Le Premier ministre malien a affirmé ce lundi que, « après un temps d’allégresse », l’engagement militaire français avait permis aux jihadistes de s’emparer d’une partie du pays. Des déclarations virulentes, mais pas inhabituelles de la part de Choguel Maïga, sur fond de vives tensions entre Paris et Bamako.
Ce n’est pas la première fois qu’il s’en prend à la France, mais lundi 7 février, le Premier ministre malien a tenu des propos très virulents. À la tête du gouvernement installé par la junte arrivée au pouvoir à la faveur de deux putschs successifs, en août 2020 et mai 2021, Choguel Maïga a accusé Paris d’avoir œuvré à la partition de son pays à travers son engagement militaire.
Durant plus de quarante-cinq minutes, devant les diplomates réunis à sa demande à la primature, Choguel Maïga a critiqué la France, mais sans aller jusqu’à demander explicitement le retrait de la force antijihadiste Barkhane.
L’INTERVENTION [FRANÇAISE] S’EST MUÉE DANS UN DEUXIÈME TEMPS EN UNE OPÉRATION DE PARTITION DE FAIT DU MALI
« Après [un] temps d’allégresse », en 2013, quand les soldats français ont libéré le nord du Mali tombé sous la coupe de groupes jihadistes, « l’intervention s’est muée dans un deuxième temps en une opération de partition de fait du Mali, qui a [consacré] la sanctuarisation d’une partie [du] territoire [malien], où les terroristes ont eu le temps de se réfugier et de se réorganiser pour revenir en force à partir de 2014 », a-t-il estimé.
Sentiment anti-français
Dans un contexte de vives tensions entre Paris et Bamako, il a convoqué le souvenir de la seconde guerre mondiale : « Les Américains n’ont-ils pas libéré la France ? […] Quand les Français ont jugé que [la présence américaine en France] n’était plus nécessaire, ils ont dit aux Américains de partir. Est-ce que les Américains se sont mis à insulter les Français ? » a-t-il poursuivi.
Depuis que la Cedeao lui a imposé des sanctions soutenues par la France et différents partenaires du pays le 9 janvier, la junte s’arcboute sur la souveraineté du Mali, utilisant à son avantage un sentiment anti-français qui a pris de l’ampleur ces derniers mois.
Les autorités maliennes accusent Paris d’avoir instrumentalisé la Cedeao. Le but est « de présenter [le Mali] comme un paria, avec l’objectif inavoué et inavouable à court terme d’asphyxier l’économie afin d’aboutir pour le compte de qui l’on sait et par procuration à la déstabilisation et au renversement des institutions de la transition », a encore affirmé Choguel Maïga.
Les dirigeants français « n’ont jamais dit à leur opinion publique, quand ils intervenaient en 2013, qu’ils allaient diviser le Mali, a-t-il insisté. On ne peut pas nous vassaliser, on ne peut pas transformer le pays en esclave. Ça, c’est terminé ».
Takuba pris pour cible
Le Premier ministre n’a pas épargné non plus Takuba, ce groupement européen de forces spéciales créé par la France et destiné à accompagner les soldats maliens dans leur combat contre les jihadistes. Takuba, « c’est pour diviser le Mali. C’est “le sabre”, en [langues] songhaï et tamasheq, ça n’est pas un nom qui a été pris par hasard », a-t-il dit.
La France et ses partenaires – européens et américains – reprochent à la junte de retarder le retour des civils au pouvoir et d’avoir fait appel à des mercenaires affiliés au groupe russe Wagner, ce que Bamako conteste. Devant les diplomates réunis lundi, au premier rang desquels l’ambassadeur russe Igor Gromyko, Choguel Maïga a assimilé les soldats de la Légion étrangère, corps de l’armée française, à des mercenaires.
Il a évoqué le rappel, en février 2020, de l’ambassadeur du Mali à Paris, Toumani Djimé Diallo. Celui-ci avait provoqué la colère des autorités françaises en accusant leurs soldats de « débordements » dans les quartiers chauds de Bamako. Les autorités maliennes avaient à l’époque rappelé le diplomate à la demande de la France, « sur la base de simples déclarations […] sur le comportement peu orthodoxe de certains légionnaires français au Mali », a déclaré Choguel Maïga. Et d’ajouter: « J’allais dire de mercenaires. »