Les sanctions de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest contre Bamako affectent sévèrement l’une des premières sources de revenus d’exportation du pays, après l’or.
La production de coton s’annonce record au Mali, mais si Mahamadou Konaté a le sourire en parcourant son champ, c’est plus la satisfaction du travail accompli que l’anticipation de lendemains radieux. L’agriculteur s’inquiète des effets de l’embargo imposé au Mali par ses voisins. Comme si la filière, déjà agitée par un scandale politico-financier, déchirée par les querelles de pouvoir et affectée par la baisse des cours causée par la pandémie, avait besoin de cela.
« Seulement 2 % du coton est transformé ici. S’ils nous sanctionnent, comment allons-nous faire pour vendre notre coton à l’extérieur ? », demande-t-il au milieu d’une des parcelles située sur les 60 hectares où il cultive ce qu’on appelle ici « l’or blanc », près de Noumoutene (ouest).
Le Mali est l’un des premiers producteurs africains de coton, qui représente l’une des premières sources de revenus d’exportation du pays, après l’or. Les bonnes années, un quart de la population en vit, directement ou indirectement, en faisant pousser et en ramassant la fibre de cellulose qui, en saison, couvre de blanc de vastes étendues. Alors les milliers de cotonculteurs maliens ont fait grise mine quand la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a décidé, en janvier, de fermer les frontières et de suspendre les échanges avec le Mali. L’institution a sanctionné le refus de la junte de d’Assimi Goïta, arrivé au pouvoir par la force en 2020, de rendre la place aux civils dans un proche avenir.
Crainte sur un effet retard
Rassemblés au siège d’une association paysanne à Bamako, les présidents des quatre fédérations du sud et de l’ouest tirent la sonnette d’alarme. « On va tous payer les pots cassés », dit Tiassé Coulibaly, président pour la zone de Fana. « S’ils n’arrivent pas à vendre les stocks de coton, l’année prochaine, c’est fini, il n’y aura plus de coton », augure Bakary Dembélé, pour la zone de Koutiala. Tous les secteurs redoutent les retombées des sanctions, qui ont, par ailleurs, provoqué un mouvement de résistance patriotique.
Comme d’autres, les présidents des fédérations, se demandent comment les cotonculteurs vont être payés si l’argent vient à manquer à cause de la suspension des transactions financières, également infligée par la Cedeao. Un effet retard est aussi craint. Pour le comprendre, il faut suivre le cultivateur Mahamadou Konaté, drapé dans un habit traditionnel, en coton bien sûr.
98 % DE LA PRODUCTION MALIENNE DE COTON N’EST PAS TRANSFORMÉE
Les cotonculteurs sont organisés en coopératives. « Nous cultivons, puis nous regroupons au village le coton », explique-t-il. La Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), entreprise publique et seule sur le marché, achète ensuite le coton aux producteurs. Elle l’égrène, c’est-à-dire qu’elle sépare la cellulose du grain. Avant de le transporter vers les ports d’Afrique de l’Ouest d’où la fibre – non transformée, comme 98 % de la production malienne – embarque vers d’autres continents. L’égrenage et l’exportation s’étendent de novembre à mai.
Les exportations bloquées avec la fermeture des frontières
Tous les ans, après concertation avec la CMDT et la confédération des cotonculteurs (qui regroupe les quatre fédérations), l’État fixe, en fonction des cours mondiaux et des résultats de l’exercice précédent, le prix auquel la CMDT rachètera au cours de la saison à venir le kilo de coton non transformé. La saison passée, l’immense majorité des cotonculteurs s’étaient détournés du coton au profit du mil, du maïs ou du soja parce que le tarif fixé par avance était trop bas à leurs yeux.
LES PRÉSIDENTS DES FÉDÉRATIONS DISENT ATTENDRE UNE PRODUCTION RECORD
Pour cette saison, la barre a été placée à 280 francs du kilo (0,42 euro), du jamais vu. Les cotonculteurs se sont rués dans les champs. Les présidents des fédérations disent attendre une production record de 820 000 tonnes, contre seulement 147 000 l’an passé. Mais quid du prix l’an prochain si le stock n’est pas écoulé ? Seulement un tiers de la production annuelle a été exportée avant que les frontières ne ferment. Pour ne rien arranger, le métier est braqué contre l’État, qui a nommé à la tête de la confédération un administrateur extérieur à la profession. Contactés, ni le ministère du Développement rural ni la CMDT n’ont donné suite aux sollicitations.
Dans le champ de Mahamadou Konaté, les nombreux enfants qui ramassent le coton sont payés une misère, 15 francs du kilo. Le propriétaire peut espérer un gain de plusieurs millions de francs par an. « On fixe le prix du coton en fonction du marché mondial, mais si on ne l’amène pas à ce marché, comment va-t-on faire ? », s’inquiète Mahamadou Konaté.
Source :Jeune Afrique Avec AFP