PRESSION. La situation qui prévaut entre Paris et Bamako, parallèlement aux sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa, interroge l’avenir de Barkhane et de Takuba.
uid du maintien d’une présence militaire française et européenne au Mali après les derniers événements sur fond de sanctions de la Cedeao et de démarches à l’ONU appuyées par la France en vue d’une résolution condamnant le régime en place à Bamako ? La question mérite d’être posée tant la situation est délicate. L’option d’un retrait n’est naturellement pas aisée alors que la dernière ligne droite de la campagne présidentielle est en vue, que la présidence française de l’Union européenne a placé la relation entre l’Afrique et l’Europe parmi ses priorités et que les relations entre la junte en place au pouvoir au Mali et le gouvernement français sont de plus en plus exécrables.
« Lignes rouges » franchies par Bamako
Ces dernières semaines, pour les partenaires africains et les pays occidentaux, les putschistes au pouvoir à Bamako ont franchi l’une après l’autre les lignes rouges fixées par les pays voisins et les partenaires étrangers du Mali : refus d’organiser des élections à brève échéance en vue de rendre le pouvoir aux civils et recours au sulfureux groupe paramilitaire russe Wagner, réputé proche du Kremlin. Paris, l’Union européenne et Washington avaient bien tenté de dissuader le régime malien d’emprunter cette voie. Ces dernières semaines, les ministres français des Affaires étrangères et des Armées, Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, dénonçaient le caractère « inacceptable » d’un possible déploiement de mercenaires de Wagner au Mali, jugé « incompatible » avec la présence de milliers de soldats français. Menaces et pressions n’ont pas eu d’effet, poussant la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à prendre à la mi-janvier une batterie de sanctions économiques et diplomatiques à l’encontre du Mali.
Questionnement à tous les étages
Engagée militairement depuis 2012 dans la lutte antidjihadiste au Mali au prix de 52 morts et de plusieurs milliards d’euros, Paris a finalement choisi de temporiser en faisant valoir que les Russes n’agissent pas pour l’heure dans la même zone du Mali que les Français. La France et ses partenaires européens comptent rester au Mali, « mais pas à n’importe quel prix », a prudemment déclaré, vendredi, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian. Le président Emmanuel Macron devrait évoquer le sujet mercredi lors de ses vœux aux armées françaises.
D’autres partenaires européens se grattent plus ouvertement la tête. La ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a récemment évoqué la possibilité de relocaliser « dans un autre endroit, plus sûr pour nos soldats » le contingent engagé au sein de l’EUTM, chargée de la formation initiale des troupes maliennes. La Suède, qui compte environ 300 soldats au Mali, s’est dite jeudi « très préoccupée » par la situation dans le pays et entend en « analyser les conséquences ».
Pas de demande formelle de départ mais des messages d’hostilité de Bamako
La junte malienne n’a pas formellement demandé aux troupes françaises et européennes de partir, mais elle multiplie les messages d’hostilité, surfant sur un sentiment antifrançais croissant dans la sous-région. Des manifestations massives contre les sanctions ouest-africaines ont été organisées vendredi à travers le Mali à l’appel de la junte, à grand renfort de slogans critiques à l’égard de l’ex-puissance coloniale.
Le Premier ministre de transition Choguel Kokalla Maïga a accusé, dimanche, la France d’instrumentaliser les organisations ouest-africaines « pour régler d’autres comptes », et évoqué une possible remise en cause des accords de défense qui lient Paris et Bamako. « Nous voulons relire les accords déséquilibrés qui font de nous un État qui ne peut même pas survoler son territoire sans autorisation de la France », a-t-il affirmé.
Des complications sur le terrain
Bamako a déjà remis en cause, il y a une semaine, la liberté de mouvement des appareils militaires entrant ou sortant de l’espace aérien malien. « Il n’y a pas d’entrave sur les opérations aériennes » sur le territoire malien, a néanmoins assuré, lundi, l’état-major français. Si elle devait perdurer, la fermeture des frontières aériennes maliennes, ajoutée à l’interdiction de survol des avions militaires français au-dessus de l’Algérie décrétée en octobre, empêcherait de facto les armées françaises de poursuivre leur mission, en bloquant notamment les relèves. « On ne peut pas aider des gens contre leur gré », résume, résignée, une source française proche de l’exécutif. Au risque toutefois de céder la place à l’influence russe dans cet ancien pré carré français, argumentent d’autres acteurs du dossier.
Takuba menacé ?
La France, militairement présente au Mali depuis neuf ans pour lutter contre les djihadistes, y a entrepris cet été une réduction de ses effectifs. Mais elle avait jusqu’ici l’intention de maintenir des troupes à Gao, Ménaka et Gossi, avec, en fer de lance, le nouveau groupement européen de forces spéciales Takuba, initié par Paris il y a plus de deux ans pour partager le fardeau. Symbole d’une Europe de la défense chère à Emmanuel Macron, Takuba disparaîtrait en cas de retrait, au moment même où Paris avait réussi à convaincre une dizaine de nations de venir l’aider. Le Niger voisin a fait savoir qu’il n’accueillerait pas cette task force. En pleine présidence française de l’Union européenne et à trois mois de l’élection présidentielle française, le revers serait cuisant. D’autant que le bilan de neuf ans d’intervention est loin d’être satisfaisant. Les groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda ont conservé un fort pouvoir de nuisance, malgré l’exécution de nombreux chefs. L’État malien, lui, n’a jamais véritablement tenté de s’installer durablement dans les territoires délaissés. Et les violences se sont propagées dans le centre du pays, puis au Burkina Faso et au Niger voisins, avant de descendre vers le sud, dans le nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Ghana.
Source: lepoint