Le président de la commission des affaires étrangères considère que des lignes rouges ont été franchies de la part de la junte malienne, qui multiplie les « actes de défiance », selon lui. Le dernier en date : l’expulsion de l’ambassadeur de France. Le sénateur annonce son intention d’auditionner Jean-Yves Le Drian et Florence Parly dans les prochains jours.
LE 31 JAN 2022
Guillaume JacquotPar Guillaume Jacquot
@Algdelest
5mn
Le contexte se tend au Mali, sept ans et demi après le début de l’opération Barkhane. Après le décès du brigadier Alexandre Martin, lors d’une attaque au mortier visant le camp français de Barkhane à Gao, le 22 janvier, le ton est monté entre Paris et Bamako la semaine dernière. Jean-Yves Le Drian a dénoncé les « mesures irresponsables » de la junte malienne « illégitime », qui avait appelé le Danemark à retirer ses troupes. « Ces insultes et ces propos empreints de mépris sont inacceptables », a répliqué son homologue malien, Abdoulaye Diop. Ce lundi, la télévision d’Etat malienne a annoncé que l’ambassadeur français Joël Meyer disposait de 72 heures pour quitter le pays. Le Quai d’Orsay indique que « la France prend note » de cette expulsion. Public Sénat s’est entretenu avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Christian Cambon (LR).
La junte malienne a décidé d’expulser l’ambassadeur français. Comment réagissez-vous à cette annonce ? Est-ce un coup de pression ou le signe que les relations bilatérales deviennent de plus en plus exécrables ?
Les relations entre la France et le Mali ne cessent de se dégrader depuis l’arrivée de la junte au pouvoir. Des déclarations de part et d’autre n’ont pas arrangé les choses. On se trouve face à une situation extrêmement compliquée. Je n’oublie pas les 5 000 hommes que nous avons encore là-bas. C’est assez compliqué de maintenir une force armée dans un pays où le gouvernement ne cesse de multiplier les incartades à notre encontre. C’est une grande préoccupation pour nous. J’ai moi-même demandé à la ministre des Armées et au ministre des Affaires étrangères d’accepter d’être auditionnés devant notre commission pour faire le point sur la situation.
La décision qui vient d’être prise fait suite à de nombreux faits qui nous inquiètent et laissent à penser que la ligne rouge a été dépassée : l’interdiction du territoire par l’aviation – nos forces ne peuvent pas travailler dans des conditions raisonnables – la décision de signifier aux Danois de rentrer chez eux, la remise en cause des accords de défense qui lient le Mali et la France. Il faut rappeler que cette coopération s’est nouée à la demande d’un gouvernement élu démocratiquement au Mali. Maintenant, je pense qu’on va se diriger vers des décisions très difficiles. Je ne vois pas comment on va continuer aussi longtemps, et dans des conditions d’efficacité, à travailler à la sécurité du Mali, alors que la junte multiplie les actes de défiance à notre endroit.
Je souhaite que le Parlement prenne sa part dans les décisions prises par la France. Nous venons de perdre un 53e soldat, une centaine a été blessée. On ne peut pas exposer nos soldats dans un contexte de défiance tel que ce dernier évènement vient de le prouver.
Comptez-vous procéder aux auditions des ministres dès cette semaine ?
Je veux des informations précises. Des réunions ont lieu toute cette semaine, il y a une concertation entre les ministres des Affaires étrangères de la force Takuba, les chefs d’États-majors. Je préfère que ce temps soit réservé à l’exécutif, et qu’ensuite il vienne nous informer de façon plus complète de la situation et de ses intentions, c’est surtout cela qui nous soucie. Nous attendons des éclaircissements. On parle de déplacer des bases vers d’autres pays. Je ne pense que pas que ce soit au Burkina Faso. Et je rappelle les déclarations du gouvernement du Niger, qui montrent qu’ils sont hostiles à l’accueil de Takuba. Au Tchad, on commence à être loin de la tension de la zone des trois frontières (la zone frontière où se rencontrent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ndlr). Partir dans un pays voisin, ce n’est pas comme aller dans le département d’à côté, il y a des contraintes techniques assez lourdes à mesurer. On s’interroge.
Quelles peuvent être les conséquences à court terme de l’expulsion de l’ambassadeur ?
Il peut y avoir des conséquences diplomatiques. La France peut demander le départ de l’ambassadeur du Mali. On peut gravir des échelons supplémentaires. Il n’y a pas eu de contacts au plus haut niveau depuis plusieurs mois. On sent qu’il n’y a pas une franche volonté de dialoguer. Les relations sont réduites au minimum.
La France consulte ses partenaires européens et africains. Diriez-vous, comme une sénatrice de votre commission, qui a déclaré lors des questions au gouvernement mercredi dernier, que le gouvernement sur ce dossier cherche à gagner du temps ?
Je pense que le gouvernement, pour des raisons que tout le monde peut comprendre, n’a pas intérêt à ce que la période électorale que l’on connaît soit agitée des soubresauts de la crise au Mali. Ce n’est pas le gouvernement français qui est à la manœuvre, c’est la junte malienne qui prend des initiatives successives à l’encontre des intérêts de la France. Nous ne tolérerons pas longtemps d’exposer la vie de nos soldats. Quand et comment va-t-on décider de tirer les conséquences ? Je n’ai jamais été partisan d’un départ abrupt. La junte est gravement mise en cause : elle jette à la fois le discrédit sur la présence française, mais aussi sur la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali], qui réunit les contingents de pays qui viennent prêter main-forte à la sécurisation du pays. C’est un peu la course à l’abîme de la part de la junte, et on ne voit pas très bien où ils veulent en venir.
Le Danemark a été contraint de rapatrier ses troupes. L’installation de la force européenne Takuba, qui doit prendre le relais et permettre à la France de ne plus être en première ligne, semble mal partie ?
Tous ces signaux sont mauvais. On ne peut pas accuser le Danemark d’un comportement néocolonialiste. Cela donne un mauvais signal aux autres pays qui s’apprêtaient à nous aider dans cette affaire, comme la Pologne ou la Roumanie, où il y a encore des discussions parlementaires. Cela peut remettre en cause la participation de tel ou tel pays.
Les sanctions prises par les Etats de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pour faire pression sur la junte peuvent-elles atteindre leur objectif ?
Elles démontrent qu’au sein de la CEDEAO, de nombreux pays se rendent compte de la course à l’abîme dans laquelle s’est jetée la junte malienne. Elles peuvent et risquent d’avoir des conséquences sur la situation économique, sociale et peut-être politique du Mali. Il ne m’appartient pas de les commenter.
Le coup d’Etat au Burkina Faso, voisin, peut-il avoir des répercussions sur la situation au Mali ?
Le coup d’Etat au Burkina Faso n’a rien à voir dans sa nature et ses objectifs avec ce qui est intervenu au Mali. C’est une rébellion des forces intérieures burkinabées qui considèrent que le président Kaboré ne donnait pas suffisamment de moyens pour combattre le djihadisme. Le colonel qui a pris le pouvoir n’a pas manifesté d’hostilité vis-à-vis de la présence française. Mais la déstabilisation du Burkina Faso n’est pas pour nous arranger. On voit que les mouvements djihadistes font des mouvements vers le golfe de Guinée, et donc ce qui se passe au Burkina Faso doit attirer notre attention. Je me suis entretenu avec l’ambassadrice du Ghana, pays qui préside la CEDEAO. Il y a une inquiétude généralisée. Tout cela peut dégénérer dans d’autres Etats voisins.
Quels dangers fait courir la montée en puissance localement des mercenaires russes de Wagner ?
Pour nous, les choses sont claires. Les méthodes des milices privées ne sont absolument pas les nôtres. Ce qu’il s’est passé en Libye les disqualifie totalement. En termes géopolitiques, stratégique ou politique, cette présence accrue de la Russie nous inquiète. C’est une lutte d’influence, mais qui ne va pas dans le sens des intérêts du Mali. Elles ont pour tradition et usage de se payer sur place, sur les richesses nationales. Ce n’est pas du tout comme ça que travaille la France.
Source : Publicsenat