Le président de transition du Mali a prêté serment ce vendredi à Bamako. Mais le pays est toujours sous sanction jusqu’à la nomination d’un premier ministre civil.
Plus un billet. Les guichets de l’opérateur de transferts d’argent sont vides. Il faut pousser la porte du fond pour tomber sur cinq hommes, liasses en main. Là, derrière la rangée de six téléphones alignés sur son bureau, le directeur se lamente : l’embargo imposé au lendemain du renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août a « terriblement affecté » son commerce.
Alors que les transferts de fonds représentent 6,7 % du PIB malien (donnée 2017), le pays est privé depuis un mois d’échanges financiers et commerciaux avec ses voisins de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Si 30 % de ces fonds viennent de la diaspora française, le reste arrive des pays voisins. « Il a donc fallu activer le système D », raconte le directeur. A savoir, le transfert informel d’argent via un réseau transfrontalier basé sur la confiance. L’argent n’est pas envoyé à une agence, mais passe de main en main au sein d’un réseau d’interlocuteurs, capable de rembourser la somme engagée de l’autre côté de la frontière.
La formule dépanne. Mais « l’informel n’aide pas au développement d’un pays », gronde Mamadou Sinsy Coulibaly, président du Conseil national du patronat du Mali. S’il admet que les patrons ont dû faire des « magouilles, les frontières étant poreuses », il constate lui aussi un ralentissement net des transactions entre banques maliennes et étrangères. Ces liens financiers étant rompus, il se dit soulagé que l’association des banques du Mali ait décidé de prêter à taux zéro de l’argent à l’Etat « pour payer les factures et les salaires des fonctionnaires ».
Fin des stocks
Si les liquidités ne viennent pas encore à manquer, « certains distributeurs automatiques ne sont plus approvisionnés », confie un travailleur du secteur bancaire. « Il n’est plus non plus possible de s’endetter sur les marchés sous-régionaux », appuie Mamadou Sinsy Coulibaly. « Et en réalité, ce sont les industriels qui ont le plus été impactés », insiste Ousmane Babalaye Ndao, président du Conseil malien des chargeurs, le syndicat des importateurs et exportateurs du Mali. La plupart des produits manufacturés venant de l’extérieur, « les stocks arrivent à leur fin », estime-t-il, et impossible pour les entrepreneurs de s’approvisionner. « Quinze jours de plus et nous courons à la catastrophe », observe-t-il, évoquant en filigrane le possible chômage technique des sociétés et les licenciements que cela induit.
Si rien ne rentre pour les industriels, rien ne sort non plus pour les agriculteurs. Selon un rapport de l’Observatoire du marché agricole, les exportations de céréales en août ont presque diminué de moitié par rapport à la même période de l’année passée, passant de 1 464 tonnes en 2019 contre 813 tonnes en 2020. Une forte baisse « qui provient essentiellement de l’effet d’annonce de la fermeture des frontières de la Cédéao », note le rapport. Sans compter les cargaisons de bovins et autres bétails en partance vers la Côte d’Ivoire, secteur qui représente un pilier de l’économie malienne.
Les mesures prises par la Cédéao étaient le principal moyen de pression sur les militaires du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), qui se sont emparés du pouvoir quelques heures après la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta. Lors de leurs rares prises de parole publiques pendant les négociations avec les pays voisins, les putschistes ont d’ailleurs tenu à rappeler aux Maliens qu’ils travaillaient mordicus à la levée de ces sanctions.
Levée des sanctions
Peu de latitude leur a donc été laissée dans le choix de celui qui assurera la gestion de la présidence : un « civil » et rien d’autre, martelait la Cédéao. Mais la junte a su jouer sur l’ambiguïté des demandes formulées par les Etats d’Afrique de l’Ouest. Le président, désigné lundi 21 septembre, un jour avant l’ultimatum imposé, et intronisé ce vendredi, est un colonel à la retraite du nom de Ba N’Daw. Un profil qui a su rassurer les émissaires ouest-africains, venus en mission entre le 23 et 25 septembre. « Les sanctions seront levées lorsqu’un premier ministre civil sera nommé », avait aussi précisé ce matin Jean-Claude Kassi Brou, président de la commission de la Cédéao.
« Mais le consommateur lambda ne se rendra pas forcément immédiatement compte des effets », analyse Ousmane Babalaye Ndao, du Conseil malien des chargeurs. Car les denrées de premières nécessités telles que le sucre, le riz, les céréales et les hydrocarbures ont été sortis des sanctions.
Qu’à cela ne tienne, lorsqu’on lui parle de l’embargo, Ousmane Traoré lève les yeux vers le plafond scintillant de sa mercerie, près du marché de Badalabougou, à Bamako. « Je suis un patriote, commente-t-il, le regard perdu dans ses rouleaux de tissu. J’aurai fait avec ou sans et, de toute façon, j’avais les stocks nécessaires. » Il dit vrai. Les étagères débordantes de son magasin sont un pied de nez aux sanctions qui ne se sont manifestement pas fait beaucoup sentir sur les étals des quelque 375 marchés de la capitale.
« Aucune plainte à ce sujet n’est remontée de la part des commerçants », assure Adama Traoré, vice-président du comité de gestion du marché de Badalabougou et vendeur d’outillages. Depuis la mise en place des sanctions, l’endroit continue de tourner. Un peu au ralenti, certes, pointe un vendeur de textile, « mais à dire vrai, c’est comme ça depuis le coronavirus », explique-t-il, désolé que les mariages et les baptêmes essentiels à ses affaires soient rares par les temps qui courent.
Pour les négociants, le mois passé sous embargo est d’ailleurs une bagatelle comparée aux quatre mois de fermeture des frontières lors du pic de l’épidémie due au coronavirus sur le continent. Et, selon eux, l’inflation a été exagérée. A la rigueur, si un léger renchérissement de certaines denrées a pu être observé, il n’a rien d’anormal en cette fin de période de soudure, où les récoltes de la saison agricole précédente commencent à s’amoindrir.