Si les murs de l’Elysée pouvaient parler, ils nous diraient tant. Pour l’heure, ce sont ses archives qui parlent en tout cas pour l’Afrique. Dans son numéro 39 d’automne 2017, la revue XXI revient sur les pages sombres de l’histoire franco-africaine avec un dossier intitulé «Nos crimes en Afrique». Trois dossiers sont exhumés en dépoussiérant les cartons secret-défense des archives françaises.
Rwanda, l’ordre immoral de réarmer les génocidaires
Sous la lumière tamisée du sous-sol des archives, deux hauts fonctionnaires sont chargés d’éplucher, entre 1990 et 1994, des documents se rapportant à l’Afrique. Mais face à l’horreur retranscrite sur les pages, ils referment les cartons. Qu’ont-ils vu ? Sans doute cette note manuscrite confiée par un haut-fonctionnaire au journaliste Patrick de Saint-Exupéry, qui intime l’ordre aux soldats français de réarmer les Hutus. Ceux-là mêmes qui venaient de massacrer, selon un bilan à jamais provisoire, quelque 800 000 Tutsis.
Trois mois après le début du génocide, la France de François Mitterrand, engagée au début aux côtés du président rwandais Juvénal Habyarimana contre les rebelles tutsis, envoie 2 500 soldats au Rwanda lors de l’opération «Turquoise», lancée en juin 1994.
Officiellement, il faut «mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force», selon le mandat de l’ONU. Officieusement, selon Patrick de Saint-Exupéry, les militaires français reçoivent l’ordre de remettre des armes aux Hutus, qui se ruent pour passer la frontière, mis en difficulté par les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), constitué d’exilés tutsis dont Paul Kagamé.
En plus de poser une clause de conscience aux militaires, cet ordre immoral se fait en violation flagrante de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU en mai de la même année. De quoi relancer les spéculations sur le rôle sombre de la France dans le pays des mille collines. En tout cas pour l’heure, en dépit des promesses, des enquêtes, des appels à un devoir de mémoire, les archives restent secrètes sur le Rwanda. Une boîte de Pandore ? Seule leur déclassification permettrait d’avoir des réponses précises.
Sénégal, les tombes sans nom des tirailleurs massacrés à Thiaroye
Après avoir promis de donner au Sénégal les archives sur le massacre de Thiaroye, François Hollande se rend dans cette banlieue dakaroise en novembre 2014 pour, dit-il, «réparer une injustice et saluer la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leur fusil».
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France entreprend le «blanchiment» des troupes en remplaçant les tirailleurs issus du Sénégal, du Dahomey (actuel Bénin), du Soudan français (actuel Mali), de la Côte d’Ivoire, de l’Oubangui-Chari (actuelle Centrafrique), du Niger, du Tchad, du Gabon et du Togo, par des soldats français de souche. Des milliers de soldats sont alors démobilisés des villes françaises vers le camp de Thiaroye. Avant d’embarquer, certains réclament le paiement intégral de leur pécule, leurs indemnités, leurs arriérés de solde et leurs économies enregistrées dans des livrets d’épargne, et ne partiront pas.
Sur le camp de la banlieue dakaroise, la contestation des tirailleurs gagne en ampleur, notamment lors de la visite d’un général. La suite ? Des gendarmes français, appuyés de tirailleurs coloniaux, ouvrent le feu sur les soldats noirs. Bilan, 70 morts au total dont 35 suite à leurs blessures, selon les archives. Une version de l’Etat français que contestent, tant sur les chiffres, les circonstances, les origines, les motifs et le déroulé, plusieurs spécialistes qui indiquent que des archives ont été en partie soustraites pour ne pas donner une idée sur l’ampleur des faits. Malgré la nationalité française récemment octroyée par François Hollande à des tirailleurs, l’ouverture complète des archives tarde à venir. Elle permettrait pourtant de mettre des noms sur les tombes de ces soldats inconnus qui meublent le cimetière qui leur est dédié.
Biafra, la sale guerre de la France…
En mai 1967, le Biafra a l’audace de déclarer son indépendance du Nigéria. La guerre fait rage entre la nouvelle république sécessionniste et la république fédérale ouest-africaine. Des milliers de civils, particulièrement des enfants, tombent sous les balles ou meurent de faim.
Le géant africain est alors en ligne de mire de la France de De Gaulle et de Jacques Foccart qui souhaitent affaiblir le géant anglophone d’Afrique de l’Ouest. Quelque temps plus tôt, la pétro-république fédérale avait contesté le tir nucléaire français de 1960 et avait même expulsé des officiels de la métropole. Par vengeance, depuis la cellule Afrique de l’Elysée, la Françafrique active ses réseaux et met en place un réseau clandestin de livraison d’armes au Biafra.
Sous couvert d’une opération humanitaire face à l’horreur des enfants qui meurent, et d’une bataille largement médiatique, des mercenaires des services français livrent des armes depuis la Côte d’Ivoire ou encore le Gabon.
… et des cadavres qui ressortent des cartons d’archives non déclassifiés
Comme à chaque fois, dans son sombre passé avec l’Afrique, les archives musellent la vérité des faits sous le sceau du «secret-défense». Pourtant, se serait pour la France une occasion inespérée de construire le futur de sa relation avec ses anciennes colonies, en ouvrant ses archives pour solder les injustices et erreurs du passé. Sans être exhaustif, le mystère sur l’assassinat de Thomas Sankara, les diamants de Bokassa, les nombreux coups d’Etat ou le parachutage de «préfets» français à la tête d’Etats africains, la disparation de Mehdi Ben Barka, le bombardement de la base de Bouaké, la mort de Kadhafi, sont autant de zones d’ombre qui devraient être éclairées par une déclassification des archives. Reste à espérer qu’Emmanuel Macron s
La Tribune Afrique
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