La Présidente de la Fondation Hera, Me Nadia Myriam Biouélé Tall a accordé le 31 mai dernier un entretien à notre confrère «Mali-Online». Au micro de Hamidou Sampy, l’avocate très engagée dans la défense des droits de l’homme en général et ceux des femmes en particulier se prononce sur les violences basées sur le genre (VGB).
Selon elle, la problématique des violences basées sur le genre devient de plus en plus un fléau sinon une pandémie. «En ma qualité d’avocate, j’ai prêté serment pour servir la justice, servir le justiciable, défendre la veuve et l’orphelin. Au-delà de mes spécialisations en droit, depuis 2015, je me suis résolument engagée, mes associés et moi, à apporter notre contribution à la défense des couches vulnérables notamment des femmes». a-t-elle souligné pour motiver son implication dans ce combat.
La Présidente de Fondation Hera qui ne refuse pas l’appellation «féministe» se sent à l’aise dans cette peau de femme qui défend les femmes et fait le plaidoyer pour la reconnaissance et la protection de leurs droits vers leur épanouissement. «Nous avons donc décidé d’apporter notre modeste contribution à assurer l’assistance judiciaire gratuite aux femmes démunies qui sont dans le besoin de justice, besoin d’avoir accès à cette justice, besoin à être défendues… »
Elle a alerté sur l’importance et les incontinents des réseaux sociaux. « J’ai l’habitude de dire : les réseaux sont certes une bénédiction pour ceux qui les emploient à bon escient. Mais c’est aussi une malédiction lorsqu’on voit tous les dégâts qu’ils font sur la vie des personnes ».
5 femmes tuées en deux mois
Me Nadia Myriam Biouélé Tall regrette une recrudescence de crimes et de délits à l’encontre des couches vulnérables, des femmes de plus en plus victimes de féminicide. D’avril 2022 au 3 juin, a-t-elle expliqué, ont été recensés cinq cas de féminicide à Bamako et environs et à Sélingué. Le dernier cas pris en charge par Me Nadia Myriam Biouélé Tall a eu lieu en commune I du District de Bamako. «Pour la petite histoire, la bonne dame s’est rendue à la police pour porter plainte. La police comme par hasard a eu l’idée de lui donner rendez-vous le mardi. Et, tenez-vous bien ! Ce même mardi a eu lieu son enterrement. Ce cas de féminicide a été commis au vu et au su de tout le monde, notamment les personnes les plus proches de cette dame. Ses voisins qui sont témoins oculaires sont affligés aujourd’hui… Tout comme ses parents qui lui ont dit de rester à son foyer et de supporter son époux. Car la violence peut conduire à la mort».
Pour elle, la société paie le prix soit de façon consciente, soit parce qu’elle a été incapable de faire quelque chose à temps pour sauver une vie. Cette société, a-t-elle déploré, se réfugie dans le fatalisme. Elle a dénoncé des freins à la lutte contre les VBG, notamment la réponse judiciaire aux violentes faites aux femmes au Mali. «Il faut une justice qui s’assume. Il faut une justice spécialisée pour ce cas de VGB. Il faut que l’aide juridictionnelle qui est légiférée au Mali depuis au moins 2003 avant de faire l’objet de deux reformes, soit effective… », a plaidé l’avocate. Elle pense que les autorités ont besoin d’être accompagnées dans cette démarche.
Interrogée par rapport à l’éventualité que les femmes abusent de la législation sur les VBG si elle est adoptée dans une société en pleine déperdition avec un nombre élevé de divorces, l’avocate botte en touche. «Je ne pense pas qu’une femme ancrée dans nos valeurs puisse par fantaisie demander le divorce. Ça peut exister parce que l’une des noblesses de nos valeurs pour la femme, c’est d’être mariée quel que soit son statut social. Je pense que le divorce est cette matière qui est tellement encadrée par les lois de la République qu’il faut des causes de divorce. Je vais peut-être vous sembler plus féministe à ce niveau…Nous n’avons pas de statistique fiable en cette matière…mais beaucoup de femmes vont demander le divorce parce qu’elles n’ont pas de choix». Cela pour leur sécurité parce qu’elles se retrouvent dans une insécurité totale ou parce qu’elles n’ont pas la possibilité de s’épanouir dans le mariage.
Selon elle, «la femme malienne est de plus en plus éveillée. Elle a envie de se développer, s’épanouir, d’entreprendre et d’apporter sa modestie contribution à son propre épanouissement et à l’épanouissement de son pays ».
Elle est réservée sur toute l’importance des concepts «i mougnou i ka sabali» ou «la soutra». « Dans la société c’est le linge sale se lave en famille. Sauf que le linge, pour qu’il soit lavé en famille, ne doit pas être tâché de sang sinon il ne sera jamais blanc».
Elle milite pour une sensibilisation de la société afin que nos valeurs positives soient mises en exergue et qu’on comprenne que certaines valeurs aujourd’hui sont fatales pour les femmes. « Et lorsqu’une femme décède sous les coups de son époux, c’est l’Etat qui perd un bras solide».
La Présidente de Fondation Hera s’est réjouie de la synergie d’actions entre les acteurs de la lutte contre les VBG comme en témoigne la marche silencieuse du vendredi 3 juin 2022. Elle appelle à travailler pour changer les mentalités, faire comprendre aux autorités que des mesures doivent être prises pour plus de protection et surtout sauver des vies. «Tout le monde a peur de savoir qui sera la prochaine victime sur la liste. C’est peut-être votre fille ou la fille d’un tel ou la mienne. Que Dieu nous en préserve ! Personne n’est à l’abri d’une VBG. Je le dis et je le répète : tout le monde doit être concerné par cela ».
Me Nadia Myriam Biouélé Tall a profité du micro de notre confrère pour appeler tous les hommes et toutes les femmes du Mali à se joindre à ce combat.
Boubacar Idriss Diarra
Source : Le Challenger