Malgré son islamisation il y a plusieurs siècles, l’Afrique soudanaise est restée elle-même: elle n’a perdu ni ses langues ni ses coutumes, encore moins son mode de vie. L’apport qui lui est venu de l’extérieur s’est juxtaposé au patrimoine culturel hérité des ancêtres, et qui est l’âme même de l’Afrique. Il n’est pas toujours mauvais de rappeler que le mot « Moussalaha » est un dérivé lointain du concept de « Maslakha » propre à la Shari’a, au droit musulman.
Au-delà des cinq finalités de la Shari’a que sont la préservation de la foi, de la vie, de la raison, des biens et de la filiation, il est admis de façon consensuelle (Ijma) que la « Maslakha » est le moyen adéquat pour atteindre les objectifs de la loi, c’est-à-dire la recherche du bien commun, de l’intérêt général. Tout ce qui est inutile, nocif, nuisible et n’entre pas dans l’intérêt du bien commun n’est pas « Maslakha », quelles que soient la beauté et la logique de formulation de la loi. La « Maslakha » est tout procédé juridique qui rend possible la protection des finalités de la loi. C’est cela la définition juridique. C’est à la fois un but et un procédé. Toutes les grandes écoles juridiques, les plus connues, celles qui n’ont pas complètement disparu et même celles dont les avis juridiques survivent toujours ont admis cette conception. Qu’il soit d’extraction hanafite, malikite, chafi’ite ou hanbalite, toutes les lois islamiques passent par la « Maslakha ».
Mais, par quelle magie, par quelle opération, par quelle « diablerie » la notion de « Maslakha » s’est-elle muée en « Moussalaha » bambara. Elle signifie aujourd’hui « une diplomatie sociale corrompue ». Au-delà de la simple évolution sémantique qui n’est pas difficile à expliquer, le mot a été passé à la moulinette du modèle islamo-mandingue propre au Mali. Elle est devenue un vocable, une « philosophie », un mode de vie, une boutade, un sujet de plaisanterie loin et encore loin du concept juridique décrit ci-dessus. Elle est même aujourd’hui décriée par les Maliens eux-mêmes qui la considèrent comme une variante sociale de l’hypocrisie. La crise du modèle islamo-mandingue aidant, ce goût immodéré de la métaphore impertinente, des mots dérivés dans notre parler, cette peur de dire les choses comme elles sont, cette folie langagière qui est devenue de façon illusoire un cocon de sécurité, nous en sommes venus à nous éloigner du Bien, de la Vérité, du bien dire, du dire les choses vraiment. Et la « Maslakha » est devenue « Moussalaha » au nez et à la barbe des religieux. Au Mali, le religieux est très prégnant. Mais attention ! L’omniprésence du religieux ne signifie toujours pas que la religion en tant que telle joue son rôle transcendant. Malgré ce brouillamini religieux, les Maliens éprouvent des difficultés à convoquer la religion dans sa dimension spirituelle et morale. Ils entretiennent un rapport étrange avec la religion, un rapport qui peut être qualifié d’attraction-répulsion. Tout ceci concourt à expliquer la propension des Maliens à afficher de façon ostensible leur appartenance religieuse et dans le même temps, leur amour presque « culturel » du mondain.
Alex
Le Démocrate