Le visage juvénile d’Alexandre Martin, tué samedi, à Gao, lors d’une attaque au mortier, est venu se rajouter à la longue et funeste galerie de portraits des militaires français tombés au Mali. Le brigadier de 24 ans est le 53e à mourir sur le théâtre d’opérations sahélien depuis 2013.
Double adversité
Cette nouvelle mort intervient alors que l’armée hexagonale poursuit son désengagement progressif de la région, dans un contexte où Paris paraît de plus en plus isolé et en difficulté. « Ce qui fragilise la position de la France, c’est l’impossibilité de s’en tenir au scénario idéal initial, à savoir une réduction de la voilure qui se voulait à la fois graduelle et ordonnée, avance Vincent Hugeux, ancien grand reporter à L’Express et spécialiste de l’Afrique. Celle-ci s’est déjà traduite, en fin d’année dernière, par la fermeture des trois bases les plus septentrionales du Mali (Kidal, Tessalit, Tombouctou). Et s’inscrit dans l’ambition affichée de poursuivre cette baisse des effectifs de 5.100 aujourd’hui, à 3.500 à 4.000 à l’été, pour descendre en dessous des 3.000 début 2023. »
« Des relations exécrables »
Sauf que le scénario est en train de déraper. « La France est prise en tenaille entre deux adversités qui se combinent, poursuit Vincent Hugeux. Une première opérationnelle, militaire, qui est de combattre un ennemi mobile, pugnace, fort bien équipé, comme on l’a vu lors de l’attaque de Gao et également le lendemain à Ménaka. L’autre adversité est de nature politique. Les relations entre Paris et la junte militaire qui a pris le pouvoir à Bamako sont exécrables. Le colonel Assimi Goïta et ses amis ont imposé à la France un double défi. Le refus, qui vient d’être sanctionné par la Cédéao (*), d’organiser comme ils s’y étaient engagés des élections générales dans un délai raisonnable. Deuxième défi, malgré leurs dénis compulsifs?: l’introduction sur l’échiquier malien des mercenaires du groupe Wagner, dont on sait que les liens avec l’armée de la Fédération de Russie sont organiques. »
Face à cette double menace, prise entre le marteau djihadiste et l’enclume russe, la France semble dans une impasse, sans option véritablement satisfaisante dans son jeu. « Cela fait des années que j’avance la thèse selon laquelle le dispositif Barkhane s’acquitte, non sans bravoure, d’une mission impossible. Avant même, le putsch à Bamako. Et la France se retrouve confrontée à un dilemme où aucune des alternatives ne peut être satisfaisante », analyse l’enseignant à Science-Po Paris.
« Partir demain?? Une absurdité »
Les deux alternatives – se retirer totalement ou rester coûte que coûte – présentent en effet des inconvénients majeurs. « Les démagogues, y compris certains candidats à la présidentielle, expliquent qu’il faut partir demain matin. C’est une absurdité, d’abord parce que le démontage logistique d’une telle opération est un cauchemar. Ensuite, parce que si on réfléchit juste dix secondes, partir de cette manière, c’est offrir sur un plateau un cadeau inespéré à la propagande djihadiste. Cela voudrait dire aussi que 53 soldats français sont morts pour rien. Enfin, c’est accepter, au mieux, de voir le Sahel glisser vers des pouvoirs djihado-compatibles ou, au pire, vers un califat national ou transnational. »
« Pas de scénario rose »
Le maintien d’une présence militaire forte est, lui aussi, à double tranchant. « Le coût de rester peut être d’autant plus lourd que l’on se trouve confronté à l’hostilité amplement manipulée par des acteurs locaux et extérieurs, en premier lieu la Russie, de la majorité de la population, enchaîne le spécialiste de l’Afrique. Il n’y a donc pas de scénario rose. L’issue préférentielle aurait été une poursuite de la réduction de voilure avec un passage de témoins à des armées africaines coalisées et performantes, avec le soutien du dispositif des forces européennes Takuba que la France porte à grand-peine. Or, malheureusement, aucune des facettes de ce scénario ne se réalise. »
Dominique Diogon