La fin de l’opération Barkhane au Sahel doit être l’occasion de consolider la coopération entre le Mali et ses partenaires, afin d’éloigner le risque du recours à sociétés étrangères de sécurité privée.
Alors que la France est en train de reconfigurer son engagement au Sahel en prévision de la fin de l’opération Barkhane, les rumeurs grandissantes de discussions entre le Mali et des groupes de sécurité privés étrangers doivent tous nous interpeller.
Que penser de l’arrivée éventuelle de « mercenaires » au Mali au regard de tous les efforts engagés par la France depuis une décennie, et à l’aune de l’objectif premier de la communauté internationale : faire que les États du Sahel soient en mesure d’assurer la sécurité de leurs populations ?
Entendons-nous bien : il ne s’agit ici, ni de défendre une prétendue zone d’influence française ni de nier la liberté d’un État souverain à nouer des relations avec les interlocuteurs de son choix. L’enjeu est celui de la cohérence des engagements de la France et de ses alliés, au premier rang desquels les partenaires sahéliens dans la lutte contre le terrorisme. Alors que les objectifs militaires du Sommet de Pau commencent à porter leurs fruits, comme en témoigne la neutralisation de l’émir de l’État islamique dans le Grand Sahel, faudra-t-il mettre fin à un engagement essentiel de la France ?
L’INTERVENTION DE GROUPES PRIVÉS SAPERAIT LES ACQUIS DES PARTENAIRES DU MALI DANS LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME
Tout comme les familles de soldats et de civils français, les populations sahéliennes et maliennes, jeunes, femmes, soldats, ont payé le prix fort de cette lutte. L’enjeu est trop sérieux pour devenir le théâtre de rivalités géopolitiques ou de choix populistes, hasardeux ou mal calculés. Ayons le courage de le marteler : l’intervention de groupes privés saperait les acquis des partenaires du Mali dans la guerre contre le terrorisme, sans apporter la moindre garantie de résultats.
Une relation de dépendance envers l’extérieur
Comme tout État qui prend le risque de recruter des mercenaires, le Mali se trouverait dans une relation de dépendance envers l’extérieur et d’isolement au plan intérieur… C’est une leçon universelle dont Machiavel, dans Le Prince, a apporté la démonstration implacable au sujet des États de l’Italie du XVIe siècle !
En tant que rapporteur spécial du budget du Quai d’Orsay à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’opportunité de toucher du doigt l’apport inestimable des partenariats d’une tout autre nature noués par la France avec les forces militaires et de sécurité des États africains. Ces coopérations de sécurité et de défense de long terme, distinctes des engagements militaires en temps de crise, se fondent sur des relations authentiquement partenariales et n’ont strictement rien à voir les fantasmes d’une « Françafrique » révolue….
Elles permettent, par exemple, à des états-majors et des ministères africains d’accueillir en leur sein des militaires, des gendarmes ou des policiers français qui vont y exercer des missions pour le seul compte de leurs nouvelles administrations de rattachement.
Ces coopérants sont essentiels pour aider un État à structurer ses forces armées et ses services de sécurité intérieure, par exemple pour transformer les « armées de recrutement » traditionnelles en véritables « armées d’emploi ».
Cet outil, fort et partagé, doit être préservé et monter en puissance pour s’adapter au nouveau schéma de lutte contre le terrorisme dans la région, comme vient de le montrer l’inauguration, en juin dernier, à Jacqueville en Côte d’Ivoire, de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT), cofinancée par la France. Les premiers cycles de formation de haut niveau et les cycles d’entraînement ont déjà bénéficié à 500 stagiaires de toute la sous-région.
Élargir les alliances et nouer des liens durables
Loin d’entretenir la dépendance des États africains, la coopération de sécurité et de défense de la France renforce nos souverainetés respectives : les femmes et hommes de nos forces de sécurité, tout comme leurs sœurs et frères d’armes africains, en retirent des expériences inestimables. Ils œuvrent à des objectifs définis en commun et partagés par la communauté internationale, comme le combat contre la piraterie maritime dans le golfe de Guinée, le déminage et la lutte contre la prolifération des engins explosifs avec l’école internationale de Ouidah au Bénin ou encore la lutte contre la cybercriminalité avec l’école internationale de Dakar…
CHERCHER À PLACER NOTRE COOPÉRATION AVEC LE MALI, DANS UN CADRE PARTENARIAL OUVERT À L’ENSEMBLE DES ÉTATS DU SAHEL ET AUX FORCES SOUS MANDAT DE L’ONU
C’est sur des perspectives aussi constructives qu’il me paraît nécessaire de chercher à placer notre coopération avec le Mali, dans un cadre partenarial ouvert à l’ensemble des États du Sahel et aux forces sous mandat de l’ONU… pas dans des combinaisons aléatoires et des coups de force sans lendemain !
Je plaide donc pour que la reconfiguration de notre investissement dans la lutte contre le terrorisme au Sahel intègre pleinement les trois principes d’action suivants.
En premier lieu, la France doit encourager au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, le renforcement du mandat de la Minusma en y intégrant une dimension offensive, dans l’esprit de la résolution 2098 (2013) du 26 mars 2013 sur la Monusco. En anticipation du désengagement des troupes françaises, il faudra donner davantage de moyens aux forces onusiennes présentes dans le pays, tant dans un but de dissuasion que pour réagir à l’urgence.
Deuxièmement, le reformatage de la force française Barkhane doit permettre de revoir le périmètre de la force européenne et onusienne Takuba. Dans une logique d’alliance euro-africaine contre le terrorisme, je propose d’y intégrer les partenaires africains de premier plan que sont la Cedeao et l’Union africaine. Les efforts de formation et d’assistance technique militaire devront ainsi s’étendre à des unités tactiques de ces pays afin de faire de ce combat pied à pied un combat de proximité.
Le « tout militaire » est voué à l’échec
Enfin, nous ne devons jamais oublier que le « tout militaire » est voué à l’échec. Il faut massivement investir dans l’aide aux populations en sortie de crise et dans le développement de long terme du Sahel. La France a clairement défini cette priorité dans la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, promulguée le 4 août 2021.
L’engagement de la France doit s’inscrire pleinement dans un effort massif de la communauté internationale. Je propose donc, sous l’égide de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, la création d’une Agence mondiale pour le Sahel. Et qu’elle soit dotée des moyens nécessaires pour mobiliser et déployer efficacement, sur la prochaine décennie, les investissements publics et privés indispensables dans cinq secteurs prioritaires : la jeunesse, la santé, l’agriculture, les infrastructures de base et la résilience climatique…
RIEN DE CE QUI A PU ÊTRE FAIT DE CONSTRUCTIF NE L’A ÉTÉ SANS L’ACCORD ET L’APPUI DE NOS PARTENAIRES AFRICAINS
La présence française depuis bientôt une décennie a répondu à un appel malien, relayé depuis par l’ensemble des États du Sahel. Rien de ce qui a pu être fait de constructif ne l’a été sans l’accord et l’appui de nos partenaires africains. L’État malien pourra mettre fin aux situations de violence le minant depuis longtemps en étant à l’écoute de toute sa population et en construisant des liens durables avec la communauté internationale. C’est en restant disponible pour nouer ces liens durables et ces partenariats constructifs que la France continuera d’assumer ses responsabilités.