Exclure la franche la plus importante du pays à la gestion des affaires publiques, colmater une constitution à la place du peuple, déplacer les problèmes… Mamadou Sidibé, président de l’Initiative Zéro Violence, avant, pendant et après les élections législatives de 2020, ne mâche pas ses mots.
Le communicant qui dit fièrement n’avoir jamais émargé pendant une heure de temps au compte de l’Etat rejette, sans détours, l’avant-projet de Constitution rendu public et la mise en place « controversée » de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE).
Primo, lui qui s’est opposé à la révision de la Constitution en 2017 sous IBK, estime que les conditions étaient 100.000 fois meilleures que celles d’aujourd’hui. Secundo, la mise en place de l’AIGE sans les grandes formations politiques ayant d’encrage sur le territoire national est plus ou moins une camisole de force, orchestrée par le pouvoir en place. C’est du pipeau, cingle-t-il, la quarantaine révolue, les bras gesticulants, tapant parfois sur son bureau chargé des documents de tous genres où est soigneusement placé un tableau à l’effigie de sa bonne maman. Le Nouveau Courrier l’a rencontré au quartier Bamako-Coura au cœur de la capitale. Interview exclusive.
Le Nouveau Courrier : L’avant-projet de Constitution a été rendu public. Quelle est votre appréciation ?
Mamadou Sidibé : Si je dois me prononcer sur l’avant-projet de Constitution, toute personne me connaissant, comprendra aisément que je m’oppose. Je m’oppose bien évidemment à toute tentative de révision de la Constitution dans les conditions actuelles du Mali. Je le dis et je le réaffirme. En 2017, quand nous étions opposés au projet de révision constitutionnelle sous le régime IBK, les conditions étaient 100.000 fois meilleures que celles d’aujourd’hui.
Donc, en tant que responsable et leader de la société civile, je ne peux pas m’opposer à des conditions plus favorables pour venir accorder un blanc-seing à une période où rien, absolument, ne devait permettre d’aller vers quoi ce soit. Je ne l’ai pas lu et je ne compte même pas le lire, sans mentir. Mais, toujours est-il que je ferai partie de ceux-là qui sortiront dans les jours prochains pour s’opposer, corps et âme, à cette tentative de changement de Constitution.
Voulez-vous dire que les autorités de la transition n’ont pas pour vocation de procéder à la révision de la Constitution ?
Il faudrait que les gens se départissent de la passion, aussi bien la Constitution. La constitution, c’est la loi fondamentale qui régit une Nation. La loi n’est que l’émanation de la volonté populaire. A partir du moment où nous sentons une exclusion de la frange la plus importante de ce pays de la gestion des affaires publiques, je me demande comment quelques-uns peuvent se prévaloir le droit de changer notre Constitution.
Vous avez dit tantôt, si les gens décidaient de s’opposer à cette révision de la Constitution, que vous serez partant ?
Les gens le feront ou à défaut moi-même je le ferai. Parce que ce n’est pas admissible. Il faut que les gens le comprennent, ce n’est pas parce qu’on est militaire ou qu’on a les armes, qu’on a le droit de vie ou de mort sur les gens. D’aucuns se sont battus ici sans rien pour que nous soyons là où nous sommes aujourd’hui. Il est donc inadmissible dans une période transitoire, qui se gère comme s’il y avait un mandat légitime légal. Je trouve sincèrement que c’est aberrant. Par conséquent, je m’oppose et je suis contre ce projet de révision constitutionnelle.
Certains citoyens continuent d’acclamer la transition. Pour eux, tout va mieux dans le pays. Comment comprenez-vous cela ?
Les gens sont libres de leur appréciation. Quoi que l’on fasse, les gens ne seront jamais logés sous la même enseigne. Ça, c’est une certitude. Je ne commente pas l’avis de ceux-là qui estiment que tout va bien dans le pays. Je ne suis pas à ce niveau. Je n’ai vu aucun pays au monde où les gens peuvent se targuer de donner une nouvelle constitution sans l’assentiment de l’ensemble des forces vives du pays.
Quelles sont vos propositions pour qu’il ait plus d’inclusivité ?
Malheureusement, ce n’est plus à ceux-ci d’organiser quoique ce soit. Je pense qu’aujourd’hui tout ce qui leur reste est d’organiser les élections. Quand il y aura un pouvoir légitime et légal, ce pouvoir, par le biais de consultations, procèdera à un referendum pour donner la possibilité au peuple de se prononcer sur la nécessité de réviser la constitution et ce qu’il faut changer. Je pense que c’est comme ça. La loi, elle est formelle. Mais je suis écœuré de voir que les gens se taisent par rapport à cette question. De toutes les façons, il n’est pas acceptable que ces gens-là veuillent colmater une constitution à la place du peuple. Ce n’est pas admissible.
Vous demandez aux autorités d’aller à l’organisation des élections. Ce travail doit être fait par l’AIGE, déjà mis en place et son président élu. Etes-vous d’accord ?
Il faut que les gens comprennent une chose, le Mali n’appartient à personne, le Mali n’appartiendra jamais à qui que ce soit. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est parce que par le passé, les gens ont accepté d’aller vers un consensus. En 1991 (je n’y étais pas dans la salle), quand la constitution de 1992 se faisait réécrire par le peuple. Il y avait toutes les sensibilités. Ce jour-là, Amadou Toumani Touré avait la possibilité d’amener que les militaires, mais il ne l’a pas fait. C’est le peuple qui est allé écrire cette constitution. Ce n’est pas parce que les concours de circonstances ont fait qu’on s’est retrouvé çà et là, à un moment donné, et qu’on pense être plus homme que les autres. Je pense que non.
Personne ne peut parler d’élection sans les politiques. Moi je ne suis pas politique. Il faut une représentativité à tous les niveaux de l’Etat, c’est comme ça que les choses marchent. Sinon, on ne peut amener quelques-uns et faire de cela une camisole de force. Ce n’est pas la bonne manière.
Cette histoire de l’AIGE ou quoi encore, je pense que c’est du pipeau. Tout est fait en réalité pour que les gens ne s’y mettent pas d’accord. Je crois que diriger un Etat, c’est chercher le mieux-être pour la population. C’est chercher les voies et moyens pour que les gens dans dix, quinze ou vingt ans puissent se retrouver sans problème. Mais, si vous voulez juste déplacer les problèmes, si vous pensez que c’est en mettant les choses en votre propre faveur que ça marche, c’est faux. Personne ne peut se maintenir au pouvoir au-delà de la volonté du peuple. Ça prend le temps, mais on verra bien. Gérer un Etat va au-delà de ceux-là qui ont la charge de le gérer. Un Etat, c’est d’abord le bien-être de la population et non le bien être de ceux-là qui gèrent.
Voulez-vous dire que des actes posés jusque-là ne vont pas dans le sens de la construction d’un Etat fort ?
Comment vous voulez, avec seulement des micros partis politiques, que ça marche ? Les grosses pointures de la classe politique ne sont représentées. Demain, vous voulez quoi ? Quelqu’un qui a plus de députés que tout le monde, si vous voulez mettre une commission d’organisation des élections et que lui n’a pas ses représentants, à quoi il faut s’attendre ? Mais, est-ce que le bon sens ne devrait pas vous guider un peu ? Je pense Oui. Sortons des considérations personnelles, sortons des intrigues, allons vers des textes, allons vers des structures qui peuvent jouer leur rôle sans parti pris. Mais si nous pensons laver la main avec l’urine, vous pensez qu’on est sorti de l’auberge ? Non ! Moi, j’ai mal ! Gérer un pays, ce n’est pas ça.
Que conseillez-vous aux autorités de la transition ?
Je l’ai dit et le répète. Il y a encore une année de cela, je disais à Assimi Goita de ne jamais déroger à ses engagements pris vis-à-vis de la CEDEAO. Vous savez, on est dans un pays où l’opportunisme a toujours le vent en poupe. Dès que tu es aux affaires, les gens viennent te faire miroiter des choses qui n’ont rien avoir avec la réalité. Et malheureusement, tu seras le seul à faire les frais. Je parle par expérience, par vécu. Dans cette histoire, personne ne peut permettre à Assimi de se maintenir au pouvoir, ni lui, ni ses collaborateurs. Parce que la réalité est tout autre. Quel qu’en soit l’amour, quel qu’en soit le dévouement que le peuple a pour toi, si par malheur, tu ne parviens pas à résoudre le problème de ce peuple-là, les gens se retourneront contre toi. C’est une certitude mathématique. La seule porte de sortie pour Assimi, c’est qu’il se départisse des questions politiques. Il ne pourra jamais régler les questions politiques.
Que doit faire Assimi dans ce cas ?
Il doit organiser les élections et regagner les casernes.
Propos recueillis par Ousmane Anouh Morba
Source : Le Nouveau Courrier