« Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port », ces vers du poète français, Pierre Corneille, pourraient parfaitement résumer la mobilisation contre la fraude à l’appel de l’opposition de ce samedi 18 août. D’abord timide, après une pluie matinale qui s’est arrêtée aux environs de 8 h 30, où on avait l’impression qu’il y avait autant, voire plus, de policiers et militaires casqués et harnachés, tant le dispositif sécuritaire était impressionnant, que de manifestants. Il aura fallu environ deux heures pour que, vers 10 h 30, tout ce que l’opposition a pu ressembler de partisans, de mécontents et d’opposants au président réélu, envahissent la rue pour battre le pavé.
Des milliers de Maliens ont répondu présent
Certains, au tout début de la mobilisation, erraient encore sonnés, après ce « jeudi noir », du 16 août, lorsque les résultats provisoires annoncés par Mohamed Ag Erlaf, ministre de l’Administration territoriale, créditaient le candidat Ibrahim Boubacar Keita de 67,17 % des suffrages et son adversaire Soumaila Cissé de 32,83 %. Ils brandissaient des affichettes ou des pancartes aux couleurs ou à l’effigie du chef de file de l’opposition, attendant ces renforts qui tardaient à venir. D’autres, ragaillardis par les résultats proclamés par le chef de l’opposition le créditant de 51,75 % des voix contre 48,25 % pour son adversaire, s’égosillaient de toute la force de leurs cordes vocales pour montrer leur colère et leur rejet d’un scrutin qu’ils considèrent bâtit sur la fraude. « IBK n’a pas gagné ! c’est de la tricherie ! On est là pour dénoncer ça aujourd’hui et pour défendre la démocratie ! » lance furieux, Moussa Traoré, avant de ponctuer ses dires en faisant sonner une corne de brume auxquels d’autres font rapidement échos dans une cacophonie assourdissante.
Brandissant une pancarte où l’on pouvait lire en noir sur fond rouge, « Respectez le vote des Maliens », Djibril Maiga, étudiant, a du mal à cacher sa colère et son agacement. « On va lutter, on va lutter jusqu’à ce que l’on arrache le pouvoir à la main de ce voleur-là ! » assène-t-il. « Cette mobilisation est faite pour montrer à l’opinion nationale et internationale que c’est nous qui avons gagné ces élections au Nord et au Sud. On ne peut pas accepter que notre victoire soit volée, on est là pour ça et ça ne fait que commencer », prévient-il.
Soumaïla Cissé se déclare lui-même vainqueur du scrutin
C’est vers 10 h 30, lorsque débouche sur la place de la Liberté le véhicule du candidat Soumaila Cissé, accompagné de son directeur de campagne Tiébilé Dramé et du chroniqueur Ras Bath, que les centaines de personnes rassemblées sur la place de la Liberté entrent en effervescence. La foule des quelques centaines de partisans a maintenant grossi lorsqu’elle entame la marche qui mène via le boulevard de l’Indépendance à la Bourse du travail, où les attendra la scène sur laquelle Soumaila Cissé tiendra son meeting. Une sono juchée sur un pick-up prend la tête du cortège, dispensant de la musique fréquemment entrecoupée par un animateur, qui au micro lance des slogans partagés ici par tous : « IBK voleur ! », « Soumaila, Koulouba ! », « Soumaila président ! ».
« C’est une mascarade »
À la Bourse du travail, Kadiatou trépigne d’impatience, le téléphone à la main, elle tente, tant bien que mal, d’obtenir une photo du candidat qui disparaît souvent derrière les mains tendues, les drapeaux ou les personnes plus grandes qu’elle, dans la foule compacte qui se masse et l’entoure. Kadiatou est venue pour Soumaila, pour le voir, l’entendre et le soutenir. « C’est lui, c’est Soumaila ! Mon président ! » s’écrie-t-elle, lorsqu’elle l’entraperçoit à la tribune aux côtés du chroniqueur Ras Bath. Ce dernier, au micro, chauffe et galvanise un public déjà acquis, avec un discours enflammé aux accents de révolte : « C’est un vote qui a entaché l’honneur, l’image et la dignité de ma nation, une fraude à ciel ouvert, une mascarade, un vol organisé contre le peuple malien ! » tonne-t-il devant les quelques milliers de personnes qui, dans un chaos de cris et de sons, appuient chaque punch-line du chroniqueur. Les cris redoublent quand ce dernier aborde un sujet sensible qui fait parler depuis quelques jours et qui a choqué de nombreux Maliens, les félicitations du président français Emmanuel Macron et de l’ancien président François Hollande à leur homologue IBK, alors que les résultats annoncés jeudi dernier ne sont que provisoires : « Ce n’est pas parce que la France te félicite, que Macron te félicite, que Hollande te félicite que les Maliens le feront », commencent-ils déclenchant un tonnerre d’acclamations.
« Nous respectons le peuple français, nous avons été à leur école, nous avons appris les mêmes leçons qu’eux, mais je n’ai jamais vu un président féliciter quelqu’un pour son élection avant la proclamation définitive des résultats, je ne l’ai jamais vu ! » clame-t-il, déchaînant l’approbation de la foule massée sur le boulevard et qui n’attendait que ça.
Les recours officiels sont lancés
Sur scène s’enchaînent les discours des quelques candidats qui ont rallié Soumaila Cissé, à l’instar des anciens ministres d’IBK, Choguel Kokalla Maiga, Dramane Dembélé ou Konimba Sidibé. Le dernier à prendre la parole est Soumaila Cissé, le candidat malheureux de ces élections, qui, aujourd’hui, pour la foule et ses alliés, n’est plus candidat, mais bien président. Au micro, il tance sévèrement le chef de l’État, responsable selon lui de cette fraude généralisé. « Les Maliens n’accepteront jamais d’avoir un président élu sur la fraude. La fraude, c’est le vol de votre vote ! Nous n’accepterons pas que l’on vole notre victoire. Il s’agit de l’avenir du Mali, de l’avenir de la sous-région, parce que la mauvaise gouvernance ne ramènera pas la paix, c’est la négation d’un avenir radieux pour nos enfants et nos petits enfants », déclame un Soumaila Cissé ovationné par la foule, avant d’appeler les manifestants à résister et à se mobiliser « pour faire entendre notre voix », lance-t-il.
Le chef de l’opposition achève son discours en souhaitant de bonnes fêtes de Tabaski au public, sans oublier de leur donner rendez-vous, après, pour continuer la lutte et la mobilisation.
Après cette manifestation, énième soubresaut d’une campagne qui s’achève et qui a moins rassemblé que les précédentes, signe que, au-delà des partisans, les Maliens se résignent peu à peu aux résultats, c’est le 20 août qui devrait sceller la fin des élections, date à laquelle la Cour constitutionnelle rendra son verdict, alors que l’opposition a déposé de nombreux recours pour invalider ce second scrutin. Même si la plupart des manifestants présents ne se font pas trop d’illusions sur l’issue de ce verdict, beaucoup se disent prêts à « se battre même si les résultats sont validés ». D’autres, plus réalistes, ont déjà le regard tourné vers la prochaine bataille, les législatives, en novembre, avec la ferme intention de faire barrage au chef de l’État en place, en remportant un maximum de sièges à l’Assemblée nationale.