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Mali : l’armée, miroir d’une société minée par les crises

Le président Ibrahim Boubacar Keïta a été renversé le 18 août par des militaires exaspérés par la corruption et le népotisme du régime déchu.

 

Parfois le lieu, les gens et l’instant communient dans d’étranges coïncidences. En ce 16 septembre, Bamako rend hommage au général Moussa Traoré. Le vieux satrape aux vingt-deux ans de dictature (1968-1991), condamné à mort après avoir été emporté par la tempête démocratique du début des années 1990, puis finalement gracié, est décédé un jour plus tôt.

Il est mort dans son lit, assez tard pour partir entouré d’une certaine bienveillance et avec les honneurs de funérailles nationales. Les années avaient fait de lui un « sage » de la nation. Par respect dû au mort, chagrin sincère ou opportunisme, chacun est venu présenter ses condoléances à la famille de ce soldat qui élimina toute forme d’opposition. De rares voix ont rappelé les années de répression et les acquis démocratiques.

Au même moment, au pied de la falaise de Koulouba, juste en dessous du palais présidentiel abandonné à peine un mois plus tôt par Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », une photo vieille de quatre ans jaunit dans la modeste maison de Kadiatou Konaté. C’est celle d’Ibrahima, son mari, un adjudant de gendarmerie, tombé au front sans que le moindre honneur ne lui soit rendu.

« Il travaillait dans le Nord. Je ne sais pas où car il bougeait tout le temps. Cela faisait cinq mois qu’il était parti. Il a reçu une balle. Il a été gravement blessé et est mort à l’hôpital. J’ai appris que ce sont les djihadistes qui l’ont tué. Ce jour-là, il y a eu quatre morts. Le lendemain, trois autres. » La voilà veuve à 36 ans d’un soldat à la sépulture inconnue. Mère de trois enfants de 17, 9 et 7 ans. En charge de sa mère. Et avec une pension de 100 000 francs CFA par mois (quelque 150 euros) pour tout payer.

Des pertes militaires terrifiantes

Doux visage rond cerclé d’un foulard doré, Kadiatou Konaté partage son malheur avec d’autres sœurs d’infortune, rencontrées au sein de l’Association des veuves de militaires tombés au champ d’honneur. Des femmes comme Ina Ndiaye, dont l’époux, Cheick Diabaté, a disparu il y a cinq ans.

« C’était un béret vert. Il était adjudant-chef. Il est mort en patrouille près de Douentza. Leur véhicule a sauté sur une mine. Les trois à l’intérieur sont morts. Il a été enterré là-bas dans une fosse commune. Après sa mort, la famille de mon mari m’a chassée de la maison avec mes trois enfants. En dehors de la pension inférieure à 100 000 francs, mes enfants ne reçoivent rien comme pupilles de la nation. C’est moi seule qui me débrouille pour leur éducation », précise-t-elle.

Oum Bathily a relevé le niqab qui lui cachait le visage, triture son téléphone protégé d’une coque rose imitation Vuitton. Elle acquiesce : « L’Etat malien nous fait des promesses, mais on attend toujours. » Elle espère aujourd’hui pouvoir se remarier. Plus encore depuis que sa belle-famille a récupéré la parcelle de terre que son mari avait achetée sur la route de Koulikoro.

Des milliers de Maliennes pourraient raconter la même histoire. Celle d’un abandon. Comme des soldats lâchés par leur hiérarchie. Les bilans des pertes des Forces armées maliennes (FAMa) dans le combat contre les groupes djihadistes sont terrifiants. Boulkessi, Mondoro, Indelimane, pour n’en citer que quelques-uns, sont désormais de gigantesques tombeaux de soldats.

Des détournements sans vergogne

Dix ans après s’être engagé parce qu’il avait « juste envie de servir le pays », un sergent-chef, qui a été déployé dans différentes localités du nord du pays (et ne veut surtout pas être reconnu), détaille une partie du mal qui ronge les troupes.

Ces soldes où l’argent versé par les officiers n’équivaut qu’au tiers de la somme portée sur la fiche de paie car « rien n’est informatisé »« les militaires qui quittent parfois Bamako pour Sévaré – dans le centre du pays – sans arme »« les munitions qui ne permettent même pas de tenir 15 minutes de combat », « des sorties où seul le chef connaît les objectifs de la mission »« les blessés qui succombent faute de moyens d’évacuation » et « les renforts qui n’arrivent que pour ramasser les cadavres » ont fait de ce jeune homme un déserteur en puissance.

Sur le terrain, un officier confirme « le détournement des per diem, des fonds destinés à l’opérationnalité des engins, des fonds pour le bon fonctionnement du théâtre des opérations et la gestion irrationnelle des fonds pour les renseignements opérationnels ».

Il y a cinq ans, une loi d’orientation et de programmation militaire avait été votée, prévoyant un investissement de plus de 1 230 milliards de francs CFA (1,9 milliard d’euros) sur la période 2015-2019. L’Union européenne, largement encouragée par la France qui combat « aux côtés » des FAMa, a formé des milliers de soldats depuis 2013. Mais rien n’a empêché les détournements de masse dont les officiers supérieurs et Karim Keïta, le fils de l’ex-chef de l’Etat et ancien président de la Commission sécurité et défense à l’Assemblée nationale, sont accusés.

« Chaos, anarchie, insécurité »

De la seule chaussette de soldat facturée 10 000 francs CFA (quelque 15 euros) à l’affaire dite « des blindés en carton », où quinze des cinquante engins Typhoon reçus à Bamako ont dû être renvoyés aux Emirats arabes unis en raison des multiples défauts constatés, en passant par les avions militaires surfacturés de plus de 2 milliards de francs CFA (3 millions d’euros), les achats de matériel militaire ont provoqué de multiples scandales durant les sept années de présidence « IBK ».

De quoi faire naître la frustration et des volontés de changement dans des rangs régulièrement décimés par les djihadistes. Jusqu’au coup d’Etat ? C’est probable. Ils donnent en tout cas un parfait mobile à l’action.

Dans sa première adresse à la nation, le quintet de colonels qui a arraché la démission d’« IBK » le 18 août justifiait ainsi son acte : « Notre pays, le Mali, sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée. (…) Le clientélisme politique, la gestion familiale des affaires de l’Etat ont fini par tuer toute opportunité de développement dans le peu qui reste encore de ce beau pays. La gabegie, le vol et l’arbitraire sont devenus des vertus. »

Des mots qui, parmi d’autres promesses de probité, ne pouvaient que résonner dans la majorité des cœurs des Maliens. Mais que savent-ils réellement des colonels Assimi Goita, Malick Diaw, Sadio Camara, Ismaël Wagué et Modibo Koné, et des intentions du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ?

Eviter les guerres d’ego

Leurs prises de parole sont minimales. Les diplomates qui ont échangé avec eux les disent « déterminés, structurés, soucieux de bien faire, mais dépourvus d’un argumentaire convaincant pour rester au pouvoir ». Un officier proche de la junte relate que celle-ci fonctionne par cercles concentriques : un noyau dur autour duquel gravite une myriade de satellites.

« Nous échangeons avec eux, les conseillons pour qu’ils évitent nos erreurs, mais nous ne savons pas quelle synthèse ils en font », raconte cet ancien du coup d’Etat de 2012, le dernier en date avant l’entrée en scène du CNSP.

De bonnes sources, Malick Diaw, l’homme qui a tiré le premier coup de feu pour lancer le putsch, et Sadio Camara seraient les deux têtes pensantes de ce renversement en douceur. L’impénétrable Assimi Goita, toujours entouré de ses soldats des forces spéciales qu’ils commandaient il y a peu, serait apparu comme le plus à même d’éviter les guerres d’ego.

Une chose est avérée désormais : les cinq colonels, s’ils ne forment pas un bloc uni, ont démontré depuis le coup d’Etat du 18 août qu’ils n’entendent pas remettre le pouvoir à une classe politique qui, depuis près de trente ans, a, selon eux, largement démontré son incapacité à régler les problèmes du Mali. Dans les rues de Bamako, il suffit de tendre l’oreille pour entendre des adolescents de 18 ans crier leur haine de la démocratie ou de la vision qu’ils s’en font.

L’autopromu général Sanogo

En ce 22 septembre, jour des commémorations du soixantième anniversaire de l’indépendance, le défilé militaire s’est trouvé une star : le capitaine Amadou Haya Sanogo, qui s’était autopromu général cinq étoiles après son coup d’état en 2012. Malgré sa petite taille, sa grande casquette à feuilles dorées, ses médailles et le masque qui couvre son large sourire, il irradie le tapis rouge et la tribune officielle.

Du temps où il se voyait roi, il pouvait en privé se comparer à Michael Jackson. Pour apaiser la communauté internationale, les officiers du CNSP, dont certains étaient à ses côtés huit ans plus tôt, ont remis les clés de la présidence à un colonel major à la retraite tout en gardant celle d’une vice-présidence chargée des questions de défense et de sécurité.

Alors que Bah N’Daw, 70 ans, cherche à se faire un nom et un peu d’espace, que les colonels tentent de conserver le maximum de prérogatives et de se tracer un avenir, le général Sanogo, lui, jouit de l’instant. C’est le sien. Les officiers de tous les corps d’armée viennent le saluer, l’embrasser, se photographier à ses côtés, y compris des bérets rouges. Qu’importe, semble-t-il, que huit ans plus tôt, vingt et un de ces « commandos parachutistes » ont été arrêtés puis assassinés par les putschistes après une tentative avortée de contre coup d’Etat.

Qu’importe que le procès de « Haya » et ses coaccusés ne soit jamais allé son terme et que les juges les aient remis en liberté provisoire. La justice est un autre pilier fissuré du Mali et les pleurs des veuves de soldats sont silencieux.

Cyril Bensimon(Bamako, envoyé spécial)

Le Monde-fr

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