Plus de cinq ans après sa signature, les avancées dans l’application de l’Accord de paix issu du processus d’Alger restent très mitigées. Aujourd’hui, des voix s’élèvent, et vont croissant, en faveur de sa relecture.
Installation des autorités intérimaires, DDR, mise en place du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), entrée de la nouvelle armée reconstituée à Kidal et tenue d’une réunion du CSA dans la même ville. Ce sont des avancées majeures réalisées dans le cadre de l’Accord pour la paix. Un Accord qui devait « rétablir l’autorité de l’État et créer les conditions d’une paix durable » au Mali. Au regard des défis qui restent à relever, le chantier est titanesque. Selon le politologue Boubacar Salif Traoré, « tout cela ressemble à une belle vitrine, dont l’arrière-boutique est en travaux, car sur le fond rien n’est réellement réglé, ni stabilisé ».
« C’est un gouvernement très affaibli qui signa l’Accord en 2015. Ensuite, ses membres ne se sont jamais approprié le texte et il ne fut pas disséminé auprès de la population. Chacun y est donc allé de son interprétation sans que le gouvernement n’agisse. En 5 ans, l’Accord a perdu de sa substance, au point d’être décrié par une large partie des Maliens. L’absence d’inclusivité et le sentiment de négligence du texte par les autorités pendant plusieurs années ont fait que son application devient quasiment impossible », explique-t-il.
La relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation fut un souhait des Maliens lors du Dialogue national inclusif de décembre 2019. Une année après, des politiques et associations de la société civile élèvent la voix pour la même chose. « Ce rejet s’explique le plus souvent par la non maîtrise de l’Accord. Rares sont ceux qui peuvent dire réellement ce qu’ils lui reprochent. Ceux qui le maîtrisent pensent qu’il est trop déséquilibré en faveur des anciennes forces rebelles », explique Salia Samaké, politologue. C’est le cas de « Songhoy chawaara batoo », coalition d’une dizaine d’organisations et de faitières de la communauté songhoy. Elle pense que l’Accord pour la paix et la réconciliation contient des dispositions discriminatoires. « Ils ont pris dans l’Accord ce qui enarrange certains. L’une des mesures qui nous semblent discriminatoires est la création de la nouvelle Zone de développement des régions du Nord (ZODERN), qui est anticonstitutionnelle et injuste. On peut même dire qu’elle repose sur les principes de l’apartheid. 26 conseillers parmi lesquels 5 seulement sont Noirs. Les 21 autres sont Arabo-berbères. La région de Taoudéni, qui vient d’être créée, a 7 conseillers, Tombouctou 6, Kidal 6, Ménaka 5 et Gao 5. Cela est injuste. Si on ne fait pas attention et qu’on laisse passer ce document, dans 50 ans ce qui est arrivé en Palestine nous arrivera. Le second scénario, c’est une « mauritanisation » de notre crise, avec 80% de Négro-berbères, mais 20% d’Arabes avec les pouvoirs politiques et militaires. On ne demande pas de rejeter l’Accord en bloc mais de le relire », explique Almahady Moustapha Cissé, Coordinateur de la coalition.
Relecture prochaine ? Dans le Plan d’action du gouvernement de transition, « diligenter la relecture de l’Accord » fait partie des priorités pour renforcer la sécurité. Parmi les actions prévues, « l’organisation de concertations avec les parties prenantes sur la relecture de l’Accord de paix et la réconciliation issu du processus d’Alger ». La communauté internationale et les groupes armés signataires accepteront-ils cette relecture?
« Les groupes armés l’ont fait savoir à plusieurs reprises, ils sont opposés à la relecture. D’ailleurs, pour moi, ce terme n’a aucun sens. Il faut rendre l’Accord inclusif, en expliquant que ce qui sera valable à Kidal le sera également à Sikasso ou à Kayes. Il faut confronter l’Accord au réel et sortir du cadre strictement institutionnel. La communauté internationale est dans un dilemme, dans l’obligation de trouver un équilibre. Elle a toujours affirmé vouloir l’application effective de l’Accord. D’ailleurs, sa mise en œuvre est la mission principale de la MINUSMA. Mais elle sait également qu’il y a de nombreuses tensions autour de ce sujet y compris au plan politique. Tout dépendra des deux principaux acteurs, le gouvernement malien et les groupes armés signataires », estime Boubacar Salif Traoré.
Pour Salia Samaké, les groupes armés seront « d’accord pour la révision, mais souhaitent que cela soit fait à travers la procédure définie dans l’Accord ». Quant à la communauté internationale, « il ne lui revient pas d’être d’accord ou pas. C’est aux parties maliennes de prendre l’initiative. Jusqu’à preuve du contraire, elle accompagne », conclut-il.
Boubacar Diallo
Source : Journal du Mali