TV5MONDE : Que se passe-t-il à Ménaka ?
Jérôme Pigné, cofondateur du réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s) et chercheur associé à l’Institut Thomas More : Depuis quelques mois, la situation se détériore d’un point de vue sécuritaire dans la ville de Ménaka et plus largement à l’Est. La ville d’Andéramboukane, à près de 100 km, semble déjà être sous contrôle des groupes alliés à l’État islamique. On sait que Gao et sa zone alentour sont particulièrement menacées. C’est une tendance que l’on observe depuis neuf mois. Cette situation était donc prévisible, d’autant plus avec le départ progressif des forces Barkhane et Takuba, qui agissait dans cette région dite du Liptako, frontalière aux trois pays (Mali, Burkina Faso, Niger).
Même si les combats entre l’EIGS (État Islamique dans le Grand Sahara) et le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) persistent, on a probablement misé trop rapidement sur un affaiblissement de ces deux forces djihadistes à travers leurs affrontements.
Les groupes armés comme le MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad) ou les Forces armées maliennes et leurs supplétifs russes de Wagner, sont en réalité les grands perdants de ce combat. L’attaque sur Ménaka est en tout cas une réelle crainte parmi la population.
TV5MONDE : Les groupes terroristes sont-ils en capacité de prendre Ménaka ?
Il y a une différence entre la stratégie qui consiste à tenir des territoires, agir de manière discrète voire clandestine, bénéficier d’un certain trafic et d’une fluidité de mouvement et des espaces, et de l’autre, tenir des villes et des capitales régionales comme Ménaka.
Il s’agit ici d’un conflit ouvert. Dans tous les cas, la prise de Ménaka aurait une symbolique très forte. Cela fragiliserait davantage l’équilibre du territoire et de cette région du Liptako qui est déjà en dehors de tout contrôle des forces armées nationales.
À Niamey au Niger, on s’inquiète de la prolifération de cette violence armée qui est aux portes du pays. Après, quel serait l’intérêt tactique pour les groupes armés terroristes de prendre la ville ? Ils s’exposeraient davantage.
Encore une fois, on ne maitrise pas à distance toutes les dynamiques auxquelles les groupes peuvent être associées. Depuis Bamako, certains qui ont fuient la région pensent à ramener leur famille à la capitale pour éviter d’être sous le joug des terroristes ou à la merci de cette instabilité criante.
TV5MONDE : Ménaka a elle-même déjà accueillie beaucoup de déplacés dans la région ?
En effet. Mais on voit aujourd’hui que les gens commencent à fuir. Il y a quelques mois, ils partaient en direction d’Ansongo et de Gao. Maintenant, ça va être Kidal. La région du Liptako se déserte. C’est un drame parce que cette misère va accentuer les problématiques humanitaires au-delà de la question sécuritaire et des combats à court terme à mener contre les groupes armés terroristes.
La difficulté réside dans cette nécessité à combattre un groupe dont on maitrise peu de choses en terme organisationnel et de compréhension de ses mouvements entre plusieurs frontières. C’est pour cela que le travail doit être collectif, avec la participation de plusieurs États de la sous-région, pour échanger au minimum des informations ou des renseignements.
Comme la coopération entre les forces de sécurité des différents pays n’est pas au beau fixe, que ce soit à travers le G5 Sahel ou en bilatéral, ce qui se passe est au final assez naturel.
TV5MONDE : Comment expliquer que les groupes terroristes se renforcent au fil des années ?
Les groupes armés terroristes ont un coup d’avance sur les armés régulières parce qu’ils ont cette résilience naturelle à se mouvoir dans l’espace et dans le temps. Par ailleurs, depuis quelques années, leur approche vis-à-vis des populations est devenue coercitive, ce qui n’était pas du tout le cas jusque dans les années 2015, où il y avait une certaine cohabitation entre les deux.
Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de groupes armés et leur capacité de recrutement est d’autant plus importante. Ces derniers maltraitent voire massacrent désormais les populations. Ils visent aussi souvent les représentants de l’état. Les combats qu’ils mènent contre les forces armées maliennes se soldent d’ailleurs souvent par de la récupération matérielle. L’économie du terrorisme est liée à cette capacité d’être renforcé en matériel et aussi à se nourrir de certains trafics.
TV5MONDE : Les forces maliennes sont-elles toujours déployées dans la région ?
Officiellement, elles y sont. Il y a aussi la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) qui est à Ménaka depuis que Takuba a quitté la région. D’après des sources sur place, les FAMA (Forces armées maliennes) et leurs supplétifs russes se situent plutôt dans les camps qu’en patrouille extérieure. S’il y avait une attaque organisée, pensée et réfléchie – ce qu’on appelle une attaque complexe- sur Ménaka, je ne suis pas persuadé que les FAMA et les Russes seraient en capacité de réagir.
Le travail de montée en puissance de l’armée malienne qui s’effectuait à travers la bonne coopération avec la force Takuba se conjugue aujourd’hui au passé. Et cela s’est fait au détriment de la stabilité de cette région. Les FAMA dans la région ne semblent aujourd’hui pas opposer une quelconque forme de résistance à la prolifération et l’emprise territoriale des groupes armées terroristes.
La réaction à observer dans les prochains jours est celle du Niger. Andéramboukane situé à la frontière est tombé. Le Niger regarde la dégradation de cette situation d’un mauvais oeil. On sent une certaine forme d’inquiétude,
Après, est-ce que ce risque de faire tomber Ménaka va permettre au Niger et au Mali de retrouver un semblant de coopération sur le plan sécuritaire et humanitaire ? C’est une question qu’il faut se poser.
TV5