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Mali : la situation sécuritaire s’améliore, mais la bombe sociale couve

RAPPORT. Situation sécuritaire, droits humains, démocratie : Alioune Tine, expert indépendant de l’ONU pour les droits humains dresse un bilan de sa visite au Mali.

 

Expert indépendant des Nations unies pour les droits de l’homme au Mali, le Sénégalais Alioune Tine a dressé ce mardi 22 février le bilan d’une mission de près de 10 jours dans le pays d’Afrique de l’Ouest. Tout au long de son séjour, il a rencontré les autorités de la transition, la classe politique malienne, la société civile, et d’autres, se rendant sur le terrain à Tombouctou ou Mopti. Au terme de sa visite, l’expert onusien dresse un bilan très nuancé de l’état du pays. Il affirme d’une part que le Mali connaît une « amélioration tangible dans le domaine sécuritaire » mais, de l’autre, il y règne un « climat délétère » de recul de la liberté d’expression.

Malgré des progrès tangibles, poursuite des exactions des groupes extrémistes

« Pour la première fois » depuis 2018, analyse Alioune Tine lors d’une visioconférence depuis Dakar, « j’ai noté une amélioration tangible de la situation sécuritaire, de la situation des personnes déplacées internes, de la situation des droits de l’homme ainsi que des dynamiques de paix endogènes, notamment dans le Centre du Mali ». Il a étayé ses propos en arguant d’une baisse du nombre de personnes déplacées (d’environ 400 000 en septembre à 350 000 en décembre, selon l’ONU) et d’une baisse des violations recensées par l’ONU des droits humains sur le dernier semestre 2021. Toujours d’après l’ONU, dans la région de Gao, le nombre de personnes déplacées a diminué de près de la moitié (49 %) entre septembre et décembre 2021. Cette diminution s’expliquerait notamment par la pacification progressive de certaines localités dans les régions du centre et du nord du pays

Pour le fondateur du think thank Afrikajom Center, ces « améliorations tangibles » ne doivent « pas occulter les défis sérieux », notamment avec une présence de groupes djihadistes « qui continuent d’attaquer, de tuer et d’enlever des civils ». Selon des sources locales, une quarantaine de civils ont été tués mi-février par le groupe État islamique dans le Grand Sahara (EIGS, affilié à l’organisation État islamique) dans la région de Tessit, dans la partie malienne de la zone dite des trois frontières, aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Huit militaires maliens et « une soixantaine » de djihadistes sont décédés lors de combats dans la même zone vendredi, selon Bamako. « Pour assurer leur durabilité, les succès engrangés sur le plan militaire devraient s’accompagner immédiatement du retour effectif de l’autorité de l’État et des services sociaux de base sur toute l’étendue du territoire malien », préconise Alioune Tine dans sa déclaration finale.

Davantage d’écoles fermées !

Observateur averti du Sahel, Alioune Tine met en garde contre une « bombe sociale » qui « se profile à l’horizon » avec la fermeture par les mêmes groupes radicaux d’écoles. Le nombre d’élèves affectés a augmenté en 2021, a-t-il rappelé : de 400 000 à 500 000 entre janvier et décembre, selon l’ONU. « En outre, les fermetures d’écoles auraient contribué à l’augmentation des mariages précoces et à l’exode rural des filles, un phénomène qui a augmenté le risque d’exploitation et d’abus sexuels contre ces filles. L’insécurité continue d’avoir un impact considérable sur la situation des droits fondamentaux des femmes, avec la récurrence inquiétante de cas de violence basée sur le genre », a déclaré l’expert des droits de l’homme des Nations unies.

Rétrécissement de l’espace civique et du débat démocratique

Autre observation, Alioune Tine a expliqué s’être rendu du 7 au 18 février à Mopti et Tombouctou et avoir rencontré une large part des acteurs sociopolitiques maliens à Bamako. « Tous sont unanimes, il est de plus en plus difficile d’exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonné ou lynché sur les réseaux sociaux », a-t-il estimé en exprimant sa « profonde préoccupation par rapport au rétrécissement de l’espace civique ». Annonçant faire de la lutte contre la corruption une priorité, les militaires ont arrêté plusieurs hommes et femmes politiques, dont l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga. Transféré en décembre de la prison vers une clinique bamakoise en raison de son état de santé, il a perdu 20 kilos et nécessite une évacuation, selon Tine.

Ce « climat délétère a mené plusieurs acteurs à l’autocensure par crainte de représailles des autorités maliennes de transition et/ou de leurs sympathisants », a-t-il encore déclaré, estimant que des « menaces réelles pèsent (notamment) sur l’activité des défenseurs des droits de l’homme ». Les enquêtes sur les présumées violations des droits humains par des acteurs du conflit au Mali, notamment l’armée malienne, sont de plus en plus rares. « Quand vous sortez quelque chose (une enquête, NDLR), vous êtes assaillis puis lynchés par les médias, surtout les médias sociaux », a encore dénoncé l’ancien directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Le Mali est dirigé par des militaires depuis qu’ils ont renversé en août 2020 le président Ibrahim Boubacar Keïta. Sous embargo de ses voisins ouest-africains pour ne pas avoir respecté son engagement d’organiser des élections fin février, le Mali est en négociations avec la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest sur la durée de la « transition ». Alioune Tine s’est exprimé en faveur d’une levée des sanctions de la Cedeao, imposées depuis janvier, « tout en invitant les autorités maliennes à dialoguer avec l’organisation sous-régionale pour trouver un accord permettant le retour à l’ordre constitutionnel dans des délais raisonnables. » L’expert onusien se trouvait sur place au moment où les partenaires européens, dont la France, ont annoncé se retirer du Mali. À ce propos, il invite « la communauté internationale et africaine » à « reconnaître la nécessité de repenser les réponses sécuritaires au Sahel ». Il en appelle « au développement de stratégies de sécurité plus intégrées, axées sur la protection des populations civiles et de leurs droits humains fondamentaux », a-t-il déclaré. D’après Alioune Tine, l’un des éléments déclencheurs de la crise de confiance entre le Mali et la communauté internationale est la présence supposée de la milice Wagner dans le pays. Sur cet élément, il ne s’est pas directement exprimé dans sa déclaration, mais a répondu à des questions de journalistes, affirmant n’avoir vu « aucun soldat russe ni Wagner lors de toute ma tournée », a-t-il confié dans un entretien à TV5 Monde Afrique. « Pour l’instant, et jusqu’à preuve du contraire, je m’en tiens à la thèse officielle du gouvernement, comme quoi il s’agit d’une coopération d’État à État. » Alioune Tine soumettra son rapport annuel au Conseil des droits de l’homme en mars 2022, à Genève.

Source : Le Point
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