TV5MONDE : Les participants aux Assises nationales ont proposé de prolonger l’actuelle transition de la junte militaire de “six mois à cinq ans.” Que pensez-vous de cette décision ?
Mohamed Amara, sociologue et auteur de Marchands d’angoisses, Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être. Ed Grandvaux, 2019 : Le flou autour des dates de la prolongation risque de générer un sentiment d’injustice et non reconnaissance auprès des Maliens qui n’étaient pas représentés dans ces Assises. Certains partis politiques et différents représentants de certaines régions maliennes n’ont pas été conviés. Par le passé, ce sont ces sentiments d’injustice qui ont conduit à la désobéissance, comme on l’a constaté en 2020.
Le deuxième élément important, c’est que cette incertitude risque de fragiliser les rapports entre le Mali et ses partenaires, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Initialement la junte au pouvoir avaient promis la tenue d’élections générales libres, transparentes, à bonne date, en février prochain.
Cependant, je pense que les autorités maliennes vont tout faire pour se rapprocher des souhaits de la Cédéao, afin de proposer des dates qui permettent la tenue des élections rapidement. C’est inconcevable pour la Cédéao d’avoir des élections dans cinq ans.
TV5MONDE : Beaucoup de propositions concernent la sécurité du pays. Qu’en pensez-vous ?
Mohamed Amara : Rien ne change. Toutes les propositions qui ont été faites à travers ces Assises nationales de la refondation ont déjà été proposées par le passé, à travers le Dialogue national inclusif de 2019.
Pourtant, la maîtrise de la question sécuritaire reste le défi majeur du pouvoir actuel. Comment, dans ce laps de temps, peut-il ramener la sécurité sur l’ensemble du territoire, c’est-à-dire la restauration de l’État, la sécurisation de personnes et des biens ?
Selon moi, un pouvoir de transition aura du mal à régler cette question. D’une part, il ne pourra pas le relever tant qu’il n’y aura pas un compromis général entre les Maliens, entre ceux qui soutiennent la transition et ceux qui ne la soutiennent pas. D’autre part, la question n’est pas que malienne, elle est sahélienne, elle est géopolitique.
Je ne pense pas que les autorités actuelles aient la capacité à faire régner la sécurité sur le pays.
Mohamed Amara, sociologue
Dans le volet des mesures sécuritaires, les participants aux Assises nationales ont pris la décision d’intégrer les groupes d’auto-défense, milices, au pouvoir malien. À quelles conditions ces groupes d’auto-défense accepteraient-ils de déposer les armes ? Cela veut-il dire qu’ils intègreraient l’armée nationale ? Est-ce que l’État est en mesure de le faire sachant qu’il y a un bras de fer entre les autorités de la transition et les autres partenaires, comme la France, la Russie ?
Encore une fois, je ne pense pas que les autorités actuelles aient la capacité à faire régner la sécurité sur le pays. Je ne dis pas qu’elles n’ont pas la volonté de le faire mais elles n’ont pas les ressources, les moyens, la vision nécessaire.
TV5MONDE : En quoi ces Assises se différencient des précédentes concertations sur le sujet ?
Mohamed Amara : Elles ne se différencient pas de façon majeure des différentes concertations qui ont eu lieu.
Comme nous l’avons vu précédemment, toute la population malienne n’est pas représentée. Or, l’enjeu des Assises actuelles, c’est la question de la représentativité de la participation. Pour une partie des Maliens, il n’y a pas eu de vrais débats.
Ensuite, ces Assises, comme d’autres par le passé, n’apportent de vision claire sur l’avenir des Maliens. Les conclusions rendues laissent placer une sorte de flou qui contribue à fragiliser le Mali, à fragiliser le pouvoir.
Source: TV5