Où en est aujourd’hui la menace djihadiste au Mali et comment expliquer l’influence du djihadisme dans ce pays ?
N. Normand : La menace djihadiste n’a pu se développer au Mali, principalement à partir de 2012, qu’à la suite de l’incapacité de l’État malien à administrer son vaste territoire enclavé, à s’intégrer dans l’économie internationale et à développer un modèle politique inclusif. L’absence de perspectives de la majorité de la jeunesse rurale en croissance démographique très rapide est le terreau du djihadisme.
Parallèlement, les ressources agricoles qu’exploite la majorité de la population ont diminué car le Sahara s’est étendu. En cinquante ans, les isohyètes de 200 millimètres de pluie ont avancé de 250 kilomètres vers le sud, tandis que la population triplait au Mali comme dans le reste du Sahel. Ces facteurs tendent les relations entre pasteurs nomades du Nord et agriculteurs sédentaires plus au sud, provoquant des affrontements armés au centre du Mali.
Sans police ni justice adaptées, faute de services publics de base et de formation, de nombreux jeunes désœuvrés ont rejoint des groupes armés, d’abord dans le Nord, puis au Centre et désormais sur la majorité du territoire du Mali. Cette menace s’est ensuite diffusée au Burkina Faso et au Niger à partir de 2015. Il s’agit d’une dynamique qui ne parvient pas à être freinée.
Le débordement de la guerre civile algérienne a provoqué en 2000, dans le Nord du Mali, l’arrivée de djihadistes algériens du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) — devenu AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) en 2007. Les autorités maliennes n’ont rien fait pour combattre ce noyau djihadiste algérien qui s’est enraciné, notamment par des mariages locaux, dans le Nord du Mali. AQMI a prospéré grâce aux rançons payées (environ 150 millions d’euros) pour les prises d’otages occidentaux. Ces ressources ont été utilisées pour recruter et armer de jeunes combattants. Puis le débordement de la crise libyenne en 2011 a ramené aussi dans le Nord du Mali des Touaregs armés émigrés qui ont relancé une rébellion séparatiste de la région de Kidal (la quatrième depuis l’indépendance, dirigée par le MNLA, Mouvement national pour la libération de l’Azawad). Des rivalités ont suscité l’apparition de deux mouvements djihadistes locaux : Ansar Dine, dirigé par Iyad Ag Ghali (un leader touareg converti à l’islamisme tabligh), et le MUJAO (Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest).
En janvier 2013, l’armée française a été appelée par les autorités de transition à Bamako (après un coup d’État en 2012), pour mettre fin à la sécession du Nord du pays, occupé par les groupes djihadistes (opération « Serval »). En 2014, le président François Hollande a décidé de prolonger la lutte anti-djihadiste en engageant l’armée française au Mali et au Sahel (opération « Barkhane »).
Par ailleurs, l’accord d’Alger signé en 2015 pour assurer la réconciliation avec les groupes armés non djihadistes mais séparatistes du Nord du Mali est resté bloqué, avec les risques sécuritaires et d’intégrité territoriale que cela implique. Les milices signataires, dominées par des minorités touarègues et arabes, ont constitué une sorte d’armée parallèle au nord et paraissent de connivence avec une partie des djihadistes.
Comment expliquer cette spirale de violence et la diffusion du djihadisme dans le pays ?
La lutte armée n’a pas empêché le développement de ces deux phénomènes en raison de la radicalisation d’une jeunesse désœuvrée, sans formation et à l’avenir bouché, qui rejoint de gré ou de force l’insurrection. Les chefs djihadistes offrent des emplois et des perspectives. Leur discours révolutionnaire explique la misère locale par la corruption, l’occidentalisation et l’impiété de l’État malien. Ils promettent une solution par le djihad visant à établir un autre modèle civilisationnel inspiré du salafisme radical.
Aux mouvements initiaux affiliés à Al-Qaïda s’est ajouté depuis 2016 l’EIGS (État islamique au Grand Sahara, issu principalement de l’ancien MUJAO), affilié à Daech. En réaction, les groupes affiliés à Al-Qaïda se sont fédérés en 2017 sous le nom de JNIM (ou GSIM, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), dirigé par Iyad Ag Ghali, mais étendu au centre du Mali grâce à la Katiba Macina dirigée par le prédicateur peul Amadou Koufa. Si le JNIM est plus pragmatique, recherchant un soutien des populations locales et proposant une administration alternative à l’État malien, l’EIGS est plus radical et brutal, s’imposant par la terreur et appliquant la charia avec ses châtiments corporels (dont les amputations et lapidations).
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