. Il sait, que rue Bara, à Montreuil, il retrouvera des frères maliens.
Fofana et Moussa font partie de la 2ème vague des «Maliens de Lybie». La première est arrivée à Montreuil, courant 2012. L’Etat français avait répondu à l’appel lancé par Mme Dominique Voynet, la Maire de Montreuil, et M. Razzy Hammadi, président du Groupe parlementaire Amitié France-Mali et député de Seine St Denis, département dont fait partie la ville de Montreuil. Les premiers «Maliens de Lybie» avaient été logés, en hébergement d’urgence, dans des foyers ADOMA en Île de France. Mais, fin mars, quand la «période hivernale» s’achève officiellement sur le calendrier, ils ont été remis à la rue.
Fofana, Moussa et les 83 autres de la 2ème vague de «Maliens de Libye» ont d’abord squatté un immeuble abandonné du Conseil général de Seine St Denis, rue Rapatel, à Montreuil. En mai, ils en ont été expulsés violemment par 3 cars de CRS. Cinq blessés, dont trois grièvement. Six interpellés et jugés. Le Consulat du Mali refuse également qu’ils restent dans ses anciens locaux désaffectés, rue Pelleport, dans le 20ème Arrondissement de Paris. Ils n’ont pas compris pourquoi certaines associations maliennes avaient signalé à la mairie de Montreuil qu’elles ne souhaitaient pas s’occuper de ces nouveaux arrivants.
Grâce à des habitants et à certaines associations montreuilloises, 46 d’entre eux sont maintenant réfugiés dans un autre bâtiment de Montreuil. Il y a des toilettes, mais pas d’eau pour se doucher. Des branchements électriques sauvages leur permettent d’y voir un peu clair le soir. Trente autres ont installé leurs valises dans un bâtiment à Bagnolet, commune limitrophe de Montreuil. Trente cinq Maliens qui étaient à la rue et une famille Rom de cinq personnes les ont rejoints. Les conditions sanitaires n’y sont pas meilleures. Le matin, ils fuient les lieux. Ils s’éparpillent à la recherche de travail clandestin, «au noir». Ils se retrouvent quotidiennement au Foyer Bara.
Pour chacun, Bara est le lieu de l’espoir. Espoir de rencontrer un frère. Bara, c’est le lieu pour partager un repas malien très bon marché. Bara, c’est le «Petit Bamako». Quand ils ont besoin d’un vêtement, ils savent où trouver les «vestiaires». Ils en ressortent avec de quoi se protéger un peu du froid et de la pluie. Mais, chacun d’entre eux sait que le foyer Bara est voué à démolition et reconstruction…
Fofana a été choisi comme porte-parole du Collectif. Il parle parfaitement français, contrairement aux 90% des «Maliens de Libye» qui ne le maîtrisent pas du tout. Ils sont soutenus dans leurs démarches par le secrétariat du Collectif des Baras et par certaines associations de voisinage. La Maire et le Député disent qu’ils font ce qu’ils peuvent, mais que c’est compliqué.
Deux ou trois «Maliens de Libye» sont déjà rentrés au pays. Ils souhaitaient y créer une activité économique. L’OFFI, Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, qui aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d’origine, a étudié leurs projets et leur a apporté un soutien matériel, technique et financier.
Fofana et Moussa sont en France depuis neuf mois à l’heure où j’écris. Ils sont sans domicile fixe. Ils n’ont pas de titre de séjour. Ils ne peuvent ni travailler légalement, ni bénéficier de la CMU, Couverture Médicale Universelle. Les «Maliens de Libye» ont besoin d’un toit et demandent à être régularisés pour sortir de la clandestinité, pour travailler et être soignés. Ils espèrent encore que leur quête d’une vie meilleure est possible.
Source: Le Reporter