«Je n’ai subi aucune pression. Je n’avais aucun lien, aucun droit, aucun pouvoir
de prendre contact avec l’Exécutif ou avec le président de la République»
Dans cet entretien exclusif, Abdel Kassim Touré, président de la Commission ad hoc de mise en accusation de l’ex-président de la République, ATT, nous révèle tout le processus qui a conduit à l’élaboration d’un rapport et d’une résolution qui vient d’être adoptée en plénière par 104 députés. Selon lui, la Commission a eu à écouter 70 personnalités de toutes les couches (justice, hommes politiques, anciens ministres, religieux, militaires…). Et aucune preuve n’a été établie contre l’ex-chef de l’Etat. “Aucune poursuite n’a été ordonnée contre ATT par l’Assemblée Nationale. Et la Haute Cour de Justice ne peut pas s’auto saisir de ce dossier dont la résolution sera envoyée au Premier ministre, Modibo Kéïta. Compte tenu de l’actualité, nous vous républions cet entretien.
Aujourd’hui-Mali : L’Assemblée nationale vient de se prononcer en ce qui concerne le cas de l’ancien président de la République, Amadou Toumani Touré. De quoi s’agit-il exactement ?
Abdoul Kassim Touré : Ce dossier est très simple parce que l’Assemblée nationale avait été saisie par le Procureur Général via le ministre de la Justice à travers une lettre de dénonciation. C’est ainsi que le président de l’Assemblée nationale a informé la réunion du bureau et la conférence des présidents de cette lettre. C’est dans ce cadre qu’une Commission ad hoc chargée de l’examen de la mise en accusation de l’ex-Président, ATT, a été mise en place lors de la plénière.
Quand la Commission a été mise en place, une feuille de route lui a été confiée avec des missions très claires. L’aboutissement de cette mission a été la présentation d’un rapport de la Commission devant les députés.
A quoi consistait votre travail ?
La lettre du Procureur général concernait un certain nombre de points qui avaient été reprochés à l’ex-Président ATT. Nous nous sommes penchés sur ces différents points en élaborant un rapport et une résolution.
Vous savez dans ce genre de saisine, l’Exécutif doit normalement envoyer un dossier pour accompagner la lettre de dénonciation. Pour ce cas précis, la lettre n’était pas accompagnée par un dossier. C’est la Commission Ad hoc qui a eu en charge la constitution de tous les éléments pour infirmer ceux qui ont été reprochés à ATT.
Notre travail a consisté à rassembler un certain nombre de choses. D’abord, quand la Commission a été mise en place, il y a eu la prise de contact entre nous-mêmes et la présentation des différents membres. Cette commission, il faut le préciser, est composée de tous les groupes parlementaires. Nous avons ensuite défini la méthodologie de travail et le principe de fonctionnement de la Commission. Ensuite, il y a eu la collecte des supports, des actes et documents de base nécessaires, à commencer par le code pénal et le code de procédure pénale. Nous avons ensuite procédé à l’élaboration et l’adoption du projet de chronogramme d’activités et l’élaboration de la liste des personnes ressources à écouter. Sans oublier l’élaboration et l’adoption des questionnaires à l’intention de toutes les personnalités qui devraient être écoutées. Voilà un peu à quoi a consisté la démarche de la Commission pour aboutir à cette résolution.
Peut-on nous dire les différentes personnalités que vous avez écoutées au cours de votre enquête ?
Je pense que cet aspect a été évoqué dans la résolution lors de la plénière à l’Assemblée nationale. Vous savez, la Commission ne peut pas se mettre à citer individuellement tous ceux que nous avons écoutés. Mais, en la matière, nous avons touché à toutes les couches sociales du pays. C’est pour vous dire que nous avons écouté des autorités politiques, judiciaires, religieuses, administratives et toutes les personnalités qui peuvent nous aider à établir des preuves. Nous avons commencé par la justice à travers un atelier afin de mieux comprendre les terminologies juridiques. Nous avons ensuite écouté le Procureur Général de la République qui est l’initiateur de la mise en accusation d’ATT afin qu’il puisse nous donner sa version des faits. Nous avons associé tous ceux qui peuvent de près ou de loin contribuer à la réalisation de notre mission, à commencer par les hommes politiques, les anciens ministres, les militaires, la justice, les religieux.
Concernant les anciens ministres, pouvez-vous nous citer des noms ?
Je pense qu’à la différence de l’autre Commission ad hoc qui devait présenter sa résolution concernant l’affaire de Kidal, nous, nous avons plutôt présenté un rapport. Ce n’était pas un Procès-verbal (PV). S’il s’agissait d’un PV nominatif, on allait citer les personnalités écoutées et dire textuellement tout ce qu’elles ont raconté. Mais, nous avons élaboré un rapport où on ne peut citer les personnalités que nous avons écoutées.
Une idée sur le nombre des personnalités que vous avez quand même écoutées ?
Du début de notre mission jusqu’au dépôt de notre rapport, le nombre de personnalités que nous avons écoutées ou invitées à produire des réponses écrites et reçues par la Commission, on ne peut pas compter moins de 70 personnes. Et maintenant, il y a des personnalités que nous n’avons pas pu écouter pour des raisons de santé. Sinon, sans quoi, tous ceux qui ont été listés, par rapport à ces différentes couches, ont accepté et ont eu à nous faire le plaisir de rencontrer la Commission en répondant verbalement à toutes les questions.
Quelles difficultés avez-vous rencontré dans le cadre de vos investigations ?
Notre première difficulté a été vraiment le mode de saisine concernant ce dossier. Vous savez que c’est une première au niveau de l’Assemblée nationale de gérer ce genre de dossier. C’est pour vous dire que nous n’avons aucune expérience en la matière parce qu’il n’y a pas eu de cas précédent. Nous avons reçu une lettre de dénonciation qui est tombée sur notre tête au niveau de l’Assemblée nationale. Comme je le disais, cette lettre de dénonciation n’était pas accompagnée de support. S’il y avait des documents accompagnant la lettre, cela allait faciliter notre mission. Comme il n’y avait aucun document, c’était à la Commission de s’organiser et d’aller chercher des supports pour pouvoir travailler.
Il faut reconnaitre que nous avons eu la chance de faire une mission de trois jours au Niger parce que ce pays a géré un cas similaire. Nous avons échangé avec le parlement nigérien. Ce qui nous a permis de bénéficier d’autres supports afin de nous orienter, de mieux comprendre et de mieux appréhender le sujet.
En un moment donné, il y a eu fuite de votre rapport. De quoi s’agit-il ?
Vous savez, à l’Assemblée nationale, il y a des groupes parlementaires qui envoient des commissaires au niveau de la Commission. Ce n’est pas le président de la Commission ou le président de l’Assemblée nationale qui nomme des gens. Par principe, quand un groupe parlementaire vous envoie en mission, vous devez rendre compte à toutes les réunions. Mais, dans le cadre de la confidentialité et de la sensibilité de ce dossier concernant l’ancien président de la République, nous avons interdit à nos membres de rendre compte au niveau des groupes parlementaires. J’ai demandé à ce qu’il n’y ait pas de compte rendu, mais ils peuvent parler des différentes étapes. Je me suis aussi réservé qu’aucun support dur ne soit emporté. Une fois qu’un premier draft ou un deuxième draft du rapport est fait, il doit être validé. Donc au-delà des députés au niveau de la Commission, il y avait également le personnel administratif en appui qui était là pour nous accompagner par rapport à la saisie et d’autres formalités. Maintenant, quand l’Assemblée a souhaité que nous déposions le rapport, nous avons adopté notre rapport sous réserve de quelques amendements. C’est donc ce rapport qui a fait l’objet d’une fuite. Ce n’était donc pas le bon rapport. La version finale, après les amendements, c’était seulement avec moi. Ni avec personne d’autre.
Et la suite de ce dossier ?
Pour la petite histoire, le président de l’Assemblée nationale va envoyer la résolution et le rapport de la Commission au Premier ministre. Nous n’avons pas travaillé pour ATT ou contre ATT. Nous étions en mission par rapport à une dénonciation contre lui. Nous avons présenté notre rapport et la résolution devant la plénière qui est souveraine. Une fois la résolution adoptée, ce n’est plus un dossier de la Commission ni de l’Assemblée nationale, mais un document que le président de l’Assemblée doit envoyer à l’Exécutif, notamment le Premier ministre.
N’y a-t-il pas eu des tentatives d’interférence des autorités de l’Exécutif ou des responsables politiques pour essayer d’influer sur votre travail ?
Je pense que les gens peuvent aller vérifier. Je pourrais dire que cette Commission Ad hoc est l’une des commissions les plus discrètes que l’Assemblée nationale a eu à connaître. Beaucoup de gens ne savaient pas que je présidais cette Commission, même entre nous députés. Ma mission n’était pas d’informer l’opinion publique, il s’agissait d’informer progressivement le bureau de l’Assemblée nationale. Nous avons envoyé des rapports d’étapes sur le processus. En fait, le contenu de notre mission est resté secret jusqu’au dépôt.
Selon vous, le retard pour l’examen de ce dossier était dû à quoi ?
Vous savez, l’Assemblée nationale n’a pas seulement que ce genre de missions à gérer. Nous avons des missions ordinaires tout comme extraordinaires. En fait, il n’y’avait pas eu un cadre approprié dégagé uniquement pour ça, pour dire à la Commission qu’elle avait un délai d’un an ou deux ans afin de présenter son rapport. Je suis président d’un groupe parlementaire, je suis obligé de faire mes réunions et je fais la conférence des présidents. Sans oublier que je participe aux plénières. Sinon, nous avons déposé notre rapport bien avant la fermeture de la session d’avril passé. Je pense que la difficulté majeure, c’est vraiment le manque de cadre approprié parce qu’il n’y a pas eu de documents pour accompagner la lettre de dénonciation.
Sinon, le report n’est pas vraiment un report de mauvaise foi ou une interférence. Je n’ai subi aucune pression dans ce dossier. A part que, après la mise en place de la Commission, j’ai demandé au président de l’Assemblée nationale, en tant qu’homme d’expérience, s’il avait des conseils pratiques à me donner. Ce qui n’avait rien à voir avec le travail proprement dit. Donc, au-delà de lui, je n’avais aucun lien, aucun droit, aucun pouvoir de prendre contact avec l’Exécutif ou avec le président de la République. C’est pour vous dire je n’ai subi aucune pression même du président de l’Assemblée nationale qui vit avec nous tous les jours, à plus forte raison subir la pression d’un homme politique.
Cela veut dire que votre Commission a travaillé dans la transparence totale ?
Dans la sérénité totale, sans pression de qui que ce soit. Et en toute transparence aussi. Je pense tous les membres de la Commission peuvent attester que nous n’avons pas quand même été l’objet de pression. On nous a laissé travailler. Et nous sommes restés dans ce cadre jusqu’au dépôt de notre rapport.
Peut-on dire, à présent et avec clarté, que le Président ATT n’a rien fait de tout ce qu’on lui reprochait ?
Vous savez bien, notre mission était d’établir des preuves contre le Président ATT. Ce n’était pas de la gesticulation ni de la supputation. Il faut que les gens comprennent que si vous n’arrivez pas à prouver et que ça ne repose sur aucun document, aucune preuve tangible fondée, vous ne pouvez pas vous permettre de faire de l’habillage. Après toutes les investigations, nous sommes en bon droit de dire que nous n’avons pas pu établir la preuve de tout ce qui a été dénoncé. Sinon, les infractions qui lui ont été reprochées, si on avait eu des preuves qui pouvaient le compromettre, on allait les citer et renforcer avec des arguments juridiques selon le code pénal ou le code de procédure pénale. Mais, nous n’avons eu aucune preuve. C’est pourquoi, nous avons été obligés d’établir notre conclusion sur cette base. Si vous lisez cette conclusion, vous allez comprendre que la Commission était vraiment obligée de faire une résolution qui va dans le même sens que sa conclusion.
Monsieur le Président, cela veut dire que l’ex- Président ATT peut désormais rentrer librement au Mali ?
En fait, je ne sais pas les raisons qui l’ont poussé à s’exiler à Dakar. Est-ce qu’il y a été obligé ou est-il parti de bon gré ? C’est le pouvoir public qui est aujourd’hui l’autorité habilitée à autoriser le retour d’ATT. Je ne suis qu’un honorable député qui a été mis en mission. J’ai travaillé et j’ai déposé mon rapport. Surtout que le dernier mot ne me revenait pas parce que c’est la plénière qui est souveraine. Et cette plénière a adopté le rapport. Je pense que mon rôle se limitait à ce niveau. Mais, le reste de la procédure, des démarches ou la vie d’ATT, rien de cela n’est de mon ressort en ma qualité de président de la Commission.
On peut dire que le dossier ATT est désormais clos ?
Je sais quand même que l’Assemblée nationale en plénière a adopté notre résolution sur la base des conclusions de notre rapport. Il y a eu 104 pour sur les 117 voix dont 6 abstentions, 5 contre et 2 bulletins nuls. C’est à la majorité totale que cette résolution a été adoptée. Maintenant, c’est l’Assemblée nationale qui a demandé dans sa résolution que le Président Issiaka Sidibé transmette ce document à l’Exécutif, notamment au Premier ministre Modibo Kéïta.
Notre procédure pouvait continuer si ATT avait été mis en accusation. En ce moment, au lieu de retourner le dossier à l’Exécutif, il allait être transmis au niveau de la Haute cour de justice parce que c’est cette structure qui est habilitée à prendre ce dossier à ce niveau. Et l’Assemblée nationale allait être dessaisie. Pour ce cas précis, aucune poursuite contre ATT n’a été ordonnée par l’Assemblée nationale. Donc la Haute cour de justice ne peut pas s’auto saisir du dossier. Seule l’Assemblée nationale peut s’auto saisir par rapport à un sujet comme nous l’avons fait avec l’enquête sur les événements de Kidal. L’Assemblée s’est auto saisie de cette affaire parce que c’est un événement important. L’Assemblée peut être saisie par une tierce personne, comme elle peut être saisie par l’Exécutif. Pour le cas ATT, je le répète, c’est le Procureur général qui a saisi l’Assemblée nationale à travers le ministre de la Justice.
Aujourd’hui N°47 du 23 décembre 2016
Réalisé par A.B. HAÏDARA
Source: Aujourd`hui mali