Les artisans qui faisaient de bonnes affaires grâce à la teinture et aux autres activités connexes broient du noir aujourd’hui. à cause de l’importation des tissus teints, leur clientèle fond comme neige au soleil
Le basin, tissu 100% coton, est d’origine occidentale. Importé généralement d’Allemagne et d’Autriche, ce tissu a été mis en valeur grâce au talent et à la créativité des teinturiers (hommes et femmes) maliens qui lui ont donné la valeur et la notoriété dont il jouit aujourd’hui à l’échelle internationale. à telle enseigne que le Mali, grâce à ses commerçants, monopolisait son importation et paraissait aux yeux de beaucoup de gens comme un pays producteur de basin. En la matière, les marchands maliens en proposent trois types : le riche, le moyennement riche et le moins riche, appelé deuxième.
Le basin a, aux dépens de nos tenues traditionnelles, conquis les cœurs et les esprits des Maliens. Il est donc devenu la tenue par excellence des grandes occasions : fêtes, rencontres de haut niveau, manifestations sociales, tec. Cerise sur le gâteau, la luxueuse étoffe devient un vecteur important de création de richesse et d’emplois pour des milliers de Maliens et d’autres Africains qui venaient s’approvisionner au pays de Soudjata Keïta. Car, c’est au Mali que l’on retrouve, sans doute, les meilleures qualités de basins teints. Une multitude d’ateliers de teinture artisanale et autres activités lucratives ont prospéré autour du basin.
Mais depuis un certain temps, des basins à la teinture industrielle inondent nos marchés. Toutes les activités artisanales qui gravitaient autour du basin blanc, créant beaucoup d’emplois, sont affectées par la nouvelle tendance.
QUALITÉ SUPÉRIEURE- Fin septembre dernier. Nous sommes au cœur du Grand marché de Bamako. Des clientes font la queue devant une boutique de basin de renommée. Parmi elles, les sœurs Cissé. Elles semblent en conclave pour décider du choix du basin à acheter. Les quatre jeunes filles finissent par acheter du basin découpé en lot de 4 mètres. « Nous avons un baptême en vue. C’est pourquoi, nous sommes venues acheter du basin blanc pour faire un uniforme », explique Mariam Cissé. Elle justifie le choix du basin blanc par le fait qu’elles comptent coudre un modèle avec motif. Sinon, la tendance est à l’achat du basin à la teinture industrielle.
Interrogé à ce propos, le propriétaire de la boutique, Bassékou Gamby, connu dans la vente du basin au Grand marché de Bamako depuis 20 ans, confirme qu’il vend actuellement beaucoup plus de tissus à la teinture industrielle. Il affirme que ces basins teintés sont de qualité supérieure. « Certains clients nous confient qu’ils ne sont pas tachés, les couleurs sont variées. Et aussi, les gens ne sont plus obligés de supporter les faux rendez-vous auxquels sont spécialisées des teinturières », témoigne le commerçant.
Mamadou Makadji, vendeur de basins, corrobore les affirmations de Bassékou Gamby. Pour lui, les basins à la teinture industrielle se vendent plus que les basins blancs et les colorés par nos teinturières. «Les basins blancs sont achetés généralement lors des baptêmes quand les femmes veulent faire des uniformes », ajoute-t-il.
Face la tournure que prenait cette situation, des acteurs du secteur ont tiré la sonnette d’alarme. Revendeurs de basins, vendeurs de produits de teinture, teinturiers, empeseurs ont, en octobre 2017, tenu une assemblée générale pour demander aux autorités de mettre fin à la contrefaçon de certains modèles pensés et créés par les Maliens.
Malamine Diallo confirme que la teinture industrielle crée un énorme problème aux professionnels de la teinture artisanale. Le cœur serré, le teinturier décrit l’impact des basins à la teinture industrielle sur son travail et sur l’économie nationale. « Un seul patron d’atelier de teinture pouvait employer plus d’une vingtaine d’apprentis. Aujourd’hui, beaucoup de nos collègues sont au chômage faute de clients. Les pays qui nous commandaient des basins teintés de façon artisanale préfèrent en importer directement », soutient-il, les traits bouleversés par l’émotion.
CONTREFAÇON- Comme effet négatif de cette situation, précise-t-il, les clients arrivent au compte goutte. à cause, selon lui, du fait que la teinture aux couleurs uniques, qui constituait l’essentiel de la clientèle, tend à disparaître au profit des motifs à couleurs multiples. Qui, eux aussi, pâtissent de la contrefaçon. « Bien que beaucoup de nos motifs aient été contrefaits, les grandes usines ne peuvent pas égaler notre talent. Chaque jour, nos teinturiers font preuve de créativité et d’innovation dans l’élaboration des motifs », se glorifie Malamine Diallo.
Toutefois, pour préserver cette profession, dont notre pays peut s’enorgueillir, le teinturier trouve nécessaire d’interdire l’importation des basins à la teinture industrielle. « C’est comme si tu empêches une seule personne de travailler pour donner du travail à 100 personnes », soutient M. Diallo. Sa collègue Sitan Coulibaly, teinturière à Niamakoro, en Commune VI du district de Bamako, paraît, elle aussi, décontenancée par l’invasion de la teinture industrielle. Celle qui exerce ce métier depuis une vingtaine d’années, se plaint de la situation actuelle. «Les affaires marchent moins bien. La plupart de nos collègues qui prenaient en charge plusieurs personnes sont aujourd’hui sans boulot », argumente Sitan Coulibaly. Pour preuve, elle ajoute que son équipe, qui pouvait colorer deux balles de basin (120 m) par jour, peine à teindre 100 complets actuellement. « Souvent on passe la journée à ne rien faire. C’est le cas d’aujourd’hui. Si j’avais travaillé, je serais toute sale. Le comble, je n’ai même pas mes frais de transport pour rentrer à la maison », se lamente-t-elle. C’est dur. Ce n’est pas normal que certains prospèrent et que d’autres aillent au chômage, interpelle Sitan Coulibaly.
PERTES DE REVENUS- Comme les teinturiers, les vendeurs de produits de teinture semblent aussi broyer du noir. Vendeur de produits de teinture depuis plus de dix ans, Youba Sylla ne cache pas sa frustration. « Ce travail ne rapporte plus à cause de la teinture industrielle. Je connais des gens qui nous achetaient plus de 50.000 Fcfa de produits. Ils ne parviennent plus à mettre la teinture à deux pièces de basin », confirme-t-il. Au nombre d’une vingtaine de vendeurs de produits sur la rive droite, ils ne sont plus que quatre aujourd’hui.
Les « attacheurs » et « tapeurs » de basin ne sont pas aussi épargnés par le marasme. Sékou Cissé, un amoureux de ce métier, rappelle qu’il travaille dans un atelier qui comptait plus de 10 patrons. Chacun d’eux pouvait employer une dizaine d’apprentis. Ce nombre a chuté. Il pouvait « attacher » 100 basins par jour, contre une quarantaine maintenant. « Les temps ont changé et sont durs. Nous n’avons plus de marché. On pouvait gagner plus de 5.000 Fcfa par jour chacun. Aujourd’hui, on a à peine 500 Fcfa », regrette le « tapeur » Abou Coulibaly.
Comme eux, les revendeurs de basins teintés souffrent de la nouvelle tendance du marché. Au Grand marché, à quelques encablures de la Maison des artisans, des revendeuses de basins artisanalement teintés disent ne plus tirer profit de ce commerce. Tel est le cas de Djénébou Doumbia qui révèle que le secteur est aujourd’hui intenable à cause des pirates qui proposent du basin teinté à moindre prix. «Aujourd’hui cela nous rend la vie dure en termes de revenus et de pertes d’emplois », dit-t-elle.
Malgré la domination du marché par la teinture industrielle, les revendeurs s’accordent pour défendre la qualité de la teinture artisanale malienne. Pour eux, les basins à la teinture industrielle perdent rapidement en éclats au lavage.
Sirantou Coulibaly dite Mao, une teinturière artisanale a un avis tranché sur la question : « C’est la pauvreté qui pousse beaucoup de gens à les acheter. Tu peux les porter dans les cérémonies et être vu à côté des personnes aisées sans que l’on sache que c’est du bas de gamme ».
Aminata Dindi SISSOKO