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Mali – Guinée : « Une frontière plutôt artificielle que réelle » selon le président de la Coordination des Jeunes du Mandé (CJM-Mali).

Avec l’explosion récente du virus Ebola au Mali à travers un patient de nationalité guinéenne, la question de frontière entre le Mali et ses pays voisins, notamment la Guinée, avec qui le Mali partage 858 km, a suscité des discussions intenses d’abord entre politiciens, puis entre simples citoyens soucieux de préserver leur santé. Dans la foulée, certains sont allés jusqu’à suggérer la « fermeture temporaire » de la frontière avec la Guinée Conakry « au moins pendant un mois, afin d’y renforcer le dispositif sanitaire ». Mais, y a-t-il réellement une bordure canalisable entre le Mali et la Guinée comme c’est marqué sur la carte? Explications avec Sékou Keita, président de la Coordination des Jeunes du Mandé (CJM-Mali).

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J’imagine que vous êtes déjà au courant de ce qui se dit actuellement à Bamako concernant la circulation des personnes au niveau de la frontière Mali-Guinée. On sait que notre pays traverse actuellement sa deuxième vague de psychose due au virus Ebola, importé par deux fois par des ressortissants guinéens. Ainsi, sous la panique généralisée, il a été même question de fermeture de notre frontière avec la Guinée. Vous pensez que c’est une chose envisageable?

Sékou Keita : Permettez-moi d’abord de saluer le courage et la détermination de nos acteurs de la santé qui sont mobilisés sur le terrain pour stopper ce mal qui sévit dans nos murs. Je me dois de saluer également les efforts de tous ces hommes et femmes qui, par pure patriotisme, ont tout délaissé pour combattre le virus Ebola auprès de nos autorités.

Ceci dit, en répondant à votre question, je pense que le mot frontière est à prendre dans sa dimension politique, géographique et socioculturelle pour assimiler au mieux tous les contours du sujet. C’est un phénomène très complexe auquel sont confrontés tous les Etats africains pour des raisons historiques que vous savez déjà. Dans le contexe du Mali et de la Guinée, c’est encore plus délicat. Nous partageons la même histoire, les mêmes héros et tas d’autres choses inestimables. La circulation a toujours été fluide entre les deux contrées, même pendant la période coloniale. Aujourd’hui encore, en dépit des tracés hérités de la colonisation, nos peuples continuent d’entretenir d’étroites relations dans les domaines économique, social et culturel. Vous savez, les populations de cette zone sont en réalité tellement connectées et interdépendantes que l’idée de frontière ne s’est jamais installée dans leurs esprits. Les mêmes familles sont installées de part et d’autre le long de cette ligne qu’on voit sur la carte entre le Mali et la Guinée. C’est une frontière plutôt artificielle que réelle. D’ailleurs, c’est ce qui a fait dire un moment au premier président guinéen, Ahmed Sékou Touré, que nos deux pays sont deux poumons dans un même corps. Au-delà de ça, le port de Conakry nous est indispensable pour faire écouler nos marchandises de l’extérieur. C’est le plus proche de notre capitale. Donc, envisager une éventuelle fermeture de la frontière entre ces deux pays frères serait vraiment difficile.D’autre part, n’oublions pas que les guinéens ont été parmi les premiers à nous manifester leur soutien en faveur de la résolution de la crise du nord. Plusieurs soldats guinéens sont encore mobilisés à nos côtés pour nous aider à rebâtir notre nation. Donc, vu ce facteur aussi, ce serait mal vu de notre part de fermer le poste frontalier de Kourémalé. D’ailleurs, au lieu de nous mettre à l’abri, une telle action pourrait nous coûter encore plus cher. Car, en fermant notre frontière, les gens vont continuer à se fréquenter autrement. Ils trouveront toujours des chemins clandestins, peu connus des forces de l’ordre, pour se voir. Et là, le risque de contamination serait encore plus élévé.

 

Quand même, la réalité est que les maliens ne se sentent pas protégés. Le virus s’est introduit à deux reprises dans le pays et par le même canal. A defaut de la fermeture de Kourémalé, qu’est-ce que vous suggérez pour contrer le virus?

Chaque Etat souverain a le droit et le devoir de protéger sa population. Dans notre cas, je pense que le moyen le plus efficace pour empêcher la propagation du virus est le renforcement du dispositif de contrôle sanitaire au niveau de la frontière. Je ne vois aucun pays au monde se passer des autres, encore moins un pays enclavé comme le nôtre. La preuve en est que même les pays développés comme la France et les Etats-Unis ont préféré écarté cette hypothèse jusque-là. Ils ont compris que la lutte contre Ebola passe par la maîtrise des voies par lesquelles il peut officiellement venir. D’où l’installation des dispositifs très sophistiqués au niveau de leurs aéroports internationaux qui accueillent les passagers en provenance des pays touchés par l’épidemie. A ce niveau, il faudra que nos autorités de sécurité et de la santé travaillent de concert de manière à ce qu’il n’y ait aucune complaisance au cours du contrôle. Et que l’épisode des deux cas qui ont échappé à leur attention, soit désormais un triste souvenir.

 

Les populations du Mandé sont géographiquement les plus exposées. Vous reconnaissez vous-mêmes que les familles sont à cheval entre les deux Etats. Mais, nous savons que malgré les nombreux messages de sensibilisation qui passent à la télé et à la radio, il y a encore pas mal de personnes qui refusent de croire à l’existence même de cette fièvre incurable. Ensuite, de nombreuses zones demeurent inaccessibles à l’information, donc par conséquent vulnérables. Qu’est-ce qu’il faudra faire pour atteindre ces gens afin de minimiser la propagation du virus, et comment la Coordination des Jeunes du Mandé compte accompagner les autorités dans cette lutte ?

Je remercie une fois de plus les efforts de sensibilisation dont fait montre le gouvernement à travers ses départements de la santé et de la communication. Le Ministre Mahamadou Camara avec ses partenaires des ONG et ses confrères de la presse privée et publique font un travail remarquable. Grace à eux, je veux dire à vous, les populations maliennes reçoivent les informations nécessaires pour se protéger contre Ebola. Et la contribution de la CJM va aussi dans ce sens, c’est-à-dire sensibiliser nos parents. Comme vous le savez. Toutes les communes du Mandé sont représentées dans notre coordination. Alors, nous avons formé des groupes de jeunes qui ont la particularité principale d’être des vrais connaisseurs du terrain. Ils maitrisent parfaitement les localités situées dans cette zone frontalière avec la Guinée. Leur mission consiste à voyager de village en village, de hameau en hameau, pour expliquer à cette frange de maliens éloignés des ondes télé et radio les risques liés au virus Ebola et les mesures indispensables à prendre pour la protection et en cas de patients suspects.

 

Croyez-vous que l’Afrique de l’Ouest pourra un jour se défaire complètement de ce fléau?

Cette maladie n’est pas une fatalité en soi et elle peut bien être maitrisée. Néanmoins, pour y parvenir nous devons accepter le changement de comportements qu’elle impose, et surtout le respect des mesures d’hygiène demandées par nos hautes autorités. Des autorités qui ont besoin aussi de l’accompagnement de chacun de nous. Qu’on cesse de véhiculer des informations malveillantes et inappropriées dans les médias. Évitons les rumeurs aussi. Cela ne fera que fragiliser davantage l’Etat et semer la panique au sein de la population. En plus du contrôle au niveau des entrées et sorties de nos territoires, il est également indispensable que les services de renseignement, de sécurité et de la santé des différents Etats de la sous-région collaborent en partageant les informations sur les potentiels risques de contamination. A ces conditions, je suis convaincu que l’Afrique de l’Ouest arrivera à bout de cette épidemie.  

 

Quel autre rôle joue la Coordination des Jeunes du Mandé dans la construction du Mali?

Comme le dit Frantz Fanon que je cite de mémoire : « chaque Génération a une mission à remplir ou à trahir ». Nous, nous voulons être de celles qui remplissent. C’est vrai que, comme son appellation l’indique, notre coordination est un regroupement de jeunes d’origine mandingue, mais nous travaillons avec tous les fils et toutes les filles du Mali, pourvu que vous ayez l’amour de ce pays en vous. Nous avons beaucoup de sympathisants aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. En créant la CJM-Mali, nous nous sommes fixé comme missions principales de contribuer au développement socio-économique et culturel du Mandé en particulier et du Mali en général. Nous souhaitons aussi faire connaitre davantage à nos compatriotes et au reste du monde les valeurs fondatrices de la société mandingue. Car, beaucoup d’études ont démontré aujourd’hui que les maliens sont très mal informés sur les richesses de leur patrie. Sur le pays dogon, on en sait presque rien, tandis que de nombreux européens y passent leurs vacances. Le Mandé aussi regorge de trésors à faire valoir. Et qui est mieux placé que nous pour accomplir cette mission. L’autre rôle de la coordination, c’est de servir de plateforme d’échange, d’entraide et de fraternité entre les populations du mandé d’une parte, et d’autre part entre eux et les autres communautés maliennes. Nous envisageons aussi d’initier des projets allant dans le sens de l’amélioration des conditions de vie des habitants du Mandé. C’est un souhait qui va de pair avec la lutte contre toutes formes de dégradation de notre environnement. Je pense ici à la nécessité de préserver nos forêts qui pâtissent déjà du commerce illicite de bois, transformés parfois en charbon pour inonder les marchés de Bamako. Il va de soi que l’obstacle majeur à ce fléau se situe au niveau de l’accessibilité aux énergies alternatives, car avant de priver quelqu’un de son gagne-pain, il faut d’abord lui trouver quelque chose en échange. Par ailleurs, nous comptons assister également les populations du Mandé avec des conseils et des matériels dans le domaine de l’agriculture (le jardinage, le maraîchage, la dotation en kits agricoles, en pesticides etc.).  Et vu le manque récurrent d’infrastructure en milieu rural, la CJM-Mali se propose d’être le porte-parole des habitants du Mandé auprès des partenaires financiers, afin de mobiliser les fonds pour la construction d’écoles, de centres de santé, de médersas, de mosquées, de forages et de petits dispensaires de relai dans les localités éloignées. Intervenant depuis un an sur le terrain, nous avons accompli pas mal d’actions dans ce sens, y compris en matière de formation de jeunes dans des petits métiers générateurs de revenus. Je profite d’ailleurs de votre tribune pour lancer un appel à toutes les initiatives de bonne volonté souhaitant se joindre à nous pour bâtir ce beau Mali. Les propositions et les idées innovatrices sont toujours les bienvenues.

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