Dans une interview, Mamadou Timbo, procureur général de la Cour suprême, évoque des innovations majeures dont celles liées à la haute trahison, le détournement des deniers publics. Il estime qu’il faut un changement de comportement et mentalité des Maliens.
Le Pays : vous prenez part depuis lundi aux travaux de l’atelier national de validation des avant-projets des textes pénaux au Mali. En quoi cette rencontre est importante pour vous ?
Mamadou Timbo : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur le thème de cette importante rencontre à savoir un atelier de validation et de proposition de nouvelles lois portant code pénal et code de procédure pénale. C’est important pour nous, les applicateurs. Nous sommes des agents de terrain. C’est nous qui appliquons le code de procédure pénale parce que les procureurs sont là pour les ajustements et mettre en œuvre la procédure qui permet de juger des gens qui sont en mal avec la loi pénale qu’on appelle le code pénal.
Nous mettons en mouvement la procédure pénale. S’il doit y avoir des changements dans le dispositif législatif, alors il est important que nous, qui sommes des agents de terrain, participions à ce genre de rencontre pour donner nos points de vue par rapport à ce qui existe comme dispositions législatives, mais encore par rapport à ce qui est proposé comme nouveautés ou changements.
Quelles sont les innovations majeures dans ces textes ?
Bon, on ne peut pas, en deux mots, parler d’innovations majeures. Tout y est nouveau parce que quand on passe, par exemple, de 634 à 1300 articles, vous convenez avec moi que cela est une révolution. En 2001, ces textes ont été adoptés portant code pénal et code de procédure pénale mais au bout de 20 ans d’application, on a eu à observer beaucoup de lacunes dans ces textes-là. Donc, les travaux des experts ont consisté à faire un travail de fourmi sur cinq ans et de venir proposer aux pouvoirs publics l’adoption des nouvelles lois.
Il y a beaucoup d’innovations dedans, surtout par rapport au respect des droits de l’Homme et par rapport aux droits de la défense. Vous savez que la matière pénale comporte un danger parce qu’elle peut envoyer en prison. On a été donc obligé de revenir aux aspects qui prennent en compte le plus la protection des droits de la défense. Ce qu’on appelle les droits de la défense c’est la personne qui est poursuivie en justice et qui a besoin d’un encadrement législatif suffisant pour qu’on prenne compte de ses intérêts, parce que les personnes qui sont poursuivies bénéficient de la présomption d’innocence jusqu’à ce que la juridiction de jugement les condamne ou jusqu’à ce que le juge chargé de l’instruction préparatoire prononce un non-lieu. Ils sont présumés innocents. Globalement, on peut dire que les changements proposés, les innovations, vont aller dans le sens d’un plus grand respect des droits de la défense.
Il y a eu au niveau du code pénal aussi des changements sur la technique du dispositif législatif, en ce sens que maintenant on ne va plus dire pour les peines de prison, on ne va plus dire onze jours à cinq ans, mais on dira toujours que le vol est puni de cinq ans, tout simplement. On ne fixe pas planché. C’est pour donner la possibilité aux juges une marge de manœuvre pour prononcer une peine plus juste.
Il y a eu la définition de l’expression la haute trahison. Il y a aussi des innovations qui concernent le financement des partis politiques, la corruption, la délinquance financière. Qu’est-ce vous pensez de l’introduction de ces points?
Effectivement, dans le nouveau code pénal à venir, on a jugé nécessaire de donner une définition de la haute trahison parce que cela n’a jamais fait l’objet d’une application. La Constitution actuelle en vigueur parle de haute trahison concernant le président et ses Premiers ministres, mais ça n’a jamais été défini quelque part.
Cette fois-ci, on a donné un contenu aux crimes de haute trahison. C’est surtout par rapport au serment que le président a prêté avant d’entrer en fonction que la loi estime que s’il a violé son serment, il peut être traduit devant la Haute Cour de justice pour haute trahison.
C’est surtout par rapport au serment devant Dieu et devant la nation malienne qu’il sera jugé dans son comportement, s’il a fait preuve de respect du serment ou pas. S’il a violé le serment, il y a de fortes raisons qu’on puisse dire qu’il a trahi la nation malienne et à travers les crimes de haute trahison, sa responsabilité pénale peut être recherchée.
Qu’en est-il des détournements de fonds publics ?
Les détournements de fonds publics est en cours et la répression est en marche, même au niveau de la Cour suprême où les ministres bénéficient d’un privilège de juridiction. Tant que le phénomène existe et les dispositifs législatifs et de procédure vont être mis en œuvre. C’est parce que c’est le comportement des citoyens qui dictent les comportements des acteurs de la justice, que ce soit les procureurs, les juges chargés de juger ou de faire l’instruction préparatoire. Donc, tant que le phénomène est là et que le code pénal a défini les traitements des biens publics là et les personnes qui sont en porte à faux avec la loi de ce point de vue-là, leur responsabilité va être recherchée.
Avez-vous des propositions concrètes par rapport aux différents projets de loi ?
J’ai l’habitude de dire que le Mali peut toujours faire des lois de qualité mais tant que la mentalité des Maliens ne change pas, on va mettre en échec l’application des lois. La loi pénale est faite pour les hommes, n’est-ce pas ? Ces hommes qui vont être en infraction vis-à-vis des textes pénaux seront traduits en justice et les juges, les procureurs sont là pour appliquer ces textes-là aux personnes concernées. Donc, il y a lieu de se préoccuper de l’avenir de ces nouveaux textes.
On a beau faire le texte des textes de qualité, tant que le comportement et la mentalité des Maliens ne changent pas et ces textes-là ne seront pas efficaces. Il faut que les Maliens se disent qu’ils ont intérêt à se comporter en bons citoyens et que le respect des lois va beaucoup faciliter la tâche aux acteurs de la justice.
La lutte contre l’impunité est aujourd’hui un des objectifs des pouvoirs publics parce que l’impunité qui amène la récidive, la répétition de la violation du code pénal et des lois économiques et financières. Il faut que le citoyen malien se dise que dans l’intérêt d’un plus grand respect de l’ordre public, il doit être correct vis-à-vis des lois.
Donc, « mieux vaut prévenir que guérir ». Notre éducation doit aller dans ce sens-là. Être le moins possible en infraction vis-à-vis des lois, surtout les lois qui protègent l’économie nationale et qui préservent les fonds de la nation. Mais tant que des fonctionnaires peuvent se mettre en coalition pour créer un réseau pour le détourner, s’arranger à faire disparaître les preuves, on ne sera jamais efficace dans la répression de ces infractions de détournement des deniers publics.
Or, si le détournement des deniers publics se répètent, restent un phénomène dominant dans la société, vous comprenez que l’économie nationale va s’effondrer. Et personne ne va respecter la loi pénale si les gens constatent que ceux qui sont en conflit avec les lois pénales ne sont pas punis. Cela encourage la répétition de ces infractions et personne ne va croire à la justice.
Source : Bulletin quotidien