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Mali : les paramilitaires russes de Wagner sont-ils compatibles avec la coalition dans le Sahel ?

Les autorités de transition au Mali sont soumis à des pressions de la France et de la Cédéao pour organiser des élections en février 2022 et renoncer à une éventuelle coopération avec le groupe de sécurité privée russe Wagner. Pourquoi est-ce qu’un recours aux paramilitaires russes de Wagner pose problème à l’UE ? Le Mali serait-il prêt à prendre le risque ? Qu’y gagnerait la Russie ? On en parle avec Roland Marchal, chercheur au CNRS à Sciences Po Paris. Entretien.

 

TV5MONDE : Pourquoi est-ce que l’Union européenne ne veut pas de Wagner au Sahel ?

Roland Marchal : Il y a l’exemple de la République centrafricaine (RCA). Wagner est arrivé alors que les Européens étaient mobilisés et dépensaient pas mal d’argent pour la formation des militaires. Wagner a proposé des alternatives à un certain nombre de règles qui avaient été mises en place pour la formation : notamment le fait que les gens qu’on formait n’étaient pas des criminels.

De fait, les Européens ont vécu la présence de Wagner avec une certaine amertume. Un peu à l’analogue de la Banque mondiale qui finance des reconstructions économiques et qui voit par ailleurs certains États s’endetter massivement auprès de la Chine. Il y a deux dynamiques d’ordre totalement différentes et les Européens trouvent qu’à la fin, c’est eux qui payent pour des résultats qui sont, quand ils sont bons, attribués à Wagner par exemple.

[Wagner] a tendance à tirer et à poser les questions après, avec des dégâts collatéraux extrêmement importants…Roland Marchal, chercheur au CNRS

C’est un premier problème, deuxième problème beaucoup plus sérieux au Mali : le fait que les règles d’engagement ne sont pas les mêmes. On l’a d’ailleurs aussi vu en RCA puisqu’initialement la MINUSCA a voulu coopérer avec Wagner, ce qui a été critiqué par un certain nombre d’observateurs. La MINUSCA s’est rendue compte que cette coopération était problématique dans la mesure où les règles de tir, la prudence dans la sélection des adversaires etc. n’est pas du tout la même du côté onusien ou européen et du côté de Wagner. Ce dernier a une tendance à tirer et à poser les questions après, avec des dégâts collatéraux extrêmement importants alors que les Nations Unies ont leurs propres règles beaucoup plus mesurées. Quelques fois, cela les pousse même à ne rien faire mais en tout cas, la logique est d’essayer d’éviter au maximum des dommages collatéraux parmi les civils. Ce genre de précautions est le cadet des soucis de Wagner.

TV5MONDE : Comment expliquer la position du Tchad qui a manifesté son opposition ?

Roland Marchal : Le Tchad, concrètement, a vu comment Wagner avait assez peu de respect pour les frontières. Le groupe paramilitaire russe est intervenu à l’intérieur du territoire tchadien et a également exécuté 6 soldats tchadiens après les avoir fait prisonniers ce qui est contraire au droit de la guerre auquel Wagner n’est pas tenu étant donné qu’il s’agit d’une firme privée. Les Tchadiens sont convaincus que Wagner, d’un point de vue militaire, ce n’est pas fameux. Mais également que coopérer avec eux ne fera que rajouter des problèmes dans la perception des populations locales.

L’autre problème qui est sans doute le plus important pour les actuels dirigeants à N’Djamena, c’est le fait que le groupe russe de sécurité privée essaye de coopérer avec un certain nombre de mouvements d’opposition tchadiens pour les convaincre de refuser le dialogue politique qui est aujourd’hui offert par N’Djamena et de continuer la lutte avec une expertise militaire améliorée. Le point de vue de N’Djamena est valable d’ailleurs pour d’autres États d’Afrique centrale à commencer par le Congo-Brazzaville et le Cameroun.

TV5MONDE : Est-ce que la tentation de faire appel à Wagner pour le Mali risque de mettre à mal la coalition actuelle (Bakhane et Takuba) dans le Sahel ?

Roland Marchal : Aujourd’hui, on est dans une négociation. Cela dit, je pense qu’une présence significative de Wagner, au-delà de la protection éventuelle de certains hauts responsables, créerait effectivement un véritable problème au gouvernement français et également à pas mal d’États de l’Union européenne. Et ça, les Maliens le savent. Par ailleurs, si on regarde concrètement d’un point de vue proprement militaire, Wagner n’est pas très bon. En Syrie et en Libye, ils avaient un appui de l’État russe et ils ont quand même perdu. Si on regarde les formes du conflit au Mali, notamment l’importance des moyens aériens, on doit se poser la question de si Wagner aura des moyens aériens de même importance que la force Barkhane par exemple et aussi combien ça va coûter ?

TV5MONDE : Est-ce que la Mali serait prêt à prendre le risque de la rupture ?

Roland Marchal : C’est une question dont seuls les dirigeants maliens ont la réponse. Ça fait 8 ans que la communauté internationale a été d’une extrême générosité avec l’État malien. Avec notamment le soutien très généreux de la formation d’une armée malienne. Beaucoup d’argent a changé de main mais avec au final peu d’évolution sur la qualité de l’armée malienne. Quand on est un État souverain, la première chose que l’on fait c’est la construction des instruments de sa défense nationale et on voit qu’au Mali ce n’est pas du tout une urgence. C’est une souveraineté qui est « limitée » comme diraient nos amis russes soviétiques d’avant, dans la mesure où on veut bien l’argent mais pour le reste c’est nous qui décidons si on dépense à former et payer nos soldats ou au contraire à construire nos villas ici et là à l’intérieur du pays ou ailleurs dans les pays occidentaux.

TV5MONDE : D’un point de vue économique, ils auraient quoi à y gagner à avoir Wagner à la place de Barkhane par exemple ?

Roland Marchal : C’est une grande inconnue, c’est pour ça qu’à mon avis c’est une question politique. La rationalité de ce débat n’est à mon sens pas à voir en une capacité militaire supplémentaire de Wagner par rapport à Barkhane. Le problème est l’extension d’une transition qui permettrait aux militaires maliens de rester au pouvoir un an et demi de plus par exemple.

La Centrafrique est un très bon exemple bien que dans un cadre différent, un cadre minier en l’occurrence. Malgré les concessions très importantes octroyées à Wagner ou ses substituts dans le domaine minier et diamantaire, l’État centrafricain est encore obligé de pomper dans son propre budget et donc dans l’aide qui lui a fourni si généreusement par la Banque mondiale et l’Union européenne pour payer Wagner. Ce qui d’ailleurs devrait susciter quelques questions : est-ce que c’est le but de l’aide européenne de payer le massacre de jeunes à Bossangoa comme ça a été le cas ? C’est une responsabilité de la Banque mondiale et des Européens auquel, j’espère, leurs dirigeants devront répondre.

TV5MONDE : Qu’est-ce que la Russie aurait à y gagner ?

Roland Marchal : Il y a une chose assez inquiétante : que la Russie veuille, à l’image de nombre de pays émergents ou d’anciennes grandes puissances, avoir une présence en Afrique, ça me parait absolument légitime. Il y a en effet une expertise russe dans le domaine minier, dans l’armement, et dans le nucléaire civil. Même si les Français soupirent, les Russes font des choses de bonne qualité et abordables pour le continent africain. Le véritable problème, c’est moins ça que le fait que les Russes aient décidé d’y aller par le biais d’un opérateur privé. Ce qui offre la possibilité de nier toute responsabilité dans les exactions et dans les bavures commises par cet opérateur privé puisqu’il est lui-même illégal en Russie, même si son patron est très proche de Vladimir Poutine. La RCA joue le rôle de véritable laboratoire de ce point de vue. Ce qui est très inquiétant, c’est à la fois ce qu’il se passe en RCA, à la fois que l’ambition russe soit d’offrir en Afrique ce qu’elle fait en RCA, ce qui est quand même extrêmement négatif à la fois pour les populations centrafricaines et africaines et à terme pour l’image de la Russie.

Source : TV5MONDE
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